Chapitre 26

67 8 2
                                    

Elise se redresse de sur sa table après s'être à nouveau endormie dessus. En très peu de temps, elle a l'impression d'avoir passé toute un semestre. Et pourtant, elle a maintenant l'impression que le temps s'est allongé le temps d'une semaine. Il s'est passé beaucoup de choses depuis le vendredi, pour elle.

D'un coup d'œil autour d'elle elle remarque rapidement que Félix brille par son absence. C'est tout ce qu'il lui faut avant de se lever.

- Je vais prendre une douche, marmonne-t-elle en avisant la cafetière.

Elle secoue la tête et sort de l'atelier, prête à se rendre dans sa chambre. Une fois qu'elle s'est perdue une ou deux fois, et qu'elle s'est plaint au moins le double de l'immensité de la maison, elle retrouve sa porte, et peut enfin se changer.

A l'autre bout du couloir, Félix l'a regardée faire sans un mot, bras croisés, et derrière son expression neutre, d'un sarcasme sans nom.

Elise ne repasse la porte de l'atelier qu'une dizaine de minutes plus tard, sous les yeux surpris de Marinette.

- Bonjour ! sourit-elle.

Félix et elle terminent les mesures qu'elle avait commencées avec lui la veille.

Elise fronce lentement les sourcils.

- Excusez-moi. Je ne suis pas d'accord... sur le fait que vous voyez ça, dit-elle en attrapant ses feuilles.

L'adolescente rougit légèrement, gênée.

- Je suis désolée, je ne savais pas...

L'étudiant la regarde fixement, sans comprendre. Elle ne fait pas confiance à Marinette ? C'est une enfant, de son point de vue à lui. Mais soudain, il se remet à la page. Elle lui fait confiance à lui, pas nécessairement à ceux qui l'entourent lui.

- C'est ma faute. Je n'ai pas pensé que tu ne serais pas d'accord. Je voulais juste t'avancer, dit-il en posant le mètre.

Marinette s'éclipse et Elise s'éloigne de lui avec ses feuilles en main.

Félix s'approche doucement, espérant qu'il ne vient pas de transformer leur relation en quelque chose de cauchemardesque, sans concevoir que ce qu'il vient de faire est impardonnable, pour elle.

La confiance. C'est un bien très précieux, lorsqu'on est un être émotionnellement fragile. Parce qu'à force de déceptions, on peut, non pas se méfier des autres, mais ne jamais plus compter sur personne, pour ne plus être déçus par eux. C'est l'endroit où en était arrivée Elise, avant de commencer à compter sur ses deux couturières.

Et elle lui avait fait confiance à lui.

Laisser quelqu'un d'extérieur regarder n'est pas le seul problème. Elle observe rapidement ses fiches, et retiens des larmes contrariées. Quelqu'un a écrit sur son travail à elle. Et par-dessus le marché, cette écriture est différente de la sienne.

- Il ne peut pas comprendre. Ils ne peuvent pas comprendre.

Elle enfourne le tout dans une pochette à rabats et sursaute violemment lorsque Félix pose sa main sur son épaule.

- Tu veux recommencer ?

Elle se tourne vers lui, raide. Elle n'a pas compris ce qu'il vient de dire.

- Hum ?

- Tu veux recommencer ? Marinette n'appuie jamais quand elle écrit au crayon à papier. On peut gommer et recommencer, si tu veux.

Elle secoue la tête sèchement.

- Je terminerais toute seule. Merci.

Il retire sa main rapidement et secoue la tête.

Il comprend. Même si c'est étrange de sa part d'être aussi compréhensif. Il n'avait seulement pas pensé. Il s'imaginait lui rendre service voire lui faire plaisir, mais c'est raté.

La suite de la journée se passe sans un mot. Et même si Félix apporte à Elise une assiette pour manger, qu'elle n'y jette même pas un regard, contrariée. Elle sort même de l'atelier à la tombée de la nuit pour aller se coucher. Son coéquipier remarque alors qu'en dépit de sa mauvaise humeur, le travail qu'elle a réalisé tout au long de la journée est impeccable.

Il se passe une main sur le visage.

- Depuis quand je me soucie des autres, sérieusement ?

Une seconde plus tard, il est debout devant le bureau d'Elise, la pochette dans les mains. Il en sort toutes les feuilles, réécrit toutes les mesures inscrites de la main de Marinette sur une autre feuille, efface les chiffres sur les fiches des modèles, et termine de mesurer le tout.

Il replace finalement le petit bloc de feuilles dans la pochette, avec pour seule inscription supplémentaire trois simples mots, à la fin de la page : « Je suis désolé. ».

Elise ne retourne pas dans la grande pièce que Félix a sobrement appelé « ta chambre ». Cet immense endroit vide lui donne la chair de poule. Rien que l'air environnant lui explique sans peine pourquoi elle n'a pas encore dormi là-bas. Même le lit semble trop grand pour elle. Et pourtant, elle a bien un lit deux places en cent-quarante centimètres par deux-cents !

Mais à force de faire les cent pas dans le couloir, et de sursauter au moindre bruit, elle finit par y entrer quand même. Quitte à dormir sur le canapé on-ne-peut-plus suffisant.

Elle referme la porte lentement, avisant l'endroit d'un œil dubitatif, et une main s'interpose violemment entre la porte et le battant.

Elle se retourne vivement pour voir Félix grimaçant et se tenant la main, tenter de garder un semblant de dignité.

- On t'a déjà dit que tu ressemblais à un chat ? demande-t-elle brusquement.

Il écarquille les yeux avant de reprendre contenance.

- Non, pourquoi ?

- Parce que tu te faufile partout où on ne veut pas de toi. Comme un chat de gouttière.

Il fronce le nez avant de répliquer doucement :

- Toi aussi, tu pourrais ressembler à un chat : tu dors n'importe où et tu fais n'importe quoi.

- JE fais n'importe quoi ? s'emporte-t-elle.

Il arque un sourcil, comme pour la défier d'assurer que c'est un mensonge, et elle se contente de refermer la porte. Porte qu'il n'hésite pas à rouvrir.

- Ecoute une seconde.

- Je suis fatiguée.

- Tu aurais dû dormir, au lieu de t'apitoyer sur ton sort, lui reproche-t-il.

Mais pourquoi venait-il, déjà ? Ah oui, s'assurer qu'elle avait bien trouvé sa chambre, et qu'elle dormait, ou qu'elle avait de quoi manger, comme il l'avait demandé à Nathalie.

- Je veux que tu me laisses tranquille, Agreste. Pas que tu disparaisses de ma vie, ou que tu arrêtes de m'adresser la parole, mais que tu comprennes que pour aujourd'hui, tu en as assez fait.

Il lui montre la pochette cartonnée dans laquelle sa collection de printemps avait été rangée par ses propres mains un peu plus tôt dans la journée, et elle voit rouge :

- Qu'est-ce que tu comptes faire de ça.

- Te le rendre. Et de rien, l'insecte, lâche-t-il tout aussi en colère en laissant tomber l'objet sur le bureau.

Il sort furibond, et se réfugie non pas dans sa chambre, comme il aurait pu le faire, mais dehors, sur le toit du manoir. En hauteur, là où avait été sa place.

Lui, un chat ? Si elle savait.

De son côté, Elise ouvre rapidement sa pochette dans l'espoir que rien de grave ne soit arrivé à ses croquis, et tombe sur la petite note.

Chaque croquis a été gommé soigneusement, si bien qu'il n'y a plus aucune trace de ce qui a pu arriver dans la journée. Pour s'en sortir aussi bien, Félix a sûrement utilisé sa fameuse gomme en mie de pain, qu'il lui a vanté plusieurs fois depuis son premier passage chez elle.

Ses lèvres étirent un long sourire.

Ça y est, elle est d'humeur à travailler.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant