Stasensë - L'âme du désert.

L'homme dans la brume

Comment les choses avaient-elles dérapé ? Charlie Wilson se posait cette question depuis un moment déjà, elle retentissait encore plus dans son esprit embrouillé. Interpol l'avait envoyé en mission discrète pour ramener un psychopathe notoire à l'hôpital, et le voilà qui l'avait suivi jusque dans ce désert. Pour quelles raisons exactement ? Il ne saurait le dire. Laissait-il une chance à cet homme de se repentir ? Jamais Derek Moore ne regagnerait sa conscience, il était malade et ne guérirait pas aisément, voire pas du tout. L'avait-il conduit ici afin que le temps lui fasse baisser sa garde et qu'il puisse l'abattre ? Lorsqu'il en avait eu l'occasion, il n'avait pas tiré. L'aidait-il à atteindre son but, c'est-à-dire réaliser son souhait, pour qu'il disparaisse pour toujours de la surface de la terre ? Dans ce cas, il prêterait main forte à un assassin qui tuerait d'autant plus à l'avenir et il ne le permettrait pas.

— Bon sang, à quoi je pensais ? grommelait-il pour la énième fois. 

— Je vous avais prévenu, siffla Manuela, hargneuse. Cet homme est en liberté par votre faute ! Je vous conseille de vous préparer à affronter la colère de l'équipe. S'il me tue, ils vous tiendront responsable !

— S'il vous tue ? répéta-t-il avec aigreur. Cela ne serait pas arrivé si vous ne l'aviez pas accepté dans l'équipe ! Je vous signale que vous avez scellé votre sort à ce moment-là. De plus, si vous regrettez votre décision et envisagez de votre débarrasser de lui..., pourquoi diable l'avoir défendu ce jour-là, à l'auberge ? Ne vous était-il pas essentiel ?

Daniel n'intervint pas. Il continuait de marcher, la tête baissée pour se préserver au maximum du soleil qui tapait fort aujourd'hui, et il portait le sac à dos de la brésilienne qui peinait à mettre un pied devant l'autre. Soo Ah avançait sans vraiment écouter leur querelle. Après l'attaque des brouillards qui s'était terminée sur le tir de Derek Moore, ils avaient couru – encore ! –, mais la brume ne les avait étrangement pas poursuivi. Ils en avaient profité pour s'arrêter une minute afin de boire et reprendre leur souffle. Depuis ils étaient plus lents et plus réfléchis, ils ne se précipitaient pas et cherchaient une sortie. 

— Je croyais qu'il demeurerait fidèle à la cause, expliqua-t-elle calmement.

— Quelle cause ? grogna Charlie, perdant patience.

— Se rendre au Stasensë. Cependant, j'ai l'impression qu'il s'agit d'un jeu, ou tout au plus d'une distraction entre deux tueries, pour lui et je n'ai pas confiance en son désir de nous suivre.

— C'est exactement la façon dont il perçoit ce voyage ! hurla l'agent.

— Ne me criez pas dessus ! Ne rejetez pas votre culpabilité sur moi. Non seulement vous ne l'avez pas tué à l'auberge, ni dans le désert, et vous avez insisté pour le sauver des brouillards ce matin, mais en plus vous lui avez transmis votre arme !

— Il me l'a volé, espèce de vieille chèvre ! Je ne suis pas stupide, je ne creuse pas ma propre tombe ! Sous aucun prétexte, je ne lui aurais donné le moyen de nous tuer !

— Voyez comme ils se ressemblent quand ils parlent ! accusa la chamane, en prenant à partie les autres. Ils utilisent les mêmes insultes ! Dois-je m'attendre que vous tentiez de m'assassiner, vous aussi ?

L'agent ne répondit pas, uniquement parce qu'il se sentait en tort. Non pas pour s'exprimer avec des mots similaires à ceux du Tueur – cette vieille chèvre méritait bien son surnom, il préférait néanmoins vielle sorcière, cela lui seyait mieux ! –  mais il savait que leur situation actuelle aurait pu être évitée si Charlie était resté vigilant... En fait, ils avaient perdu Derek. A un tournant, entre la confusion et l'empressement de fuir loin des brouillards, le psychopathe s'était écarté momentanément de son champ de vision. Au lieu de partir à sa recherche immédiatement, il s'était accroché à l'équipe en pensant que Moore les rattraperait. Sauf qu'il n'était pas revenu. Cela faisait une bonne heure qu'ils tournaient en rond sans nouvelle de lui.