Le mois suivant passe assez vite pour qu'Elise ne se retrouve pas submergée de travail, mais inondée. Passant quatorze heures de ses journées à coudre, elle sèche tous ses cours de la semaine, pour à la fois cacher son œil au beurre noir, tout comme pour se venger d'une deuxième visite inopportune.
- Mademoiselle Couture...
- Monsieur AGRESTE, quel plaisir de vous revoir.
Il semble ne pas tenir compte de sa réponse, et s'installe de lui-même sur l'une des chaises les plus inoccupées de la pièce encombrée. L'étudiante se permet de l'incendier copieusement du regard, tout en déplaçant une autre pile de son propre travail pour poser son propre derrière.
- Félix sait-il que vous êtes ici ?
- Mon fils sait-il que vous modifiez son travail ?
- Pas son travail, le nôtre. Jusqu'à preuve du contraire, je pense que...
- Je me fiche pas mal de ce que vous pensez, la coupe-t-il.
Elle se redresse, contrariée.
- Vous êtes ici chez moi, pour me parler comme un chien, de quelque chose qui ne vous regarde pas. Alors si vous ne voulez pas apparaître dans le prochain magasine à scandale comme un pauvre type qui se fait embarquer par nos charmantes forces de l'ordre, débite-t-elle d'une traite.
A l'heure qu'il est, Félix est sûrement encore en cours, alors qu'elle devait travailler sur sa nouvelle collection. Une chance qu'elle n'ait pas de modèle de sortit pour Lilibellule, parce que ça aurait pu poser problème.
Et tandis que le grand styliste bouillonne de colère, on frappe miraculeusement à la porte.
Elise se lève, droite comme un piquet. Elle ne sait pas qui ça peut bien être, mais hors de question qu'elle se laisse marcher dessus par tout le monde.
Et alors qu'elle était encore plutôt molle devant l'homme qui vient d'entrer, elle est totalement réanimée en ouvrant la porte.
- Félix ? lâche-t-elle après un bref étonnement.
Il arque un sourcil.
- J'ai encore oublié quelque chose ? demande-t-elle.
Il se permet d'entrer à la manière de son père, mais elle ne l'en empêche pas, au contraire. Félix, lui, peut se le permettre, puisqu'elle fait la même chose chez lui, et que de l'un à l'autre, ce genre d'intrusion n'en n'est jamais vraiment une.
Félix salue brièvement son père, sans l'air d'être intrigué par sa présence, et se libère lui-même une place sur une autre chaise, tout en se préparant un espace de travail.
Elise comprend soudain que s'il est là, c'est parce que son dernier cours a été annulé, et qu'il s'est permis de passer plus tôt.
- Qu'est-ce que...
Elise disparait en cuisine, revient avec une tasse de café fumante pour son binôme, et adopte son attitude d'ignorer totalement Gabriel AGRESTE.
Ils se mettent à travailler en silence, et l'homme les toise à tour de rôle.
- Vous aviez besoin d'autre chose ? demande finalement son fils.
- Comment oses-tu venir ici à la place de tes cours.
- Je le fais quand mes professeurs osent ne pas assister à leurs propres cours, répond-il sobrement en commençant la couture d'une fermeture éclair.
Il faut coudre cette partie à la main, car Elise a pour habitude de proposer des vêtements dans lesquels les fermetures sont à la fois invisibles, mais aussi comme si le porteur ne revêtirait qu'un seul tube de tissu, sans la moindre couture.
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De Fil en Aiguille
FanfictionFélix a maintenant vingt-et-un ans. Toujours plongé dans ses études de stylisme, il regarde parfois d'un air distrait son petit frère Adrien jouer les héros de Paris aux côtés de celle dont il a longuement entendu parler, mais qu'il connaissait bien...