Chapitre 15

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Contrairement à ce qu'ils pensaient, la première tenue est laborieuse. Elise en vient même à se fâcher contre la machine à coudre, ce que Félix n'aurait jamais cru possible.

- Je vais prendre l'air, dit-elle en éteignant la chose, avant de laisser le tout tel que sur la table de chez elle. Elle sort sur le palier, et descend même dans la rue, pour profiter de la fraîcheur de cette fin de journée cauchemardesque. A croire qu'elle ne s'arrête plus, depuis qu'ils ont trouvé le tissu rouge en fin de matinée.

- Il faut que ça marche, murmure-t-elle en s'asseyant sur les marches. Pas le choix.

La porte claque derrière elle, et Félix s'avance jusqu'à elle, les mains dans les poches.

- Tu n'avais pas la pression, pour l'examen de sélection. Tu n'avais pas non plus l'air inquiète pour tes notes. Qu'est-ce qui a changé ? demande-t-il sans la regarder.

Les coudes sur les genoux, et les mains devant elle, Elise secoue la tête.

- Ce n'est pas la réussite d'un examen d'entrée qui peut m'effrayer. On avait le niveau pour être sélectionnés.

Elle soupire doucement.

- Je suis désolée, ça ne se reproduira plus.

Il s'assoit brusquement à côté d'elle.

- La perfection, la maîtrise de soi, l'intransigeance... ce sont les critères de mon père, pas les miens. Tu sais, tu as le droit de ne pas réussir du premier coup, ne te mets pas la pression pour ça.

Elise ouvre la bouche, la referme, et dit finalement :

- La dernière fois que j'étais aussi stressée, c'était quand j'ai dessiné mon premier modèle pour Lilibellule. J'ai... j'avais tellement peur d'échouer que j'ai même eu une panne d'inspiration. J'ai fini par passer le cap de ça. Mais... parfois, je dois demander à quelqu'un d'autre de coudre le premier modèle, avoue-t-elle. C'est... ça les surprend parfois, les couturières. Elles ne s'y attendent jamais. Et je ne sais jamais vraiment comment leur demander à chaque fois. Je reste plantée là, devant ma machine, en silence. Je déteste ça.

Le regard de Félix se tourne vers la route.

- Il y a... quelque chose pour quoi j'ai pensé exactement la même chose, dit-il. J'ai tellement peur d'échouer que j'ai pensé pendant des heures à abandonner. En me disant que ce serait bien plus simple si quelqu'un de plus compétent que moi s'en chargeait. Cette peur ne m'a jamais vraiment quitté. Mais quelque chose de beaucoup plus agréable l'occultait. Cette adrénaline. Toutes ses réussites et ce manque d'échec. Je ne pensais pas que c'était à moi de le faire. J'étais persuadé que personne ne pourrait jamais le faire à ma manière. Et j'avais raison. La personne qui me remplace maintenant est tout aussi bonne voire meilleure. Mais elle ne fera jamais comme moi.

Il risque un sourire nostalgique.

- Tu es déjà montée sur le toit d'un immeuble ?

- Non. Jamais.

Il se lève :

- Alors viens. Le tien est plutôt haut, ça tombe bien.

Avec une brève hésitation, elle le suit à l'intérieur. Plusieurs étages plus haut, ils sont dehors.

Félix inspire une grande goulée d'air frais, sous les yeux intrigués d'Elise.

- Tu aimes les endroits en hauteur ? demande-t-elle.

Il hoche la tête.

- Oui. J'adore ça. On peut voir tout Paris, du haut de la tour Montparnasse, tu le savais ?

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant