Chapitre 13

68 9 0
                                    

Félix sort du septième magasin de tissu avec l'air plus dépité que s'il avait déjà perdu le concours auquel lui et Elise se sont inscrits. Ils sont en janvier, et pour une fois que les rues n'étaient ni verglacées ni enneigées, il avait pensé que refaire un tour dans les boutiques qu'il n'avait pas faites lui aurait permis de trouver leur rouge et bleu dont ils ont tant besoin. Trois croquis sont déjà validés et certaines pièces ont déjà été réalisées. Mais le temps passe et s'ils ne trouvent pas ce qu'ils cherchent, ils vont être obligés de changer d'idée. Sans parler de...

- Comment ça la collection de printemps ?

Elise soupire à côté de lui.

- Il va falloir que je reprenne le boulot, c'est tout.

- Il ne peut pas se passer de toi ? Je te paye à sa place, s'il le faut !

- Agreste, s'énerve-t-elle, il est hors de question que je ne travaille pas, c'est clair ? Je fais de mon mieux et j'ai avancé le plus possible dans tout ce que je pouvais, même pour le boulot, alors laisse-moi faire, ça va aller. J'ai validé mon premier semestre avec une moyenne assez bonne pour pouvoir me laisser aller à la deuxième. Si il faut, je sècherais les cours.

Il serre la mâchoire, contrarié. Ce genre de dispute commence à être habituel, et maintenant qu'Elise va travailler sur deux collections en même temps, il se demande si elle ne va pas avoir la même tête que lorsqu'il l'a rencontrée, ou pire, qu'elle tombe malade parce qu'après tout, les anticorps sont au plus bas, en cette saison froide.

Si la journée pouvait être pire, elle ne pourrait pas l'être.

Elise s'arrête devant un bar, et il doit faire demi-tour pour la rejoindre.

- Qu'est ce qu'il y a encore ?

Se promener avec elle est presque pire que de surveiller Paris. A chaque fois qu'il tourne la tête une seconde, elle n'est plus à côté de lui. S'il a de la chance, elle est derrière, sinon, elle a pris une autre rue ou ruelle.

- J'ai froid aux doigts, dit-elle sombrement avant d'entrer.

Elle a retrouvé une expression faciale insipide, et il se contente de la suivre à l'intérieur. En général, quand ils se retrouvent quelque part à cause d'elle, c'est elle qui lui paye à boire.

Avec un sourire indifféremment poli, elle commande un café et un chocolat chaud, avant de sortir son téléphone.

- Tu crois que je peux demander à un fournisseur de mon travail s'il sait où trouver les tissus ?

- Qu'on utilise ton réseau ou le mien, ça revient au même, alors comme tu veux.

- Hum.

Elle pianote sur l'écran, et colle son appareil à son oreille.

- Allô. Tu peux m'envoyer combien de mètre de tissu au minimum sur n'importe lequel ? Génial. Tu as du vrai rouge et du bleu ciel ? Okay. Tu peux m'amener un échantillon de chaque avant mardi ? Toutes les teintes sauf celles que j'ai déjà.

Il la regarde faire et en cinq minutes, ils ont rendez-vous avec quelqu'un qui peut leur trouver n'importe quel tissu. Il hoche la tête d'un air soulagé. Une bonne chose de faite.

- En combien de temps il peut nous livrer ?

- Le lendemain. Il me livre les échantillons en coup de vent, tu passes regarder, et voilà. Ils seront livrés à mon travail, par contre.

- Ça ne va pas poser de problèmes ?

Elle hausse les épaules.

- Pourquoi ça en poserait ?

- Ton patron te laisse faire ce genre de choses ?

- Ouais, sans soucis, répond-elle en enroulant ses doigts gourmandement autour de sa tasse à peine posée sur leur table. Merci.

Le serveur est expédié d'un rapide merci et Félix fronce lentement les sourcils.

- Je ne le voyais pas comme ça.

- Qui ?

- C'est le styliste de Lilibellule, ton patron, non ?

- Oui, c'est ça. C'est une femme.

- En regardant son travail... c'est une femme ? demande-t-il soudain.

Elle hoche la tête mécaniquement.

- Tu ne devrais pas juger la personnalité ou le sexe d'un styliste sur son design. C'est un mauvais jugement. Je suis d'accord que sociologiquement parlant, ton raisonnement est peut être bon. Et encore, tu le fais avec des préjugés. Il faut voire le monde comme s'il était blanc, et que les vêtements que les gens portent sont les jugements que tu as sur eux.

Il regarde un instant le fond de sa tasse.

- Si ce que tu dis es vrai, tu pourrais tout aussi bien être Lilibellule, soupire-t-il.

Elle arque un sourcil.

- Ça changerait quelque chose ?

- Ça légitimerait que ce soit ton surnom, rétorque-t-il distraitement.

- Tu n'aimes pas que je t'appelle Agreste parce que tu n'es pas ton père. Ne m'appelles pas Lilibellule alors que je ne suis pas une marque.

Il la regarde. Il n'y a pas beaucoup de moments où Elise est en colère. Sauf quand il parle de son emploi ou de son surnom. Et en y réfléchissant bien, c'est sûrement le plus gros sujet de discussion qu'ils ont l'un avec l'autre.

Bref, c'est devenu fréquent.

- Il neige.

Il tourne la tête vers la fenêtre.

- Encore ? se plaint-il.

Il la regarde ensuite et fini par se taire.

Elise contemple le paysage extérieur comme si elle était subjuguée par le ballet discret des flocons.

Il n'est finalement pas le seul à se perdre dans ses pensées au beau milieu de nulle part. Et si elle le fait aussi, il se met à regarder la neige avec l'intention de faire pareil.

Il se revoit sur les toits glissants de Paris, dans combinaison noire et ses oreilles de Chat. La neige offre à Paris un paysage sombre qu'il peut facilement mettre en lumière sur papier, comme il a prit l'habitude de dessiner les paysages qui lui manquent depuis bientôt un an.

- Il neige, répète-t-il doucement.

Au printemps, la ville changera encore de visage, et sa nostalgie prendra une nouvelle forme.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant