Chapitre 19

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« Un secret digne de ce nom détruira ta vie en un claquement de doigts s'il est entre les mains de la mauvaise personne. »

Cette phrase hante Félix trois jours de suite avant qu'il n'en retrouve l'origine, dans un livre de chez lui. Un livre qu'Elise a sûrement feuilleté lors de son passage chez lui, comme elle le fait de temps à autres.

Il lit la première page, puis la suivante, et se retrouve à nouveau plongé dans ce livre qu'il a déjà lu quelques mois auparavant. Le lendemain, Elise frappe à porte à l'heure, et il lui ouvre sans vraiment la regarder, plongé dans le roman qu'il a recommencé la veille au soir.

On pourrait croire que c'est stupide, de lire quand on participe à un concours, au lieu de l'avancer, mais Félix n'a pas de télévision, et fait très peu d'ordinateur. S'il veut se reposer ou faire une autre activité que celle de travailler, il prend un livre dans sa bibliothèque. Et même si lire n'était pas sa volonté première au départ, elle l'est rapidement devenue.

Elise attend qu'il ait terminé son chapitre, et sort ses propres affaires. Félix pose finalement son livre avec un sourire satisfait. Il lève alors les yeux vers sa partenaire, ayant l'intention de s'excuser de l'avoir faite attendre, mais il se fige, et perd son sourire.

- Qu'est ce qui t'es arrivé ? demande-t-il inquiet.

Elle a un bleu sous l'œil, la lèvre enflée, et les deux mains bandées des premières phalanges au milieu des paumes.

- Je me suis battue hier soir en passant à l'atelier hier soir.

- Avec une couturière ?

Elle secoue la tête.

- Avec l'ex de l'une d'entre elles. On peut commencer ?

Elle a donné chaque explication avec la voix automatique d'un menu de restaurant : clair, net, précis. Il en avait presque oublié cette facette d'elle.

Il arque un sourcil, et s'éclipse dans la cuisine. Il lui tend un torchon noué dans lequel il a mis quelques glaçons. Elise le prend avec un grognement :

- J'en ai déjà mis.

- Mets-t-en encore.

Elle lui lance un regard noir.

- Je sais que j'ai une sale tronche, merci.

- La question n'est pas tant l'état de ton visage, mais ce qu'implique cet état. Tu t'es battue avec un homme qui t'a frappée. C'est toi qui as commencé ?

- A le frapper ? Oui. Mais il n'avait pas à faire le pied de grue devant mon travail, alors qu'il sait que ma couturière a peur de lui. Elle est restée près d'une heure de plus au travail parce qu'elle ne voulait pas descendre. Si je n'étais pas passée, elle y serait restée la nuit ?

Félix sourit vaguement.

- Donc tu es passée devant lui, et tu l'as frappé ?

- Je suis sortie avec ma couturière, et il lui a attrapé le bras. Quand il a commencé à lui faire mal, je l'ai frappé. Pas avant. Quand tu auras fini de rire dans ton coin, tu pourras peut-être me donner le modèle que tu as travaillé hier ?

Il hoche lentement la tête.

- Tu ne l'aurais pas frappé, toi ? demande-t-elle après de longues minutes de silence.

- Ça dépend. Pas directement si c'était juste une collègue, mais si ça avait été Marinette ou Bridgette...

- Marinette ?

- La copine de mon frère.

- Hum.

Il se rend compte qu'il vient de citer deux femmes tout à fait capables de se défendre toutes seules, et pouffe en secouant la tête.

- Elles l'auraient sûrement réduit en bouillie avant, mais bon.

Elise sourit, et grimace. Le mouvement de ses joues lui est douloureux.

- Tu n'as que des guerrières dans ton entourage, ou quoi ?

- Je me suis déjà battu, se défend-il. Et je me débrouille bien, je te signale.

Elle siffle d'ironie.

- Oh, Agreste sait se battre ?

- Félix, grommelle-t-il en lui balançant son travail comme elle l'a demandé.

Malgré sa mauvaise humeur, il finit par concéder que son profil de fils parfait colle mal à celui de héro de Paris. C'est d'ailleurs pour ça qu'il était si bon, et si décalé de la personnalité qu'il adopte tous les jours.

- Tu serais surprise, mais moi aussi, je suis capable de me battre quand c'est nécessaire, dit-il avec un sourire espiègle.

Elise le fixe longuement, et retourne à son observation quand elle s'estime satisfaite.

- On va bientôt pouvoir déposer nos premiers modèles dans notre boxe, est-ce-que ça t'intéresse ?

- Tu changes de sujet, remarque-t-il légèrement déçu.

Elle lui lance un sourire en coin en guise de réponse, et il se résout à dire :

- Je ne pense pas avoir assez de place pour tout ici non plus.

Ils ont déjà terminé six modèles, dont trois définitivement. Et ceux nécessitant de potentielles retouches sont toujours chez elle. Mais effectivement, aussi grand soit-il, l'appartement de Félix ne leur permet pas de ranger leur travail proprement dans toute une armoire prévue à cet effet. Ce n'est pas possible. Et Elise s'est déjà opposée à l'achat d'une penderie déplaçable, sous réserve qu'ils auraient bientôt accès à l'espace de stockage proposé par la faculté.

- Hum.

Elle se rattache les cheveux d'un geste professionnel, et termine sa soirée sur le canapé de Félix, complètement épuisée.

- Tu ne tiens pas la route, la nargue-t-il.

Elle se retourne pour mieux s'allonger.

- Fiche-moi la paix, Agreste.

- Ne commence pas, Lilibellule. Tu as mal aux côtes ?

Elle arque un sourcil rageur.

- Je sais que je ne suis pas assez doué pour éviter de me faire frapper au visage, mais je sais quand même faire éviter mes points vitaux.

Il hausse les épaules.

- Si tu le dis, c'est que ça doit être vrai.

Plus le temps passe, et plus il lui semble qu'elle s'épuise. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il regarde le planning. Le mois de mars approche à grands pas.

- Tu travailles sur la collection de printemps ?

- Bravo, Sherlock.

Il soupire. Si tôt ?

- Tu as regardé les résultats à tes examens ? demande-t-il à la place en s'asseyant.

Elle grogne.

- J'ai treize de moyenne.

- C'est toujours ça de gagné.

- Et toi ? demande-t-elle en relevant la tête.

- Seize.

Elise se rallonge.

- Tu es une tête ou tu travailles ?

- Je travaille.

- Je devrais essayer... un jour...

Un léger sourire se dessine sur les lèvres de l'étudiant.

- Pour ça, il faudrait que tu en aies le temps.

Elle prend la mouche et s'installe définitivement pour dormir, ce qu'elle ne tarde pas à faire.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant