Chapitre 23

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Une abeille se pose sur le sol, et Elise la fixe longuement, les yeux entre-ouverts. Elle n'a pas dormi la veille, et il est possible que la veille non plus, mais elle a quand même dû amener la moitié de sa maison entre deux chez le styliste.

- Vas dormir.

Elle sursaute, et l'abeille s'endort. Elise grogne :

- Non. J'ai eu une idée. Comment tu comptes signer les tenues ?

Il hésite longtemps.

- Hum... je pense qu'il faudrait mélanger les deux.

Elle hausse les sourcils.

- Les deux ? Pas en faire un seul ?

Il secoue la tête en se levant, les mains dans les poches.

- On pourrait en faire un seul logo, avec les deux notre. Je n'ai pas encore le mien, mais...

Elise ne l'écoute plus, son crayon en main. Elle dessine rapidement un carré, puis sa propre signature d'un seul trait, une libellule dont le trajet en pointillés forme un « L » majuscule. Elle se fige, gomme le « L », pour inscrire un « A ».

Elle se lève à son tour pour le rejoindre, lui qui s'approchait déjà.

Elise lui donne la feuille avec un sourire lumineux, et il est obligé de valider l'idée.

- Oui, ça serait génial. Mais tu signerais de ta marque ?

Elle acquiesce.

- Oui. Je sais que ça peut être surprenant, mais c'est notre dernière année. Pour valider cette partie de notre cursus. Je peux me permettre un peu de liberté, j'arrête à la fin de l'année.

Il secoue la tête.

- Pas pour moi.

Elle le regarde longuement, ses yeux verts tirant sur le marron vaguement surpris.

- Ah ? Tu es entré sans faire de classes prépa ?

Il secoue la tête.

- Non. Mais tu as quel âge ?

Elle a besoin de réfléchir une seconde pour répondre :

- Vingt-et-un an. Pourquoi ?

- Tu as sauté une classe ?

Elle réfléchit encore.

- Oui ?

- Mais tu es en troisième année ?

- Et pas toi, réalise-t-elle.

Il hausse un sourcil circonspect, avant de pousser un long soupir.

- On ne risquait pas de se croiser.

- Mais je suis sûre de t'avoir déjà vu en amphi, proteste-t-elle en retrouvant l'indolence de son caractère.

Il fait l'impasse sur une explication aussi simple que possible, à savoir qu'elle s'était sûrement tout bonnement trompée de salle sans s'en rendre compte. A la place, il soupire faiblement, et s'assoit à l'une des nombreuses places disponibles autour des tables encore vides.

Il retrace certains traits lui-même du croquis, et semble finalement entièrement satisfait.

- Est-ce-que ça te va ?

Elle hoche la tête, et le dessin est posé.

- Bon, bah nous n'avons plus qu'à trouver où le mettre sur ce qui est déjà fait, et...

Le temps qu'il cherche à terminer sa phrase, Elise, qui s'était assise entre-deux dort à poings fermés. Il hausse un sourcil curieux, et lâche un grognement après réflexion.

- Si la fatigue l'empêchait aussi bien de travailler que la faim, elle ne passerait pas plusieurs jours sans fermer l'œil.

Le soupir profond de sa coéquipière lui ôte toute envie de la réveiller. Après tout, peut-être dormira-t-elle mieux dans la position qu'elle a prise et ici.

Il pose sa veste sur ses épaules et sort de la pièce pour aller dormir, lui aussi. Il y a des choses qu'il a apprises au contact d'Elise, sur elle, et sur sa propre manière de vivre. Le fait qu'il peut sauter les repas quand il est trop occupé pour y penser, ou le fait que dormir quand elle dort est un moyen d'être autrement efficace, à leur réveil à tous les deux. Ça ne veut pas dire grand-chose, mais quand on n'a pas l'habitude de sortir pour faire autre chose que sauver Paris et aller en cours, on n'a pas l'idée de penser que d'autres sont tout aussi occupés.

Félix se déshabille, et se couche, dans le lit de sa chambre.

Ça fait comme une éternité qu'il n'a pas passé une nuit ici. Et il n'a pas encore vu son père depuis leur arrivée la veille.

Il fait jour dehors, et pourtant, la ville semble bien silencieuse, derrière les fenêtres de la pièce. Cette dernière, en miroir avec celle de son petit frère, possède bien plus de livres, remplaçant les CDs et mur d'escalade d'Adrien. C'est son seul regret, quant à cette pièce. Pour le reste, il estime sans problème pouvoir s'en passer.

- Félix ?

Il est réveillé par Elise, qui habituée à déambuler chez lui, s'est largement autorisé à faire la même chose ici. Elle a donc frappé à sa porte, après avoir avisé les pièces les plus proches de l'atelier.

Elle appuie même sur la poignée, et passe la tête dans l'embrasure. Elise entre dans la pièce lumineuse, se disant que bien fatigué, Félix n'aurait pas pensé à fermer le rideau, et croise son regard endormi enroulé sous la couette.

Pour avoir déjà dormi avec lui, elle sait que s'il est dans cette position, à plat ventre, l'oreiller dans les bras, et la couverture en boule autour de lui, c'est que son sommeil a été agité. Elle s'assoit sur le rebord du lit, tandis qu'il émerge lentement.

- Tu veux un café ?

Ce n'est pas la première fois qu'elle le réveille. Et elle ne s'est jamais excusée pour ça. Mais sa question habituelle l'empêche de lui en vouloir. Elle ne lui en propose qu'en deux occasions : lorsqu'elle s'en fait un, ou pour se faire oublier.

- Avec plaisir. Mais on a quelqu'un pour le faire, ici.

Elle sourit.

- Ne bouge pas.

Elle revient dix minutes plus tard, deux tasses de chez elle dans les mains.

Il fronce les sourcils, assit, mais toujours enroulé dans sa couverture, et saisit l'une des deux.

- Comment tu as fait ?

Elise commence à boire lentement et hoche la tête avant de répondre :

- J'ai pris ma machine. Et deux tasses. Au cas où. Je n'aime pas les autres cafés. Sauf peut-être le tien.

Il soupire en avalant une courte gorgée.

- C'est le même que le tien.

Elle acquiesce.

- Je sais.

Il sourit vaguement, et Elise fait le dos rond, avachie sur elle-même en attendant qu'il reprenne la parole.

- Il est quelle heure ?

- Dix-sept heures. Ton frère ne devrait pas tarder, si ?

Il hoche la tête, pose la tasse sur la table de chevet et se lève.

Elle le regarde faire longuement, pendant qu'il s'habille rapidement. Il se débat avec son pantalon quand Marinette fait irruption dans sa chambre, plus souriante encore que pouvait l'être Adrien la veille :

- Félix !

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant