Salut à toi

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Les murs en or sertis de joyaux aux couleurs envoûtantes, les piliers qui semblaient monter plus loin que le ciel et le fond de la pièce où dansaient les lettres suivantes : S, T, A, S, E, N, S, E, elles étaient sculptées en relief et avaient l'air de chercher à s'enfuir, en jade. Mais, l'abondance de richesses ne les intéressa pas une seconde. Ils se focalisèrent tous sur un autre détail qui les obligea à ancrer leurs talons au sol, incapables du moindre mouvement. Et quand Jiahao s'écria...

— Eh, regardez, c'est quoi ça ? Je crois que...ça me ressemble !

...ils se rendirent compte que personne d'autre qu'eux-mêmes ne se trouvait dans cette pièce. Pendant un instant, ils tournèrent et se retournèrent, scrutant cet endroit étrangement doré en espérant apercevoir les membres de l'équipe, mais l'équipe avait disparu. Ils crurent avoir rêvé. Ils présumèrent que cette semaine n'avait été qu'une illusion, ou qu'ils rêvaient. Ils ne parvinrent pas à comprendre la situation inquiétante et troublante de laquelle ils ne pouvaient pas s'échapper. 

Ne restait que soi-même, le vide de la pièce et cette horripilante profusion d'or qui grillait leur rétine et leur faisait perdre repère. 

Ainsi qu'une sordide créature. Une silhouette. Une ombre qui mystérieusement, inexplicablement, et irrationnellement, leur correspondait trait pour trait, parfaitement similaire à eux, comme s'ils se postaient devant un miroir. Cependant, leur reflet ne leur plaisait pas. Parce qu'il était inéluctablement malveillant.   

— Où est Hao ? 

Ce fut la première et unique question de Yi Jing à son reflet, puis ce dernier se mit à déblatérer un flot de paroles insensées et il ne put l'interrompre. 

— Hao ? Notre garçon se porte à merveille. Ils discutent avec quelqu'un d'important, quelqu'un qui n'est pas nous. En fait, il a besoin d'air. Nous l'étouffons. Nous le tuons à petit feu. Nous le tuons, nous le tuons. Tuons-le.

Yi Jing tiqua. Le reflet parlait si vite qu'il avait du mal à suivre. 

— Qu'avons-nous ? Enfin, je veux dire, que possédons-nous ? Rien du tout ! A-part de l'amour, bien sûr. Mais notre garçon mérite mieux, non ? Il mérite de vivre dans le luxe, de se noyer dans un bain rempli de jouets, de soumettre ses amis à tous les jeux qu'il voudra faire, il mérite d'écraser tout le monde et d'être le numéro un. Non ?

Yi Jing ne saisissait pas. Il resta planté là, bouche ouverte, bras ballant. Et le reflet en vint à une conclusion simple. Il n'obtiendrait rien de celui-là, alors il changea de cible.

— Putain, je suis trop beau !

La voix aiguë de Magnus Jesper. Il avait enfin rencontré le reflet et il s'observa...ou plutôt se reluqua sous toutes les coutures, surtout ses fesses. Il appréciait la vue, apparemment. Le reflet roula des yeux, mais garda son calme. Il inspira discrètement et passa à l'attaque.

— Beau ? Nous ? Ah bon ? Je ne crois pas, non. Nous sommes au contraire laids. Ne trouves-tu pas ? Lorsque je nous admire dans le miroir, j'essaie désespérément de ne pas pleurer. Notre physique dépasse l'entendement, c'est évident ! Mais qu'en est-il de l'intérieur ? Hein ? L'As Danois ? Sommes-nous bon en quelque chose ? Certes, nous nous amusons avec nos paquets de carte et nos petites flammes, mais j'ai bien l'impression qu'aucune étincelle ne brûle là-dedans.

Le reflet désigna l'emplacement de son cœur et Magnus parut suffoquer aussitôt. Son palpitant rata un battement et il manqua de s'écrouler au sol. Il força dans ses maigres forces pour tenir debout et le reflet sourit méchamment. Conscient d'avoir gagné, il continua :

— A quoi nous sers ce joli minois si nous ne gardons pas un seul ami dans notre vie ? Ni femme, ni pote, le néant absolu. Parce que nous pleurons tous les soirs sous la douche à cause de notre enfance pourrie qui nous a conduit à devenir cet être détestable et imbu de soi. Parce que nous sommes ingrats avec les quelques personnes qui répondent à notre affection pour les éloigner de nous, avant de les faire souffrir. Parce que tu refuses d'avouer que tu n'es qu'un gosse gâté qui refuse de grandir et d'assumer ses actes, ses mots et ses sentiments ! Tu n'es qu'un bon à rien qui déçoit le monde entier ! Quand prendras-tu tes responsabilités ? Quand admettras-tu que tu te sens cruellement seul ? Quand mettras-tu ton arrogance de côté pour t'ouvrir aux autres ? Quand accepteras-tu de vivre en étant heureux ? Cesse de te cacher misérablement derrière ton père et ton éducation, ils ne doivent plus te toucher ! Avance, évolue et brise ce cercle vicieux qui te submerge !

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant