Quatre pattes et les deux dents du diable

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La boue les avalait à chacun de leurs pas et leurs corps se tendaient d'exténuation, à mi-chemin entre la frustration et la haine de la nature. Heureusement pour leur santé mentale, la pluie avait complètement cessé et le ciel était redevenu parfaitement bleu avec son soleil éblouissant. Le vent soufflait fort, en particulier dans le passage étroit et sans fin qu'ils avaient emprunté. Ils marchaient les épaules voûtées, une main en visière sur le front et les yeux pratiquement fermés pour se protéger de la poussière qui se détachait de la roche et voulait les aveugler. Aucun animal étrange n'était venu leur mettre la frousse, donc ils étaient paradoxalement dans un état assez encourageant pour ne pas baisser les bras.

A l'exception près que Jiahao tombait et tombait, incapable de lever les jambes suffisamment haut pour avancer. Il trébuchait et se rattrapait toujours dans des positions improbables, même Magnus s'était épuisé des moqueries et ne rigolait plus du tout. Lui et Yi Jing s'entêtaient à aider le garçon ; mais, malgré toute leur bonne volonté, ils étaient des ruines, de véritables épaves qui ne coordonnaient plus leurs mouvements et qui ne fonctionnaient plus de façon satisfaisante. L'As Danois chutait aussi souvent que le petit et il restait au sol un moment, se fichant de plus en plus de la boue sur ses habits. 

— J'en ai ras le pompon de cette histoire ! chouina-t-il à l'énième dégringolade sur le sol, avachi, les mains à plat dans la saleté.

— Oui, eh bien, c'est notre histoire, alors habitues-toi à la gadoue, la puanteur et les muscles endoloris, parce que nous n'avons pas terminé ! Loin de là..., et j'en peux plus moi aussi ! grogna Yi Jing.

— Il faut faire des concessions dans ce genre de situations, ricana amèrement Soo Ah. 

— J'ai abandonné mon amour propre ! s'outra le magicien. Qu'est-ce qu'il faut de plus ?

— Mets ton cerveau en mode-off, conseilla très sérieusement Daniel. En gros, il suffit d'avancer sans réfléchir, comme si tu étais absent. Crois-moi, cette technique marche ! Depuis plus d'une demie-heure, je ne me rends même plus compte que nous continuons notre route. 

— Tu es sûr que ce n'est pas le premier signe d'un arrêt cardiaque ? s'enquit Charlie.

— Un arrêt cérébral plutôt, rectifia Derek.

— Peut-être bien, mais, moi au moins, je ne me plains pas tout le temps ! rétorqua le français.

— Et cela nous fait le plus grand bien ! se mêla Manuela. Vous devriez tous prendre exemple sur lui !

— Vous l'avez déjà dit, grommela le Tueur.

— Je veux dormir, geignit Magnus au bord des larmes. 

L'ancien clown pouffa sans vraiment se moquer de lui ; au contraire, il compatissait largement à son malheur et trouvait ses élans de désespoir adorables, presque réconfortants. Cela lui déplaisait fortement quand Magnus était abattu, qu'il ne parlait pas pour ne rien dire et les agacer, et qu'il baissait les bras sans un mot à brailler. Yi Jing souleva son petit frère et le déposa sur un gros caillou où il pourrait respirer un peu et se reposer en dehors de cette boue satanique ; puis, il retourna sur ses pas et rejoignit le blond aux traits autant englués que ses pieds dans le sol. Il plaça délicatement une de ses mèches rebelles derrière son oreille et le magicien dressa sur lui un regard exsangue mais reconnaissant. 

— Tu es l'As Danois, lui souffla Yi Jing en s'accroupissant devant lui, tu te relèves et tu brilles ! Tu as une réputation à tenir, je te rappelle.

— Ma notoriété, s'exclama avec exagération Magnus, est au point mort dans mon pays, et partout dans le monde. Sinon je ne me serais pas lancé dans cette stupide aventure ! Ah, et au passage, s'il me reste un semblant de réputation, elle concerne un gamin insupportable qui baigne dans le luxe et que tous détestent ! Je préfère honnêtement ne pas penser à ma réputation !

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant