Chapitre 28

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- Vous avez changé.

Elise plisse les yeux, incertaine de vouloir savoir ce que sa couturière veut dire, mais se contente d'emballer le prochain envoi, celui de la commande trois-mille-deux-cent-deux. Elle plie le vêtement contentieusement, et se contente d'ignorer ce que vient de dire Céline.

Elles ne sont que deux, aujourd'hui. Et elles ne seront que deux un certain moment, le temps qu'Elise trouve une nouvelle couturière pour Lilibellule.

L'autre, qui a eu l'offre d'un poste dans une autre maison, bien plus prestigieuse de Paris est celle qui a donné les croquis à l'un des étudiants de l'université de Félix et Elise. Et pour cela, cette femme, Anne, passera au tribunal. Sur ce point, Elise a été intransigeante. Anne lui doit au moins un dédommagement.

- Il va de soi que je te payerai plus cher ce mois-ci, dit soudainement Elise en la regardant coudre.

La jeune femme brune s'arrête, lui sourit, et dit piteusement :

- Je suis désolée. On était deux, dans cet atelier. J'aurais dû le voir.

Avec son ancien compagnon, Céline a pris l'habitude de subir tout ce qui était sa faute. Mais elle doit maintenant comprendre que ce n'est pas normal, et que pour le coup, elle n'y était pour rien.

Après êtres cousus, les vêtements sont pliés, et rangés sur des piles, dans les cases allouées à cet effet. Alors une fois que l'étudiante a pris le coup de main, elle emballe les colis à la vitesse de la lumière, sous le regard amusé de son employée.

C'est elle, qu'elle a embauché la première. Et à ce moment-là, Céline ne savait presque pas se servir d'une machine à coudre. Elle était à la rue parce qu'elle venait de quitter son copain, et n'avait pas franchement de diplômes, puisqu'elle n'avait pas à travailler jusque-là. Elise lui avait tout appris. Céline était la seule sur les deux couturières à savoir qu'Elise n'était pas leur collègue, ou leur cheffe, mais leur employeuse.

- Céline, je peux te faire confiance ? demande Elise encore une fois au beau milieu de nulle-part.

Celle-ci hoche la tête, trouvant sa compagne de travail bien bavarde depuis son retour de vacances. Non. C'était bien avant ça. Ça a commencé il y a quelques temps, déjà.

- Bien sûr.

La styliste réfléchit un temps, et laisse échapper :

- Je vais à la l'école universitaire, deux rues plus bas. Et je participe à un concours pour la fin de ma dernière année.

- C'est donc ça, cette histoire de concours.

Elise hoche la tête.

- Je le fais avec Félix Agreste. Nous travaillons ensemble depuis octobre.

- Agreste ?

Elise acquiesce.

- Il est très différent de son père. Mais en même temps... il est très doué. C'est vraiment intéressant de travailler avec lui. M'enfin, ce n'est pas de ça dont je voulais parler. Je crois... j'ai envie d'ouvrir une boutique physique. Et je pense que si nous gagnons ce concours, nous aurons peut-être plus de clientes.

L'autre écarquille les yeux.

- Vous allez dire qui vous êtes ?

- J'ai signé les tenues. Un mélange entre la signature de Félix et la mienne.

- Félix... répète doucement la couturière d'un air songeur.

- C'était pour ça, les tissus ?

Un hochement de tête concentré lui répond.

- Une boutique... vous avez les fonds nécessaires, pour ça ?

Elise pince les lèvres.

- Il faudra sûrement que je change d'appartement, parce que je ne pense pas avoir la moitié de ce qu'il faut économiquement parlant.

Céline se penche légèrement en avant.

- Ecoutez, Louis... mon ex, il était agent immobilier, vous vous en souvenez ?

Elise hausse un sourcil, l'air de lui demander silencieusement ce que fait une pourriture pareille dans cette conversation, et Céline poursuit :

- Certains de ses clients achetaient à plusieurs pour les commerces.

Elle hausse soudainement les deux.

- Si vous ne pouvez pas emprunter toute la somme, je peux peut-être prendre un prêt, moi aussi, et acheter un petit bout ! Et quand vous aurez remboursé votre crédit, vous pourrez racheter ma part.

Jusqu'au-delà d'un certain poids, les frais de ports sont pris en charge dans le prix des vêtements. Quand Elise a mis ce système en place, Céline lui avait demandé pourquoi. A cet instant, la jeune styliste lui avait expliqué que trois ou quatre euros de plus ou de moins dans les vêtements faisaient toute la différence. Et que si les vêtements qu'elles vendaient étaient achetés par des habituées, elles y gagneraient plus que de simples et rapides passages. Car cela augmentait les chances que les acheteuses dépassent le poids dans la commande. Lilibellule augmentait alors sa marge sur le produit, en économisant les trois quarts des frais placés dans le prix de base.

Prendre Céline n'est pas une mauvaise idée. Surtout si les prix restent les mêmes en magasin. Parce que les frais dits « offerts », qui sont donc inclus dans le prix, le seront toujours, pour ne pas être envoyés. Les clientes feraient alors une économie, si elles décidaient d'acheter le poids en articles payant.

La marge peut augmenter facilement, s'il y a du monde.

Elise pince les lèvres. Par le biais des commandes, elle possède les noms et adresses de toutes ses clientes. Il suffit donc pour elle de regarder où sont envoyés la majorité des colis. A condition que faire une étude de ses chiffres ne soit pas illégal.

- Je demanderais à Félix, soupire-t-elle finalement.

- Pardon ?

Céline arrête à nouveau sa machine.

Elise relève la tête.

- Non, rien. Je réfléchissais chiffre. Je pense qu'on a besoin de monde. Peut-être non pas une mais deux couturières. Pour passer de vingt à vingt-cinq exemplaires. Ou alors... carrément quelqu'un pour faire les colis.

Trois jours plus tard, un message était posté sur le site de Lilibellule, et en petites affichettes dans les rues de Paris : « Lilibellule recrute ! ».

Un jeune adulte se saisit de l'une de feuilles, pour la regarder attentivement. Un emploi à temps partiel pour emballer des colis ? Pourquoi pas ? Il glisse la feuille dans son sac de cours, et lève le nez vers le bâtiment du lycée.

Ouais. Un job à temps partiel, ça peut être idéal, selon les horaires.

Félix jette un coup d'œil distrait au rectangle de papier qu'il a sorti de sa boite aux lettres. Le nom accroche ses yeux, et il sourit soudain. Elise avait pensé qu'il lui coûterait trop cher, mais pourquoi ne pas essayer quand même ?

De Fil en AiguilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant