Un réveil agité

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— Bon sang, Daniel, tu m'as fait si peur !

Sans qu'il ne comprenne, le français était enlacé par les bras chauds de la coréenne. Elle expirait lourdement, essoufflée. Délicatement, il se détacha et observa la pièce. Il était allongé à l'endroit où il avait émergé quelques temps plus tôt... Et le voilà qui se réveillait une seconde fois. Il fronça les sourcils et s'abandonna aux explications de Soo Ah.

— Tu t'es évanoui après avoir pulvérisé ce serpent....

— C'était super cool ! acquiesça Jiahao que le français aperçut subitement.

—...et tu ne te relevais pas. La vieille sorcière nous a affirmés que le Stasensë t'avait endormi, ou quelque chose dans le genre, pour te punir d'avoir tué le serpent. Mais avec elle, je ne sais jamais si je dois la croire ou non. Surtout qu'elle n'est pas restée longtemps à tes côtés, elle est déjà dans l'autre salle !

— Je dors depuis des heures, murmura-t-il. Vous n'avez toujours pas trouvé l'accès au cœur du Stasensë ?

La jeune femme fronça les sourcils d'un air intrigué, elle s'apprêta à répliquer, mais Jiahao la devança :

— Tu es tombé depuis...une demi-heure, plus ou moins ! Moi, je suis là pour te faire des bisous. Grand frère dit que ça lui faisait du bien quand le patron Zhang le frappait ou quand il buvait de l'alcool, même si je ne suis pas censé savoir qu'il picolait ! Tu veux des bisous magiques ?

— Euh..., un peu plus tard. Il faut que je vérifie un détail.

Il essaya immédiatement de se lever, mais son corps faible grinça. Soo Ah l'épaula et il s'appuya sur son bras avec négligence. Elle nota qu'il n'était clairement pas dans son état normal. Pourquoi avait-il supposé dormir durant des heures ? Et puis, il bougeait comme s'il savait un fait qu'ils ignoraient tous. C'était évidemment le cas et elle n'allait pas tarder à l'apprendre. Jiahao se contenta d'envoyer des bisous volant, conscient qu'il ne serait pas d'une très grande aide dans les pattes du français. Celui-ci se dirigea vers un point que lui seul connaissait, mais il buta dans une forme rigide qui manqua de lui casser les orteils des pieds.

— Attention ! s'exclama Soo Ah. Il n'est pas assez gros ?

Il se retourna vers elle sans saisir. La jeune femme semblait abattue par le comportement étrange de Daniel, mais elle lui pointa tout de même d'un doigt tremblotant le serpent à ses pieds. Le français baissa les yeux et distingua les écailleux poisseuses du reptile ; les sifflements revinrent dans son esprit. Il grimaça, mais cette fois il les ignora. D'un pas mal assuré, il l'enjamba et se précipita vers un des murs. Il colla presque son visage sur les fresques ; cela faisait à moitié rire Jiahao qui jugeait ses actes bizarres, mais il s'inquiétait aussi. Ce Monsieur n'agissait pas curieusement, il était toujours sérieux, méticuleux et déterminé. Maintenant, il avait l'air brisé, rempli d'incertitudes et fragile.

— J'ignore si j'ai rêvé ou halluciné, mais..., balbutia-t-il tandis que Soo Ah le rejoignit, mais je connais ces fresques par cœur. 

— Daniel, dit-elle doucement, pour l'instant, j'aimerais que tu te rallonges et que tu te reposes un peu. 

— Non, non, non, tu n'as pas compris ! s'irrita-t-il. Je peux t'interpréter toutes les fresques d'ici à là-bas !

Il fit un signe ridicule de la main, montrant l'intégralité de la pièce. Cependant, l'inquiétude gagnait de plus en plus le visage de Soo Ah, ce qui attira l'attention perplexe de Daniel.

— Quoi ? Pourquoi... P-Pourquoi ce regard ?

— Ecoute, Daniel, assis-toi, s'il te plaît.

Sa voix démontrait son trouble face à lui et il se rendit finalement compte d'un détail frappant : elle semblait avoir peur de lui. Daniel s'immobilisa et ses yeux dégringolèrent sur son propre corps. Son cœur ne battait pas normalement ; il se déchaînait dans son torse et lui faisait mal. Son cerveau était martelé d'une douleur qu'il n'avait pas ressenti jusqu'à maintenant. Plus particulièrement, il s'était penché sur le mur et n'arrêtait pas de gesticuler, jonglant entre les fresques et la coréenne, avec une telle virulence qu'il s'écorchait la paume de sa main. Il se calma dans l'instant, constatant sa fatigue pesante. 

— Je ne te mens pas, gémit-il faiblement. 

Elle avait vraiment envie de le croire, mais pas quand il se blessait, enfoui dans une sorte de folie sordide. Soo Ah combla l'espace entre eux et elle saisit ses mains entre les siennes, essayant de ne pas le blesser. Elle scruta l'écorchure sur sa paume. Lentement, elle attrapa son sac et son matériel de soins. Des cotons et de l'antiseptique. Sukh avait rechargé ses stocks. Quel type sympathique au final ! Sauf s'il les avait mené dans un piège, bien entendu. L'infirmière le soigna et déposa ensuite un pansement épais qui l'empêcherait de s'égratigner davantage. 

— Puisque tu sais ce que représente ces fresques, susurra-t-elle prudemment, raconte-moi. 

— Tu ne me croies pas, lâcha-t-il dans un souffle épuisé.

— C'est simplement...étonnant. Mais, de toute façon, je n'arrive plus du tout à suivre ce qui se passe ces derniers jours. Sans oublier que je m'adresse à un mec qui vient de pulvériser un serpent géant. Mes standards de normalité ont pas mal changé. 

Il inspira profondément et eut l'air de se détendre. Elle lui sourit, rassurée qu'il réussisse à relaxer ses muscles. Daniel s'adossa au mur, pendant que Jiahao se rapprochait pour écouter sa tirade. Ses pupilles dilatées reprirent une couleur moins noire. Il tria brièvement ses pensées, il avait encore les images du récit fraîchement imprimées dans son esprit, et il se lança :

—  L'humanité et le Stasensë ont existé et vécu ensemble depuis toujours. Mais l'homme a été avare, désireux d'exploiter les ressources exceptionnelles du Stasensë. Pour le réprimander, il a créé tout ceci. Les pièges, les monstres, et par la suite il a enfanté. En premier, des chamans qu'il n'aimait pas vraiment et qu'il traitait comme de piètres outils. Et ses incarnations. Pour résumer, je ne suis pas certain d'avoir saisi tous les aboutissants, mais ses incarnations sont supposées guider l'homme à lui et ils peuvent également ouvrir sa porte... Mais je... Pourquoi est-ce qu'il m'a montré la réponse ? Soo Ah, mon esprit est noyé sous le flot d'informations et...

— Calme-toi, respire tranquillement. J'ai bien une petite idée et tu t'en doutes aussi, mais il y a une personne qui pourra confirmer. 

Elle toisa la porte menant à la troisième salle, il était temps d'obtenir des réponses.

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant