Chapitre 31

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La journée est bien plus mouvementée qu'Elise ne l'aurait cru. Elle doit jongler entre un partiel de mi-semestre, la sortie officielle de sa collection de printemps, le concours... et Félix. Ce qui, pour chaque personne le connaissant, ce n'est pas une mince affaire.

Heureusement pour elle, Elise n'a pas à le voir de la semaine, puisqu'il doit faire un stage. Malheureusement pour lui, l'idée de ce stage le met définitivement d'une humeur massacrante, dont il ne se défait pas pour dire bonjour à la personne qui l'accueille dans l'entreprise.

Il commence sérieusement à être tendu avec l'approche progressive du défilé pour le concours. Si bien que même s'ils ont encore du temps pour la couture, ils ne doivent pas perdre de vue toute la logistique du défilé : les accessoires et chaussures, les mannequins et la musique, Elise et sa machine à-

Il écarquille les yeux.

- Hein ?

Il secoue la tête, et tente de rebrancher son cerveau à ce que dit son interlocuteur tout en marchant, dos à lui.

Elise ne pense pas comme lui. Elle n'est pas aussi perturbée par la date limite, puisqu'elle a l'habitude d'être toujours pile poil dans ses délais. Mais ça ne veut pas dire grand-chose. Mis à part que son calme tape de plus en plus souvent sur le système de son coéquipier.

Félix ne sera pas à Paris de toute la semaine, et il espère sincèrement que ça ne n'empêchera l'étudiante de travailler sur leur collection en cours de route.

- Ne t'en fais pas, ça va aller, lui avait-elle assuré d'un air enjoué.

C'est justement ce qui lui avait fait un peu peur. Cet air enjoué. Comme si elle allait prendre des vacances pendant son absence ou danser la java toute la nuit.

Félix marche dans l'entreprise pendant une longue et interminable demi-heure, lorsqu'on lui annonce joyeusement que de toute façon, il ne s'occupera pas de cette section de la semaine.

Le lendemain, il regrette amèrement de n'avoir pris qu'un seul livre avec lui. Pour, le troisième, regrette de n'avoir finalement rien prit d'autre que son ordinateur. Même Bridgette aurait été plus supportable si elle avait été dans cette pièce toute seule avec lui toute la journée, que cette solitude pesante, dont il pensait pourtant avoir l'habitude.

Le quatrième jour, Félix a écrit son rapport depuis longtemps, dessiné deux nouvelles tenues pour le concours dans lesquelles il a apporté une touche de noir. Et le cinquième, il se résout à appeler Elise, seule personne de cet univers qui ne pourrait pas lui faire une remarque du style : « Tu t'ennuies assez pour m'appeler ? ». Et il tombe sur le répondeur.

- Et merde.

Il pose son téléphone sur le bureau qui lui a été alloué, et se pose la question une dernière fois : quel était l'objectif de ce stage, déjà ?

Le téléphone vibre énergiquement, tandis qu'il se redresse d'un geste brusque.

- Allô ?

- Tu m'as appelée.

- Oui, je voulais savoir comment ça allait.

- Ton frère, moi, ou la collection ?

- Tu peux répondre à quoi ?

- Tout.

- Et tu veux répondre à quoi ?

- Je viens de me réveiller brutalement en cours, après avoir passé près d'une heure endormie. Mes camarades m'ont laissée dans l'amphi, ceux d'après m'ont laissée aussi. Je n'aime pas l'Histoire.

- Hum.

- Tu te sens seul ?

Il fronce les sourcils.

- A peine.

Il entend sa coéquipière soupirer.

- Ouais, moi aussi. En fait, comme on ne se voit pas, mes journées sont longues, et je vais en cours pour m'occuper.

- Tu n'as pas avancé les tenues ?

- Si. Je m'ennuie assez pour avoir terminé les trois entre lundi et mardi. On n'a plus de travail en stock. Je déprime un peu. Tu rentre quand ?

- Samedi soir. Pas question de rester là-bas jusqu'au dimanche matin.

Elle rit soudain.

- Quoi ?

- Rien. Ça me fait plaisir que tu appelles, parce qu'hier, j'ai été chez toi mécaniquement, et j'ai poireauté devant la porte. Ton frère est passé aussi. Il avait l'air d'avoir eu oublié, lui aussi. Il était déçu. Mais il va bien.

- Je vois.

Il soupire. Il n'a rien à dire, puisqu'il n'a rien fait de la semaine, mais Elise propose :

- Je peux mettre ma caméra en rentrant, et on peut bricoler ensemble, si tu veux.

- Hum ?

- J'ai dessiné une tenue, pas toi ?

Il sourit.

- Si. J'en ai.

- On peut essayer d'en faire une ou deux à distance, comme ça je peux peut-être en travailler encore une.

- Bonne idée.

Ils les terminent finalement toutes, sans exception, puisque les quatre dessinées sont les dernières pour parfaire l'ensemble des trente tenues nécessaires à la présentation du concours.

- Je poste une demande de mannequins sur le forum ?

- Oui. Tu veux quoi comme personnes ?

- Il nous faut un homme et trois femmes. Je n'ai pas de préférence, nos vêtements iront à tous types de mannequins, je les ai travaillés comme je travaille les miens, avec un standard différent, mais c'est la même chose.

- Je n'ai pas de préférences.

- D'accord, je note.

Elise fait disparaître son bras le temps d'attraper un post-it bleu, et il s'approche de son écran.

- Tu as acheté des post-it, dit-il

Elle le regarde, le visage grave.

- Félix. Tu ne mesure pas les conséquences de ton absence. Je me suis assez ennuyée pour aller à la fac. Moi. A la fac.

Il éclate de rire, et la porte du petit bureau dans lequel on l'a caché s'ouvre.

- Assez de temps pour s'amuser, Monsieur Agreste.

- Je profitais du calme pour appeler mon équipe de projet de la faculté, répond-il brusquement impassible.

Toujours au bout du fil, Elise se fait discrète, jusqu'à ce que l'homme qu'elle ne voit pas, répond :

- Tu es surtout en train de ne rien faire d'autre que prendre du bon temps.

- Non mais il se prend pour qui, lui ?! s'énerve-t-elle. Il ne passe qu'une fois dans la journée, occupé à glander dans son bureau, et il vient faire la morale ? Mais qu'il aille se faire-

Félix éteint l'appel pour limiter les dégâts, et Elise rappelle de suite. Il laisse le téléphone vibrer, debout devant son interlocuteur.

- Je pense qu'elle n'a pas tout à fait tort. Selon les chiffres que vous m'avez donné, et ce que j'ai pu observer dans votre service, vous êtes conscients que trente pourcents de vos effectifs pourraient disparaître pour le même résultat ? Il me semble qu'un peu plus d'efficacité s'impose.

Il réajuste sa cravate et son veston, avant de le dépasser pour sortir.

- Et où vous pensez aller ?

- Calmer la furie à l'autre bout de la ligne, répond-il froidement sans se retourner.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant