Elise tente de s'extirper du lit de Félix lorsque son téléphone se met à lui broyer les tympans d'un air savant de musique d'ascenseur. Manque de chance, Félix a le sommeil lourd, et il a aimablement passé son bras autour de sa taille durant leur sommeil pourtant calme.
C'est ce qu'elle aime, quand elle dort avec Félix : il reste de son côté, elle ne se prend pas de coups de pieds, et personne ne lui prend la couette. Sauf que son coéquipier remplit tous les critères pour la mettre de mauvaise humeur, en ne bougeant pas d'un pouce alors qu'elle a les deux yeux grands ouverts.
Elle tente t'attraper de la peau pour la pincer, mais elle est si fine et élastique que ça ne semble même pas le déranger, alors qu'elle lâche la chaire, dégoutée.
- Beurk. Félix. Réveille-toi.
- Hum.
Un chat mal réveillé, ou qui ne voudrait pas se réveiller afficherait, d'expérience, la même tête : les poils ou cheveux ébouriffés, le visage ou la truffe raide, et avec ce grondement significatif, et ce feulement qui pourrait pourtant ressembler à un soupir soufflé entre les dents.
- Hum ?
- Je ne peux pas répondre au salopard qui appelle coup sur coup depuis dix minutes, si tu ne me lâche pas. Et pour ta santé physique et ma santé mentale, il va falloir que ça se fasse rapidement.
Il retire son bras, et se retourne pour se coucher dos à elle.
Elle peut enfin décrocher, et répond à son interlocuteur d'un ton acerbe :
- Quoi, encore.
- Bonjour, c'est Bridgette ! Je te réveille ?
- A peine, grommelle-t-elle.
- Mais je croyais que tu avais rendez-vous à dix heures ?
Elise se redresse, regarde le réveille de Félix en se jetant presque sur son dos, et dévisage ce pauvre appareil.
- J'appelais pour savoir comment ça...
Elle raccroche. Elise raccroche et appelle sur le champ son rendez-vous, tout en sortant du lit. Elle se change dans la chambre le téléphone collé à l'oreille, se déshabillant et rhabillant à la vitesse de l'éclair.
- Oui, bonjour ! Excusez-moi, je suis très en retard, je me suis pas levée, entend Félix de son lit.
Lui qui s'était mis sur le dos a apprécié de ne pas voir sa cage thoracique compressé par la tornade Elise, mais regrette amèrement de lui avoir tourné le dos une seconde, en vue des conséquences émotionnelles que ça lui procure.
- Elise, grogne-t-il en se levant.
Elle est en retard, il a compris. Bridgette l'a appelée, ça peut avoir de quoi contrarier n'importe qui. Mais qu'elle se soit vautrée sur lui pour regarder l'heure comme s'il était une carpette...
- Oui, c'est ça, je suis désolée, je ne devrais pas travailler aussi tard, vraiment. Vous pouvez ? Ah, oui, c'est super, alors à cette après-midi. Merci, dit-elle avant de raccrocher.
Mais elle n'a pas le temps de faire ouf que l'étudiant l'attrape par la taille, la soulève du sol d'un bras, attrape son téléphone de l'autre, jette ledit appareil sur la table en passant devant, raffermit sa prise autour de la styliste, et la colle sous la douche.
Pour le coup, c'est elle qui ressemble à un chat, les yeux exorbités, et lui demandant silencieusement s'il compte réellement allumer l'eau, les bras écartés pour se tenir le plus loin possible de la sortie d'eau, qu'il n'a pas encore ouverte.
- On ne me lève jamais en vrac le matin, jamais.
Il semble furieux, bien plus que lorsqu'elle s'était octroyé la baignoire, et elle laisse ses sourcils se courber d'embarras.
- Je suis désolée, sincèrement désolée. Tu vois, ce ne sont pas des excuses, c'est juste... désolée.
Il est en colère, et contrarié. Il n'avait pas prévu de se lever ce matin, avec cette demi-gueule de bois, et cet espace chaud qui s'appelle communément un lit. Ni pour son cours d'économie qu'il aurait put « louper » dans vingt minutes, ni pour le « déjeuné » pour lequel Elise devait repasser.
Il serre la mâchoire, grince des dents, et laisse tomber sa main.
C'est un peu cruel de sa part de l'arroser, alors que le moment où elle a commencé sa journée était lui aussi un moment de panique.
- Ne me réveille plus comme ça.
- Promis.
Il la laisse sortir de la cabine de douche, dont elle s'extirpe sur la pointe des pieds, avant de s'en éloigner le plus possible, tout en restant dans la pièce.
- Passe devant.
- Non, non, je t'en prie.
Elle ne veut surtout pas qu'il change d'avis en cours de route.
- Elise, se fâche-t-il. Passe. Devant.
- Oui, oui, okay !
Elle sort de la petite pièce en trombe et se sauve dans le salon.
Elle s'endort sur le canapé, et lorsqu'on lui secoue l'épaule, elle sursaute :
- On, pitié, j'ai rien fait !
Félix la dévisage, puis semble se souvenir.
- Je t'ai fait peur à ce point là ?
Elle acquiesce vigoureusement, et il soupire.
- Il est midi. Tu as rendez-vous à quelle heure ?
Elle se redresse plus calmement :
- Quinze heures.
- Hum. Viens manger.
Elle s'assoit pour de bon.
- Tu as fait à manger ?
- Oui, pourquoi ?
Il est tout habillé, et si elle n'a dormi qu'une heure de plus... c'est que lui n'a pas dormi du tout, qu'en plus n'a pas fait de bruit, et le tout en dépit du fait qu'elle l'ait réveillé en « vrac ».
Elle entre dans la cuisine pour mettre la table, et s'installe devant l'ancien héro une fois les assiettes servies.
- Merci de ne pas m'avoir chassée ce matin... marmonne-t-elle en avalant sa première bouchée.
Elle se brûle, il lui sert un verre d'eau en urgence, et l'avale d'une traite.
- Désolé d'avoir envahi ton espace ce matin.
Elle secoue la tête, et retire une mèche de ses cheveux, décidée pourtant à être mangée.
- Ne t'en fais pas pour ça. Je dormirais chez moi, la prochaine fois.
- Non, tu n'as pas besoin de faire ça, ça a dû te mettre mal à l'aise, non ?
Elise réfléchit.
- Je suis d'une espèce rare de gens qui supportent rarement d'être attrapée dans son sommeil. C'est tout. Ça ne m'a pas gênée. Juste... profondément agacée.
Le dernier mot semble sortir de sa bouche pour tomber sur la table, se déplaçant à la manière d'une balle rebondissante : leurs regards s'ancrent dans le bois, et il redresse la tête en premier.
Agacée ? Elle n'était pas mal à l'aise d'être prise dans les bras de quelqu'un, mais agacée ?
- Quel genre de traumatisme te rend agacée d'être prise dans les bras de quelqu'un d'autre ?
Elle répond sombrement :
- Tu ne peux pas imaginer à quel point c'est traumatisant d'avoir une mère tactile.
Félix se détend. C'était donc ça.
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De Fil en Aiguille
FanfictionFélix a maintenant vingt-et-un ans. Toujours plongé dans ses études de stylisme, il regarde parfois d'un air distrait son petit frère Adrien jouer les héros de Paris aux côtés de celle dont il a longuement entendu parler, mais qu'il connaissait bien...