Stasensë - L'âme du désert.

Le champ magnétique

Quelle réaction avoir dans cette situation ? Qui était préparé à une telle action ? L'école n'apprenait à personne l'expression à arborer dans ce cas-là. Nul n'avait jamais assisté au combat épique entre une tempête dans le désert et un champ magnétique émanant d'un homme qui pulvérise tout. Sans surprise, Manuela bougea la première. Elle se rapprocha vivement du français qui tomba à genoux sous l'effort et elle posa son ancienne main osseuse sur son épaule fatiguée. Les autres se tenaient à l'écart, essoufflés à l'idée d'avoir assisté à de la véritable magie.

— Merci, Daniel.

Le français la regarda de travers, le souffle court et l'esprit en pagaille. Bien que ses capacités se manifestaient assez souvent, il ne s'y était toujours pas accommodé.

— Je pensais à des dangers naturels, ou humains ! cingla-t-il avec une œillade en biais pour le Tueur. Je n'imaginais pas une tempête furieuse !

— Tant que nous combattons des forces venues de l'au-delà, ou les bataillons protecteurs du Stasensë, nous avons toujours une chance de survivre. Grâce à vous. Mieux vaut pour nous que nos ennemis ne soient pas de ce monde.

— Les morts vous ont-ils parlé de ceci ? questionna Soo Ah, se giflant légèrement les deux joues pour sortir de son effroi. Dites-nous tout ! Nous devons savoir à quoi nous attendre. Nous devons...être prêts à ce qui arrive.

— Il n'existe rien, ni conseil, ni préparation, contre ce qui va advenir, expliqua calmement la chamane. Mais, oui, je connais une partie des dangers et laissez-moi vous assurer que nous ne vivrons pas longtemps si vous abandonnez déjà votre confiance en moi.

— Pour cela, faudrait-il d'abord que nous ayons eu confiance en vous à un moment ! railla le Tueur.

La chamane se retourna brusquement vers eux, délaissant son appui sur le français qui se releva tant bien que mal, ne recevant aucun remerciement sincère. Elle les foudroya de ses iris noirs de colère et pointa un doigt accusateur sur l'équipe ; le Tueur lui rendait bien son animosité, tandis que Magnus ne parvenait pas à se réveiller. Inconsciemment, Yi Jing reculait avec son petit frère de quelques pas, s'attendant à une énième querelle. Énervé à ce point, Derek Moore pouvait aisément produire des étincelles.

— Qui croiront-ils le plus aux portes du Stasensë ? Qui est le plus utile de nous deux ? Je vous garde, parce que je sais que vous nous aiderez bientôt. Dès lors que nous serons sortis du danger, vous n'aurez plus aucun intérêt. Que feront-ils, à votre avis ?

— Ne me menacez pas, vieille chèvre ! N'osez pas !

— Votre fureur ne m'atteint pas. Tuez cette vieille chèvre, défia-t-elle. Et tuez aussi chaque membre de cette équipe. Nous ne vous craignions pas.

Le Tueur fulminait, pourtant il ne répliqua rien. Il se souvenait encore du son du revolver de l'agent le visant dans son dos. Il possédait un avantage évident : son imprévisibilité. Mais baisser sa garde une minute pouvait signer sa fin et il comptait bien assassiner quelques autres personnes avant de tirer sa révérence ; les menaces ne fonctionnaient plus sur la chamane, ni sur l'équipe. Quand il pivota, il croisa le regard sombre de Charlie Wilson, parfaitement calme, mais pensif. A tout instant, ils basculeraient dans un jeu dangereux : qui tuerait qui ?

— Pouvez-vous vous expliquer ? demanda Charlie au français qui se massait la nuque.

— Expliquer quoi ? rétorqua-t-il. Je ne peux guère me l'expliquer à moi-même, alors qu'est-ce que je pourrais bien vous dire ?

— Eh bien, commencez par le début ! s'exclama Magnus. J'exerce dans le domaine de la magie depuis que je suis gosse et jamais une seule fois n'ai-je engendré un tel miracle ! Les champs magnétiques ne sortent pas de mon corps. Alors, comment est-ce possible ? Ceci, vous pouvez nous le dire.

— Non. J'ignore tout. Ne me posez pas de questions, je n'y répondrai pas.

Son ton sans appel persuada l'As Danois de se taire. Une moue s'imposa sur son visage pâle et ses doigts commencèrent à se tortiller, son corps se balança en rythme, et il ne cacha pas sa déception. Soo Ah ne parvint plus à maintenir son énergie en place et ses genoux fléchirent, elle s'accroupit et respira correctement tout en fixant le français. Les deux seuls qui ne montraient pas de réaction face au soudain pouvoir ne se risquèrent plus à un bruit. Jiahao contemplait Daniel avec un émerveillement enfantin. Il hésitait à l'applaudir, mais les expressions ténébreuses des adultes lui indiquaient de ne rien faire. Yi Jing lui étreignait fermement la main, sa proximité avec son petit frère le rassurait.

— Donc, en plus du magicien de pacotille, nous avons un Incroyable Magnéto ! Super, nous nous mourrons pas de sitôt ! maugréa Moore.

— Ses capacités dépassent votre entendement, Tueur ! exposa sèchement Manuela. Vous, répugnant assassin, ferez ce pour quoi nous vous tolérons : vous nous défendrez de la menace humaine, si nous venons à en rencontrer. Lui nous sauvera tous. Si vos pulsions reviennent, tâchez de ne pas le blesser !

— Pourquoi ai-je l'impression que nous ne comptons pas ? murmura Magnus.

— Nous portons l'eau, la nourriture et l'espoir, et Madame Moon nous confère une sécurité médicale, lui répondit Yi Jing à voix basse pour que personne d'autre n'entende. Ils nous expulseront dès le moment où ils n'auront plus besoin de mules.

Les yeux de l'As Danois se posèrent immédiatement sur le petit. Seraient-ils capable de les livrer à eux-mêmes dans le désert ? Ou pire. Les tuer ? Cette femme n'avait pas menti – elle avait choisi de venir ici avec une équipe afin qu'ils transportent assez de vivres. Peu importe combien de personnes arrivaient au Stasensë, tant qu'elle survivait. Daniel Saint-Germain le comprit à son tour. Il se douta également qu'elle l'épaulerait aussi longtemps qu'il lui apportera un espoir. Après leur vœu, elle les laisserait se débrouiller, elle ne les supporterait pas davantage. Malgré leur énervement collectif, ils ne lui en voulaient pas vraiment. Ils agiraient avec une malice similaire !

— Remettons-nous en route. Le Stasensë ne souhaite pas faire de mal à qui que ce soit, mais il se transforme en entité démoniaque si des impurs l'approchent de trop.

— Je suis l'impur, je suppose ! grinça Moore.

— C'est moi, répliqua la chamane. Je suis le véhicule de la mort, les défunts m'accompagnent et j'ai déjà un pied dans la tombe. Je ne représente pas le vivant et le Stasensë refuse toute forme de noirceur en son sein. Vos intentions ne le concernent pas, mais il se concentre sur les auras. Celle de Daniel brille et l'attire, voilà pourquoi il lui permet de le battre ; la mienne semble aspirer la vie et il la redoute. Par conséquent, il me cible.

— Le Stasensë veut vous tuer ! s'écria Derek. Quelle bonne nouvelle, youpi ! Napoléon, ne la sauve plus ! Elle ne mérite clairement pas de mourir par mes mains.

— Vous oubliez qu'elle nous guide, soupira Saint-Germain.

— Il ne me tuera pas ! conclut Manuela. Il me repoussera de toutes ses forces, quitte à me faire du mal dans le processus. Ne vous inquiétez pas pour moi, je sais le gérer et Daniel constitue ma principale barrière. En outre, les morts me parlent et ils ne partiront pas.

Comme elle le faisait si bien, la chamane se mit à marcher en direction du nord et les ignora superbement, en bousculant l'agent. Elle s'éloigna de plus en plus et les chinois la suivirent prudemment. Yi Jing jeta des regards discrets à l'As Danois qui avançait la tête vers le sol et les épaules voûtées. Ceux qui ne serviraient plus avaient un compte à rebours au-dessus du crâne. L'épée se rapprochait de leur chair. S'en sortiraient-ils par leur propre moyen ou Manuela aura-t-elle finalement des remords ? Ou peut-être que Daniel ne les laisserait pas tomber.