Chapitre 32

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L'absence de Félix n'a causé pour seule trace que l'absence de sa propre tasse, dans l'appartement d'Elise.

- Où ma tasse ? demande-t-il prudemment.

- Je l'ai jetée.

- Hein ?

Même si c'est ce qu'il appelle « sa » tasse, c'était surtout celle qu'il avait l'habitude de prendre quand il allait chez elle.

- Tu m'as raccroché au nez.

- Il a fallut que j'aille parler au directeur à cause de toi.

Elle se ronge nerveusement l'ongle.

- Je sais.

- Tu pourrais au moins t'excuser.

- Mais je ne le ferais pas.

- Sérieusement ? On croirait entendre Bridgette.

- Elle a raison de ne pas s'excuser pour la fainéantise des autres.

- Tu dors jusqu'à midi.

- Je travaille jusqu'à cinq heures du matin ! rétorque-t-elle.

Il va pour dire autre chose mais se ravise.

- D'accord. Un point pour toi. Mais quand même ! Essaye de penser que ce n'est pas toi qui ramasseras les pots cassés la prochaine fois.

- Je-sais !

- Très bien.

- Très bien !

Elle se lève, exaspérée, et entre dans sa cuisine.

Elle sort la tasse d'une cachette presque miraculeuse, et retourne éplucher les candidatures de mannequinat.

- Et lâche-moi la grappe, dit-elle lorsqu'il ouvre la bouche.

Il sourit.

- Tu as cherché cette cachette combien de temps ?

- Deux heures.

- Quel génie du mal.

- Agreste. Ne pousse pas ta chance.

Il soupire tragiquement en se préparant un café, lui en fait couler un aussi, et laisse échapper :

- Je ne suis pas si chanceux que ça.

- Tu as un toit et de la nourriture, tu étudies dans le supérieur, tu as un travail, des amis, et au moins un membre de ta famille sur lequel compter. Tu n'es définitivement pas à plaindre, tu sais.

- D'où tu sors ? demande-t-il distraitement en prenant à son tour quelques candidatures.

Elle hausse les épaules.

- D'un coin de France où on pense encore que Paris est la capitale de la mode et ville de l'amour, et que si on décide d'y vivre, tous nos rêves seront réalisés.

- Tu ne parles plus à ta famille ?

- J'appelle mes parents une fois par mois. Pour avoir de leurs nouvelles. Je suis fille unique. Séquence émotionnelle terminée, remballe ton mouchoir, on a du travail.

Félix passe à autre chose sans poser plus de questions. C'est déjà pas mal qu'elle lui en ait parlé. Mais de là à penser qu'elle a déjà quasiment coupé les ponds avec sa famille alors que lui dépend encore beaucoup de la sienne...

- Celle là. Je la connais. Elle a déjà défilé pour mon père.

Elise fronce le nez.

- Ce n'est pas pour ça qu'on doit la prendre.

Il secoue la tête.

- Je me souviens d'elle parce qu'elle m'a laissé une forte impression.

Les mannequins choisis pour le concours doivent faire partie de l'école. Aussi, si Félix l'a déjà vue, c'est qu'elle doit être mannequin depuis longtemps.

Il lui tend les photos d'elle.

Les CV des mannequins sont accompagnés de cinq miniatures d'elles, en sous-vêtements, de différents angles ou positions.

- Elle ne me laisse pas une forte impression, à moi.

- Rencontrons là. Au cas où. Elle est vraiment douée, avec des vêtements.

Sceptique, la styliste pose sa mâchoire dans le creux de sa main, pour le regarder.

- Une forte impression à ce point là ? Qu'est ce qu'il s'est passé ?

Il sourit vaguement.

- Elle a de la personnalité.

Elise ricane.

- Ah ouais. Mets-là sur la pile.

- La pile ?

Il cherche ce qu'elle appelle « la pile », au travers du désordre environnant, bien habituel. Il la trouve rapidement, notant avec regret son habilité à s'adapter au monde bordélique d'Elise.

Il en profite pour regarder les deux candidatures qu'elle a mit sur le côté.

- Elles sont pas mal.

Elle sourit.

- Regarde les mensurations de celle là, dit-elle fièrement.

Il écarquille les yeux.

- Elle est minuscule. Comment tu veux qu'on l'habille... ?

Il comprend.

- Tu veux appliquer le même principe que Lilibellule.

- C'est un peu ma marque de fabrique. Je voulais la garder. Je peux ?

Il laisse un sourire en coin traîner rapidement sur ses lèvres, avant d'hocher la tête, l'air satisfait.

- Pas de soucis. Ça me va. Il faudra juste bien agencer ça. Il faudra qu'une fois que nous aurons nos mannequins, nous essayions de les faire marcher. Et sûrement longtemps. Je m'occuperais de ça. Tu as bien plus l'habitude de les voir en photo. Moi, je sais comment elles doivent marcher.

Elle hoche la tête.

- Pas de problème.

- Comment tu choisis tes mannequins, habituellement ?

Elle hausse un sourcil.

- Je regarde les gens marcher dans la rue. Et je vais les voir. Si elles sont intéressées, je leur donne une carte de visite. Elles passent sur le site regarder, elles vérifient si les coordonnées sont les même que sur la carte. Elles me l'ont dit.

- Tu n'as pas d'hommes, dans tes mannequins ?

Elle le regarde, lui demandant silencieusement si sa question est sérieuse.

Il s'excuse quasiment aussitôt. C'était assez ridicule de sa part, puisqu'elle ne vend que des vêtements pour femmes. Elle ne semble pas lui en tenir rigueur, et passe tout de suite à la candidature suivante.

- Je veux aussi celle-là.

Elise ironise rapidement :

- Elle t'a fait une forte impression, elle aussi ?

- C'est de la jalousie mal placée que j'entends ?

Elle le dévisage longuement.

- Jalouse de quoi ? Je fais seulement la remarque que tu choisis les filles que tu connais.

- Tu ne m'as pas embauché parce que tu me connais ?

- Je ... je te connais plus qu'elles ne te connaissent. Sur le plan professionnel, du moins. Mais peut-être que je ne devrais pas m'aventurer dans ta vie privée.

Elle secoue la tête.

- Excuses-moi si j'ai été indiscrète.

- Tu n'es pas désolée.

- Je n'ai pas dit que j'étais désolée. J'ai dit que je m'excusais. Ce n'est pas la même chose, Félix, répond-elle doucement. Je peux y retourner ?

Elle désigne ses feuilles au passage et il acquiesce.

- Je t'en prie.

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant