Chapitre 27

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- Bonjour, dit-elle sans le regarder.

Félix la dévisage comme si des extraterrestres avaient enlevé l'étudiante dans la nuit pour la remplacer par l'un d'eux, et finit par répondre :

- Bonjour.

Elise est en train de coudre des fleurs en tissu, à la main, sur une robe qui n'existait pas encore la veille au soir, assise sur un tabouret, courbée en deux. La seule explication qu'il trouve est qu'elle a passé la nuit ici.

Le long jupon bleu est tapissé de fleurs en tissu rose pastel, de la taille jusque bien plus dégradé vers le bas. Le bas étant bien plus court devant de derrière, le travail d'Elise sur le devant de la tenue est pour ainsi dire, presque terminé.

- Elle est vraiment belle.

Elise tourne la tête brièvement vers lui.

- Le haut était intégralement ton idée.

Il acquiesce lentement, s'approchant du buste pour défroisser le tissu rouge, qui passe sur le côté des épaules sans vraiment les couvrir, du mannequin en tissu et bois.

- On n'a jamais mis les autres sur mannequin, réalise-t-il soudain.

L'étudiante lève à nouveau les yeux vers lui, et son regard s'illumine. Elle laisse l'aiguille pendre à la robe pour être sûre de ne pas l'oublier, et se lève rapidement.

Félix est déjà de l'autre côté de la salle, des bustes non-utilisés dans chaque bras. C'est dans ce moment intense de remaniement de la pièce qu'Adrien, regardant les deux adultes excités. Il se fait la réflexion qu'ils ont l'air d'enfants devant un cadeau de noël, avant de se faire violemment embaucher :

- Prends les deux derniers, s'il-te-plaît, lui lance son frère.

Elise a préalablement retiré la housse de leur première tenue, et est montée sur la table pour passer le haut de la robe sur le mannequin. Félix l'aide, sur la pointe des pieds, et le cadet les regarde, les yeux écarquillés.

- Wouaw. C'est vraiment génial.

Félix et Elise lui lancent un regard entendu, comme si ça allait de soi, et Adrien n'eut pas le temps de s'inquiéter pour leurs chevilles qu'il était déjà embauché pour autre chose.

La tenue est fermement positionnée, et la fermeture est remontée.

- Il y a des mannequins homme ? demande-t-elle en sortant de sa housse la tenue suivante.

Félix regarde son frère avec un sourire sarcastique, et laisse échapper :

- Adrien va aller demander.

L'adolescent blêmit.

- A Père ?

L'étudiant rit doucement.

- Non, à Nathalie. Je ne suis pas sadique à ce point.

Elise secoue joyeusement la tête sur le côté en chantonnant faiblement :

- Sadique, mais avec des principes.

A demi éberlué à la fois par l'audace de la réplique mais aussi par le sourire discret de son frère, Adrien ne se rend pas tout de suite compte que ce dernier l'a raccompagné à la porte de l'atelier, l'enfermant dans le couloir.

- Mais vous en avez vraiment besoin ? geint-il derrière le bois.

- Oui ! répondent les deux voix en décalé.

Le héros pince les lèvres.

- Et encore une mission pour sauver Paris ! murmure-t-il pour se donner courage.

Non pas parce qu'il a peur de Nathalie, loin de là. Ce dont il se méfie comme la peste, c'est de l'emplacement de son bureau, juste à côté de la porte du bureau de son père. Imprévisible comme il est, Gabriel Agreste pourrait en sortir sans même que les instincts de conservation du cadet ne s'en rendent compte. Et à ce moment-là, il serait trop tard pour échapper à tout : le regard impassible, le visage sévère, la demande de renseignement quant à ses devoirs ou rendez-vous...

Il en frissonne à l'avance. Il ne marque cependant aucun arrêt ou ralentissement, se disant qu'après tout, son père n'est pas aussi effrayant que le vilain qu'il a encore combattu la veille.

- Bonjour, Nathalie.

La secrétaire remonte la tête vers lui et réajuste ses lunettes.

- Bonjour Adrien.

- Vous savez s'il y a des bustes pour hommes dans le manoir ? Pour Félix ? S'il-vous-plaît ?

Il repasse la porte une trentaine de minutes plus tard, suivit « du gorille », avoir trois mannequins dans les bras, et trois autres à aller chercher.

Il en est certain, Félix et Elise sont bien les mêmes personnes étrangement calmes et silencieuses que la première fois qu'il les a vus ensembles, la jeune femme à moitié endormie au-dessus de son assiette, et son frère lui servant une part de pâtes sans fromage alors qu'il aime en faire un gratin.

Et pourtant la pièce semble lumineuse, et chaleureuse. Comme si ce n'était pas le blanc des meubles qui allumaient l'espace, mais leur propre présence, et leur travail. Onze modèles préparés et disposés sur leur mannequin au travers de la pièce habillent l'espace, et Elise se contente de coudre en parlant les fleurs en tissu que Félix coupe en écoutant.

Adrien pose le mannequin en silence, et se souvient que Marinette lui avait déjà parlé de cet aspect de sa personnalité : Félix n'est pas quelqu'un qui parle, mais quelqu'un qui écoute, et conseille. Qui taquine, aussi, un peu comme lui, à croire que le caractère joueur du Chat Noir les a tous les deux contaminés.

Quand ils remarquent leur présence, les deux stylistes se lèvent et viennent chercher les mannequins pour les habiller des deux ensembles pour hommes qu'ils ont faits.

- Ta marque est essentiellement pour femme, toi, non ? demande Félix en ajustant la veste sur le portant.

Elle acquiesce.

- Oui. Adolescentes et femmes. Je vais peut-être même faire quelques vêtements pour femmes enceintes, à la prochaine collection. L'une de mes mannequins l'est, et j'ai pensé que certaines personnes pourraient être déçues de ne pas pouvoir porter du Lilibellule, juste parce qu'elles ont du ventre. Et les vêtements en taille larges que je propose sur le site ne sont pas non-plus une bonne option. Je voudrais faire quelque chose qui irait à leur taille. Confortable, et à la bonne taille.

Elle termine de nouer la cravate, avant de la disposer soigneusement d'un air négligé dans la pochette de la veste.

- Parfait, dit-elle en le lâchant. Dis, demande-t-elle soudain, tu aimerais avoir ton propre magasin, un jour ?

Il hausse un sourcil.

- Tu aimerais, toi ?

Elle sourit vaguement.

- Je ne sais pas. J'ai un doute. Je ne voudrais pas que le site manque d'attention, ou que les gens soient déçus par une baisse de qualité. C'est pour ça que je n'ai que deux couturières. Je préfère être en rupture de stock, plutôt que de me retrouver avec de mauvais retours. Et je touche plus de gens, par internet. Mais la finalité... oui, c'était que je devienne gérante de mon magasin. Et là, on se casse le nez sur le prix de l'immobilier, dans les bons quartiers.

Félix hausse les épaules, nonchalant.

Il porte toujours sa cravate et son veston, mais il a retroussé ses manches, et Elise remarque un singulier lâcher-prise dans la structure ébouriffée de ses cheveux. Elle-même se surprend à porter une jupe de sa propre collection, alors qu'elle porte habituellement le même modèle de pantalon, dans son armoire en plusieurs exemplaires.

- Je ne pense pas que tu doives te faire du souci pour l'argent, si on gagne ce concours.

Elle tourne la tête vers lui.

- Je pense qu'on va te faire gagner quelques galons, dit-il légèrement.

Elise dodeline de la tête.

- Si c'est ça, gagnons !

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant