Chapitre 24

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Marinette rougit légèrement et ressort en hurlant un « désolée ! », et en claquant la porte.

Elise termine sa tasse lentement.

- La pauvre. Elle n'a jamais vu le torse d'un homme ou quoi ?

Il se tourne vers elle, qui le regarde toujours.

- Tu n'es pas sensée le voir non-plus.

Elle arque un sourcil.

- Pourquoi louper une physionomie pareille ? Je suis styliste, et honnêtement, des silhouettes athlétiques comme la tienne et celle de ton frère, c'est assez rare, dans le monde de la mode. Habituellement, ce ne sont pas des muscles comme ça.

Elle se lève pour expliquer :

- En fait, tu as des muscles là où ceux qui font seulement de la musculation n'en n'ont pas. C'est... hum... comment dire... comme des vrais ? C'est assez rare.

Elle n'a pas le regard aussi lumineux que lorsqu'elle fait de la couture, mais son air faussement professionnel fait qu'il ne la retient pas lorsqu'elle lâche finalement :

- Je retourne à l'atelier, à tout de suite.

Félix la regarde partir, les sourcils haussés, et se permet d'enfiler sa chemise avant de fermer son pantalon et de boucler sa ceinture. Il secoue la tête et replace les cheveux blonds qui tombent devant son visage sur le dessus de sa tête.

- Cette fille, c'est vraiment quelque chose.

Le bruit de la porte qui s'ouvre derrière elle dans l'atelier fait penser à Elise que Félix est enfin arrivé. Mais quand elle se retourne, les lèvres entre-ouvertes pour lui faire part d'une observation, elle se retrouve face à « Gabriel ».

Raide, il la dévisage longuement avant de commencer :

- Je suis toujours et éternellement curieux à votre sujet. Vous êtes vraiment un cas à part. Vous payez vous-même vos factures. Vous avez terminé de rembourser vos locaux. Vous avez déjà votre propre marque, mais vous n'avez que vingt-et-un ans. Vous êtes audacieusement molle, quand vous êtes inintéressée, mais vivante à l'extrême quand vous créez. Vous avez des résultats moyens, mais ils semblent être dû à l'état de fatigue avancé dans lequel vous vous rendez à vos épreuves, ou à l'incroyable retard avec lequel vous vous présentez.

Il marque une courte pause, puis demande :

- Qui êtes-vous ?

Elle hausse un sourcil, et se redresse, faisant fi de son indolence habituelle.

- Je suis moi. Je ne serais jamais ce que vous pensez que je suis, et je ne serais jamais ce que vous voudriez que je sois. C'est difficile pour les gens ordinaires de comprendre. Mais parfois, nous tombons sur des gens extraordinaires qui comprennent. Ou mieux. Qui ne cherchent jamais à comprendre. C'est pour cette raison que j'ai eu envie de travailler avec Félix. Parce que pour quelqu'un à qui on avait appris à toujours avoir les réponses, il semblait les chercher bien peu. Je m'en suis rendu compte en rencontrant Adrien. Ils sont comme ça. Pourquoi expliquer quand il suffit de s'adapter ?

Le styliste la regarde à présent fixement.

- Un jour j'ai compris que ça ne servait à rien, de rester dans sa bulle, ou d'intégrer pleinement le monde des autres. Il suffit seulement d'être soi-même, et de trouver une personne qui fera le lien à la réalité.

- Vous insinuez que vous pourriez être un génie sans nom si vous y mettiez du votre, mais que ça vous obligerait à être quelqu'un que vous ne voulez pas être ?

Elle s'appuie sur le rebord d'une table, les mains dans les poches.

- C'est exactement ça.

La porte s'ouvre cette fois sur Félix et Adrien, suivis de près par Marinette.

Gabriel Agreste se fige, et pousse un soupir désabusé :

- Si vous restez sur cette voie, vous ne ferez jamais rien de votre vie.

- Rien ? répond-elle amusée. Mais je possède déjà ma propre entreprise, j'ai déjà remboursé mon crédit, je paye même mes factures, dit-elle en répétant sa propre liste. Je ne suis pas sûre que nous ayons la même définition du « rien », Monsieur Agreste.

L'air de l'homme se fait brièvement satisfait, avant de retrouver son austérité battante.

- N'oubliez pas que vous n'êtes pas en vacances, dit-il seulement en repartant.

Elise lui tire ouvertement la langue sans qu'il ne la voie, de dos, et elle sourit lorsqu'il est sorti :

- C'est exactement le genre de vacances dont on rêve, non ?

L'étudiant pince les lèvres :

- Je renonce à mon devoir de t'expliquer la différence, dit-il seulement. Regarde ça, dit-il soudain bien plus sérieux.

Il lui tend son téléphone, et elle se demande vaguement où est le sien avant de devoir s'accrocher à la première chaise qui passe.

- Où tu as eu ça ? demande-t-elle les sourcils incroyablement froncés.

- Envoyé à tout le monde sur le mail de l'école. Tu reconnais les modèles ?

Félix a déjà vu Elise contrariée, mal levée, ou morne. Il l'a même déjà vue lumineuse comme un soleil, ou avec un œil au beurre noir. Mais jamais assez folle de rage pour qu'elle en tremble de tout son être.

Elle repose lentement l'objet pour ne pas être prise par la furieuse envie de le lancer à l'autre bout de la pièce et tourne le dos au groupe en se tenant la poitrine. Elle a envie de crier. De pleurer. Sa poitrine lui fait tellement mal qu'elle en a le vertige et que ses jambes ne la portent pas. C'est de la colère noire comme elle n'en n'a pas ressentie depuis longtemps, comme une vague de rage incontrôlable.

Marinette et Adrien se figent, prêts à devoir intervenir en tant que Ladybug et Chat Noir, quand Félix pose sobrement sa main sur l'épaule de l'adolescente.

- Je m'en occupe.

L'ensemble des vêtements qui viennent d'être publiés aux nez et à la barbe de son propriétaire, c'est la collection qu'il l'a vue dessiner pendant des heures. La prochaine collection de Lilibellule. Et ce n'est qu'en voyant les larmes d'Elise qu'il réalise à quel point cette information est bien trop importante pour elle.

Il s'assoit à côté d'elle pour la réconforter quand elle lève soudainement la tête ver lui, mi-furieuse, mi-langueuse.

- Mais pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant