Chapitre 5

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Trois jours passent. Et entre ses cours, Félix ne voit même pas Elise.

Il ronge lentement son frein, se disant que si elle travaille, elle a peut-être un certificat qui l'autorise à manquer quelques cours. Si c'est le cas, il n'est pas près de la revoir, et elle n'a toujours pas donné ses disponibilités.

Il s'assoit finalement sur l'un des bancs en pierre de la cour, pour souffler. Mode théorique, histoire théorique, économie théorique... il manque cruellement de pratique, dans sa vie, et ce n'est pas comme s'il pouvait quelque chose, mais passer son temps assit commence à lui taper sur le système.

- Je devrais faire du sport. Au moins, je me dépenserais.

Il note l'idée dans un coin de sa tête avec un soupir, quand une ombre s'arrête devant lui.

- Agreste.

- Félix, râle-t-il en relevant la tête. Tu as dormi pendant trois jours ou quoi ?

Elle ne répond pas tout de suite, un peu perdue.

- J'ai... eu beaucoup de travail. Et très peu dormi, en fait. Je viens te donner ça.

Elle lui tend un agenda, qu'il attrape doucement, et commence à feuilleter.

- Les heures où j'ai noté mes rendez-vous, je ne suis pas disponible. Ceux où il y a un « R », c'est les moments où je dois absolument dormir. Les journées où il y a juste un « C » de marqué, je suis disponible. Désolée de l'attente. J'ai été très occupée.

Il cesse de faire tourner les pages pour la regarder d'un coup d'œil vif. Il veut bien comprendre qu'elle a peu dormit. Il ne comprend pas en revanche comment on peut être obligé de marquer sur son agenda les jours où il faut absolument dormir.

- Ça t'arrive fréquemment d'oublier de dormir ?

- Seulement la dernière semaine des préparations pour...

- Tes semaines durent longtemps, à toi, dit-il ironiquement.

Elle lui lance un regard attristé, et se laisse choir à côté de lui, sur le banc.

Plus sérieusement, il ajoute :

- Tu penses au moins à manger.

- Oui. J'ai faim. La faim m'empêche de travailler.

- C'est bien.

- Oui. La date buttoir est demain. Pour la collection. Je suis disponible après sans soucis. Je rattraperais mon sommeil en retard jeudi dans la journée, et je pourrais venir chez toi pour travailler ensuite. Tu as une idée de thème pour notre collection ?

Il secoue la tête.

Il aimerait sincèrement que leur travail avance, mais de toute manière, il y a des sélections, avant le défilé. Si bien qu'en fait, le temps pour faire cette collection de trente modèles n'a pas encore commencé. Ce ne sera qu'en janvier que le départ sera lancé. Même si se lancer seulement dans deux mois est une erreur de calcul, s'épuiser à la tâche avant l'épreuve éliminatoire est stupide.

- On se voit vendredi, j'ai mon frère à la maison, jeudi.

Ses lèvres s'entrouvrent, se referment, et Elise finit par hocher simplement la tête.

- Comment tu fais pour avoir de bonnes notes en cours, si tu n'y es jamais.

- Je n'en ai pas. Des bonnes notes.

- Ah. Mais ça va aller pour passer ton semestre ?

Elle acquiesce.

- J'ai douze de moyenne, pas cinq. J'ai juste mes examens au ras des pâquerettes dans certaines matières, c'est tout.

- Tu travailles trop.

- J'aime mon travail. Sans lui, je ne pourrais pas payer cette école.

- Hum. C'est aussi toi qui payes ton appartement ?

Elle laisse passer sa curiosité soudaine en plissant les yeux, prête à s'endormir assise, si ça pouvait lui faire gagner quelques secondes de repos.

- Oui, pas toi ?

Félix secoue la tête.

- Non, pas moi, non.

Il regarde sa montre et se lève.

- Tu devrais aller en cours. Ou manger, ou travailler. Ou faire une sieste, peu importe ce que tu avais prévu de faire. Il est une heure de l'après-midi.

Elise ne l'entend pas, elle tombe en avant, endormie.

Félix ne doit son repêchage qu'à ses années d'entraînement et de combats contre le papillon, une grimace accrochée au visage.

- Eh. Lilibellule.

- Hum.

Il la secoue.

- Debout.

- Je ne dormais pas, marmonne-t-elle en rouvrant les yeux.

Il ne la lâche qu'une fois qu'elle semble relativement apte à tenir assise, et c'est le moment qu'elle choisit pour tenter de se lever.

- Je dois aller en cours.

- Tu devrais rentrer chez toi.

Il serre la mâchoire, et la lâche pour la troisième fois, une fois qu'elle a retrouvé son équilibre deux fois perdu.

- Fais ce que tu veux, après tout, ça ne me regarde pas.

Il la laisse là et s'éloigne, sans se retourner.

Derrière ses petits yeux fatigués, Elise sourit de toutes ses dents, se disant qu'il avait vraiment un sale caractère, pour un type gentil, et qu'elle devrait vraiment aller s'allonger avant de se blesser.

Elle rentre alors chez elle, à quinze minutes à pieds de la faculté, et se laisse tomber sur son lit, la porte de sa chambre à peine passée.

Si elle a de la chance d'avoir une chambre pour le prix qu'elle paye chaque mois, elle doit reconnaître cependant qu'avoir une salle de bain de la taille d'un mouchoir de poche et un salon pour salle à manger n'est pas terrible. Surtout quand ledit salon est en fait aménagé comme un atelier. Quand elle rentre donc chez elle, c'est entre la petite cuisine et le bazar de son établi, et il lui suffit de poursuivre son chemin en ligne droite pour atterrir dans sa chambre, et se vautrer sur son lit.

- Hum... il faut que je mette un réveil, sursaute-t-elle en se réveillant brièvement.

Elle secoue la tête mollement, parlant toujours toute seule.

- Et puis merde, je verrais bien quand je me réveillerais.

De toute manière, ce n'était pas comme si elle était en état de réfléchir à quoi que ce soit, ou à faire une quelconque manipulation de son téléphone, qu'elle a laissé dans son sac, dans le couloir inexistant qui sert d'axe routier à son appartement.

- Agreste... je ne m'appelle pas Lilibellule, se souvient-elle avant de s'endormir définitivement.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant