Chapitre 21

71 8 0
                                    

Le onzième modèle terminé entre les mains, Félix passe en revue les détails une dernière fois, avant de devoir l'emmener au dépôt.

On frappe à la porte, et Elise apparait, un paquet de feuilles dans la main.

Elle semble tellement hors d'elle qu'il se demande si son père a réellement perdu encore son temps à aller la voir.

- Regarde ça.

Elle lui donne son petit paquet, et il les observe avec horreur. Il s'agit de plusieurs modèles, tous de différents groupes, pris en photographie, après que les serrures eurent été forcées, d'après la lettre d'excuses.

- Les notre sont déjà retournés chez moi. Mais on n'a plus de place, et on ne sait pas s'ils n'ont pas été pris en photos eux-aussi. On nous demande de ne pas prendre en compte ces images et de les jeter.

Il ferme les yeux :

- Mais personne ne fera une chose pareille, c'est l'occasion de savoir ce que les autres valent et préparent.

Il pince les lèvres.

- Je vais voir mon père. Tu veux venir ?

- On va quoi ?

Il sourit.

- Ça ne me fait pas vraiment plaisir, mais c'est le meilleur moyen d'avoir de la place. Il y a deux ateliers, à la maison.

Il enfile son manteau tout en parlant. Il glisse ensuite les feuilles dans une pochette à rabats et la tend à Elise, qui peut la mettre dans son sac.

Il ne leur reste que deux modèles à dessiner. Et dix-neuf à coudre. Mais coudre ne pose pas réellement de problème, dans cette situation. Entre les cours, ils ont le temps d'en faire une en trois jours.

Mais il faut stocker les tenues quelque part, et avoir de la place pour travailler pour les prochaines vacances, où il faudra entièrement réviser la collection, deux mois avant de la présenter.

C'est chez son père qu'il pense qu'ils seront le mieux installés.

- Donc c'est ta solution, dit-elle lorsqu'ils arrivent enfin devant l'immense portail.

- Oui.

Le sol se met à trembler, Félix rentre la tête entre les épaules, et Elise sursaute. Une explosion deux rues plus loin retentit, et deux silhouettes familières semblent arriver pour régler la situation.

- Allons à l'intérieur. Mieux vaut éviter de rester dans les rues.

Elle hoche la tête, et ils passent le portail.

L'assistante de Gabriel AGRESTE les arrête, à peine entrés.

- Monsieur n'est pas disponible, je regrette.

- Il m'a dit lorsque je me suis inscrit au concours de ma faculté qu'il m'apporterait l'aide dont j'ai besoin. Je viens demander cette aide. Il nous faudrait l'accès à l'un des deux ateliers. Le plus petit suffira.

La femme aux cheveux rouges et noirs les toise derrière ses lunettes rectangulaires.

- Je ne suis pas sûre que cette aide s'apporte également à votre couturière.

- Ce n'est pas ma couturière, c'est mon binôme.

Elle semble surprise, comprendre la colère singulière de son patron ses derniers jours, et finit par soupirer.

- C'est bien la première fois que vous me causez autant de soucis.

- Je sais. Et j'en suis désolé. Mais il faut qu'il choisisse. Mais victoire en binôme, ou pas de victoire du tout.

Le ton synthétique son coéquipier lui arrache un sourire. Ce n'est pas tous les jours qu'elle le voit argumenter auprès de quelqu'un d'autre qu'elle-même, et surtout avec cet air froid avec lequel il l'a abordée il y a déjà près de six mois.

L'assistante finit par hocher la tête.

- Je lui en parlerai. Vous aurez accès à cette salle.

Il sourit.

- Merci.

Le soir même, Adrien frappe à la porte de son frère aîné, bien décidé à manger avec lui, en ce vendredi, annonciateur du week-end.

L'homme lui ouvre avec un air fatigué, mais sans le moindre doute heureux de le revoir. Le cadet n'est pas passé depuis près d'une semaine, et la surprise qui se cache derrière son dos lui fait tout autant plaisir.

- Félix !

Il répond au sourire de la jeune fille avec le sien, et les fait entrer tous les deux.

- Désolé. Elise est encore là. Ou plutôt... son corps. Ça ne vous dérange pas ?

Si peu habitués aux plaisanteries de sa part, Marinette regarde l'ancien héro livide, avant qu'il ne se baisse au-dessus de l'accoudoir du canapé.

- Vas dormir dans mon lit, mon frère et sa copine sont arrivés.

- Hum...

- Aller. Tu baves sur son cahier.

Il tire ledit objet avec difficulté, et une sorte de zombie brun se lève du canapé.

Elle ne calcule pas les deux invités, et s'avance au radar jusqu'à la chambre de son binôme.

- C'est... ta coéquipière ? demande Marinette.

- Oui.

- Et tu la laisse dormir dans ton lit ?

La question d'Adrien frise l'incrédule, et la réponse de son frère lui fait un choc :

- Je dors à gauche. Et elle dort naturellement à droite. On est fait pour s'entendre.

- Mais...

Il va fermer la porte de sa chambre, après avoir visualisé rapidement le corps de l'étudiante, bien à droite, et déjà sous la couverture.

- Elle a eu une semaine difficile. Des concurrents ont eu leurs modèles placardés dans la fac lundi. Et elle termine la collection de printemps de sa boite. Sans parler des examens de mi-trimestres dans trois jours. Et tout ce qui va avec, dit-il tout en rangeant les affaires d'Elise et lui tantôt dans l'armoire à tissus qui n'avait absolument pas cette fonction avant l'arrivée d'Elise, et carnets de travail à elle qu'il met avec les siens dans sa bibliothèque à lui.

- Vous êtes... proches.

- Si tu le dis.

Marinette met la table avec un sourire goguenard, auquel Adrien se fait une joie de répondre avec le sien.

Fatigué, Félix se contente de sortir les plats qu'il a déjà cuisinés la veille, où il n'avait sensiblement rien à faire, pendant qu'Elise dormait, entre quatre et sept heures du matin.

Une fois le gratin sur la table et bien chaud, l'étudiant se permet d'ajouter un couvert, moins d'une minute avant que la porte ne s'ouvre d'elle-même. Elise se recoiffe sommairement, encore à moitié endormie, et se laisse tomber sur la chaise vide, avec un vague « bonjour ».

- C'est quoi ? demande-t-elle en regardant le contenu suspicieux du plat en verre.

Félix répond avec un sourire satisfait :

- Un gratin de pâtes.

Elle sourit à son tour.

- Miam.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant