Chapitre 12

73 9 0
                                    

Félix arrive devant le portail à l'heure indiquée pour venir chercher ses résultats. A sa grande surprise, Elise est déjà là, assise sur un banc, penchée en avant les mains jointes, coudes sur ses genoux.

Son visage inexpressif le fait frissonner. Il est vraiment comme ça quand il se veut illisible ?

Il s'assoit près d'elle, les résultats ne sont pas encore scotchés sur le panneau.

- Tu as l'air en meilleure forme qu'hier.

- Je n'avais pas les yeux en face des trous, désolée.

Il soupire.

- C'était à cause de ton travail ?

Elle secoue doucement la tête.

- Non, je n'ai aucune excuse. Dormir au travail me détend, en général. C'est pour ça que j'y ai été.

- Et ton patron est d'accord.

Elise sourit vaguement.

- Pas vraiment, mais je ne vais pas avoir de problèmes ce coup-ci.

Un silence flotte, et elle dit soudain :

- Ton frère te ressemble beaucoup.

- Pardon ?

- Ça se voit moins sur les photos, mais dans la réalité, il te ressemble beaucoup. Je l'ai croisé avec son amie en partant de chez toi l'autre jour. Je pense qu'ils allaient te voir.

- Oui, ils sont passés. On ne me dit pas souvent qu'on se ressemble. Il a les yeux de notre mère alors que j'ai celui de notre père.

Cette fois, elle sourit, les yeux toujours perdus dans le vide.

- Vous avez pourtant le même regard. C'est farouche comme impression. Un peu comme si vous n'étiez que deux fauves en cages, et qu'un rien pourrait vous faire sortir de vos gons.

Il la fixe attentivement quelques minutes.

- Tu es vraiment bizarre.

- Si tu ne le pensais pas, c'est toi qui le serais, rétorque-t-elle.

- Hum. Peut-être.

- Dis-moi Agreste, ton père, il est d'accord pour que tu fasses équipe avec moi ?

Il serre la mâchoire.

- C'est trop compliqué de m'appeler par mon prénom ?

- Tu m'appelles par la marque de mes vêtements. Je ne m'énerve pas comme ça, moi.

- Mais ça l'est. Enervant. C'est insupportable.

- Parce que c'est le nom de ton père et que tu n'as pas encore pris ton indépendance vis-à-vis de lui ?

Il se tait, en colère. Elle a beau avoir raison, il n'aime pas en entendre parler. Il fait ce qu'il peut pour être réellement lui à part entière. Et c'est compliqué comme objectif quand on est façonné en permanence par quelqu'un d'autre que soi-même.

- Désolée. Je ne pensais pas avoir raison, l'entend-il en se levant. Les résultats sont affichés. Reste là reprendre tes esprits, je vais voir.

Quand Elise revient, il est toujours coincé dans sa tête, bataillant contre cette folle envie de lui hurler dessus.

Elle se penche vers lui et dit simplement :

- On est reçus.

- Hum.

Félix se lève à son tour mécaniquement, et elle le regarde partir. Et tandis qu'elle regarde sa silhouette s'éloigner d'un pas régulier, elle trouve le thème qu'ils vont aborder, peu importe ce qu'il pourra en dire : la renaissance.

Elle soupire de contentement en regardant les arbres perdre leurs dernières feuilles. Dans quelques jours, ils seront en hiver. Il est grand temps de commencer à travailler.

La jeune femme rentre chez elle et commence à chercher les tissus qu'elle va utiliser pour son idée. Elle aimerait avoir deux couleurs dominantes particulières, et adaptables à toutes leurs idées. Seulement, comme elle n'en n'a pas encore parlé avec son binôme, et qu'elle ne trouve pas ce qu'elle cherche dans ce qu'elle a déjà, elle est obligée de faire la couleur au crayon de couleur aquarellable.

Six mélanges de couleurs plus tard, elle a trouvé ce qu'elle cherchait, et dessine le premier croquis auquel elle pense. Elle noircit six pages avant d'aller se coucher, et débarque chez Félix à sept heures le lendemain.

- Tu n'as rien d'autre à faire que de venir à cette heure-là ? demande-t-il en grimaçant, alors qu'il a sûrement dormit tout habillé.

Elle lui adresse un sourire lumineux qui le réveille.

- Absolument pas ! Viens voir, j'ai trouvé quelque chose, dit-elle en entrant comme si elle était chez elle. Je voudrais ton avis. Tout ce à quoi j'ai pensé est dans le carnet, il est neuf, fais ce que tu veux dedans, c'est pour le concours, je vais chercher du pain pour le petit déjeuné à la boulangerie que j'ai vue en face de chez toi, à tout de suite !

Elle a laissé son sac sur une chaise après avoir pris son portefeuille, et a repassé la porte en coup de vent, de la même manière qu'elle était entrée.

Un instant figé, Félix ouvre distraitement le carnet et tombe sur la première page de couleurs.

- Il faut que je prenne une douche, dit-il en laissant l'objet sur la table.

Cinq minutes plus tard et avec une tasse de café dans la main, Félix est installé à table, son propre carnet ouvert devant lui, un crayon entre les phalanges de sa main libre, et le bout des doigts accrochés aux pages d'Elise.

Cette dernière ne frappe même pas avant de rentrer comme si elle était chez elle, et il ne s'en formalise pas le moins du monde quand elle s'installe essoufflée devant lui.

Il redresse la tête.

- Tu as eu ces idées hier ?

- Oui. Ça te plaît ? Dans l'idée.

- Oui, l'idée me plaît beaucoup. Mais les styles sont un peu trop hétéroclites, non ?

Elle hausse les épaules.

- Ce n'était que des idées, mais on peut faire ce genre de choses. De toute façon, ce ne sont que des premiers jets.

- Et ces couleurs, dit-il en acquiesçant, tu les as chez toi ?

Elle secoue la tête, soudainement ennuyée.

- Non, je ne sais même pas où les trouver.

- Des couleurs pareilles, soupire-t-il. Elles sont belles. Si on peut les trouver, ce serait vraiment parfait.

Elise sourit.

Les deux couleurs qu'elle aimerait voir dominer dans leurs tenues sont un rouge profond, aux reflets bleutés, et un bleu ciel épais. Elles se marient à merveille l'une et l'autre, et Elise regrette de ne pas être dans un pays asiatique, où des quartiers entiers de textiles mettent à disposition des maîtres dans la couleur et la qualité.

Félix a arrêté d'étudier les croquis de sa partenaire dès qu'il l'a vue froncer les yeux la première fois. Cette fille qui vient de s'animer sous le coup de la passion et qui était pourtant à l'origine si fade en tout semble s'être allumée comme une lampe. Elle irradie l'espace autour d'elle.

- Ces motifs, dit-il soudain en repensant au dernier dessin, tu comptes les broder ?

Elle secoue la tête, narquoise.

- Je compte les peindre.

Il écarquille brièvement les yeux, avant de sourire légèrement.

- Les peindre, répète-t-il. Ça c'est une idée.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant