Un psychopathe spécialiste

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Les portes s'ouvrirent avec fracas et claquèrent contre le mur. Il eut tout juste le temps d'entrer à l'intérieur du bar, car les deux battants rebondirent et se refermèrent. Il soupira dans un bruit dramatique et exagéré, bailla de la manière la plus agaçante, s'étira en poussant des couinements insupportables et la talonnette de sa chaussure cirée tapa sur le parquet. A ce vacarme, tous les clients se retournèrent et fixèrent cet énergumène d'yeux sombres. 

— Derek Moore ! fit-il de sa voix aiguë. Je suis absolument enchanté de faire votre connaissance à tous !

Tandis qu'un groupe de six personnes lui criait de se la fermer, qu'un couple ne l'écoutait déjà plus et que certains continuaient de le regarder comme s'il était complètement fou – et il l'était –, Derek commença à serpenter entre les tables en glissant des œillades déplacées sur chacun.

— Il me tarde de mieux vous connaître, ô beaux inconnus, mais avant j'ai une question super importante ! Qui possède un revolver ici ? 

Le barman, qui n'avait pipé mot jusqu'alors, souffla d'exaspération et il se prépara mentalement à le virer de son établissement. Il contourna le comptoir et s'approcha de Derek qui scrutait les réactions de tout le monde, à la recherche d'une arme. Le jeunot derrière le bar lâcha son torchon et s'apprêta à aider son patron à le mettre dehors, mais l'intrus se rua vers une table, se pencha plus vif que l'éclair tonitruant dans le ciel ténébreux et tira d'un pantalon poussiéreux un revolver. L'homme à qui il appartenait se leva immédiatement, prêt à en découdre. Sauf qu'une balle se logea instantanément dans son genou. Le bruit assourdit la pièce et les clients réalisèrent enfin le danger de la situation. N'étant pas totalement satisfait – sa victime ne daignait pas s'écrouler contre le bois –, il tira une nouvelle fois sur son autre jambe, puis sur son coude et il termina sur sa partie du corps préférée, la hanche. Visiblement très heureux, il sautilla en s'applaudissant.

— Le premier qui bouge, il meurt ! avertit-il. Que cet homme serve de leçon. Oh ! mais ne faites pas ces têtes de moutons effrayés ! Bon, je vois que vous n'êtes apparemment pas drôles du tout... Nous sommes là pour nous amuser et passer un bon moment. Vous vous rasseyez, vous me payez un coup à boire parce que je crève de chaud et nous rigolons dans la joie et la bonne humeur ! 

— Espèce de malade ! s'exclama aussitôt une jeune femme, celle qui discutait une minute plutôt avec l'homme percé de quatre balles. Je vais appeler la police !

Elle sortit son téléphone uniquement pour que Moore marche lentement vers elle, s'en empare, le jette au sol et écrase l'écran de son talon. Il termina son œuvre en pulvérisant le portable de quelques sauts nerveux. Par la suite, il expira longuement et ferma ses paupières sous les geignements horrifiés de ses spectateurs. Quand il les rouvrit, il était calme. Derek leva le revolver et tira directement sur le haut de la cuisse de cette femme qui s'écrasa contre le parquet, hurlant de douleur, et il se félicita d'entendre ces cris si mélodieux à ses oreilles. 

Lorsqu'un homme bondit sur ses pieds et fila vers la sortie. Sa rotule explosa et son sang se répandit sur les battants, dissuadant quiconque de partir. Le barman tenta tout de même sa chance. Ses tripes manquèrent de se répandre sur une chaise ; il respirait toujours la seconde suivante, mais il était tombé dans l'inconscient. 

Le silence revint enfin, néanmoins brisé par quelques gémissements d'effroi. Les clients ne bougeaient plus. Derek compta le nombre de balles qui lui restaient. Suffisamment pour parsemer encore plus de souffrance ! Il sourit et dansa pour rejoindre le comptoir. D'un regard, il intima le jeunot de le servir sur-le-champ. Le garçon calma ses élans d'héroïsme et prit sa commande en vacillant. Un bon verre tout tremblant d'alcool fort fut déposé devant lui et Moore remercia poliment le serveur ! 

— Dites-moi, braves gens, qui se dévoue pour payer ma consommation ?

Telle saisie par une volonté suprême de vivre, une femme se jeta vers lui et déposa son porte-monnaie à côté de son bras. Le sang de Derek ne fit qu'un tour. Il pivota sur le tabouret et attrapa le bras de la dame avant qu'elle n'ait pu s'éloigner. Il regarda la place qu'elle occupait et à priori aucun homme ne se trouvait à sa table.

— Une vraie beauté du Nouveau-Mexique ! sifflota-t-il. Ma chérie, que fais-tu dans la vie ?

Elle ne tiqua pas au surnom et tremblota de plus en plus. Il la rapprocha de lui, jusqu'à ce que son genou touche les hanches de cette blondinette bronzée. Ses sourcils valsaient sur son front dans des mouvements parfaitement ridicules. Si Derek était sexy comme un dieu et qu'il excellait au tir et aux carnages, il ne détenait strictement pas de talent pour la drague. Surtout en cet instant dramatique ! Il allait répéter la question à cause du mutisme ennuyeux de la femme, mais elle se dépêcha de répondre sans prendre le temps de respirer entre chaque mot :  

— Je travaille dans l'industrie du textile et la confection du cuir !

— D'accord... Ouah ! Quel...métier barbant à mourir ! Tu aurais pu inventer un truc sympathique, au moins ! Je m'ennuie avec toi ! Suivante !

Il la repoussa violemment et elle trébucha en arrière, s'étalant de tout son long sur le bois. Elle sanglota, mais se releva rapidement et retourna près de ses amies. Derek prit son verre et le but cul-sec, il en réclama un second. Face aux autres femmes, il les épia toutes et ne trouva pas de contentement. Il les jugeait extrêmement laides et inutiles. Il hésita d'ailleurs à tirer sur certaines, mais il se ravisa en dénichant la perle rare. Une femme se cachait derrière de larges habits ; certainement mince avec des courbes, une brune latine à la bouche pulpeuse échafaudait des plans pour s'enfuir de ce bar. Il la pointa du doigt et cria, ce qui fit sursauter les autres.

— Ma foi, cette poitrine ne me déplaît pas ! Viens par ici, ma colombe. Raconte-moi ta vie, je veux savoir !

Elle l'affronta courageusement avec un accent espagnol.

— Je crains de vous décevoir. Je ne suis qu'une minable employée dans l'agro-alimentaire, rien qui vous intéresserait.

— Je décide personnellement de ce qui m'intéresse ou non ! cingla-t-il, en empoignant de ses cheveux et basculant sa tête en arrière. Moi, vois-tu, je suis un spécialiste dans mon domaine ! Un meurtrier ou un assassin, un fou ou un psychopathe ; appelle-moi par tous les noms que tu voudras. Cependant, il y a un surnom que je préfère et qui me sied plutôt bien... Le Tueur des Anges. Qu'est-ce que t'en penses ?

 — Allez au Diable ! vrombit-elle.

— Je suis le Diable et j'ai bien peur d'entacher le plumage de cette colombe d'un divin sang écarlate !

Sans scrupule, il joignit les mots aux actes. En un rien de temps, tout le bar devint silencieux. Derek leur sourit et virevolta entre les blessés, en récoltant le plus d'argent possible. Il finit avec des liasses impressionnantes de billets et quitta l'établissement, vêtu de nouveaux vêtements et d'un rictus malsain aux lèvres. Il n'aimait pas vraiment tuer ses victimes, bien qu'il ait tout de même envoyé quelques innocents dans l'au-delà. Il aimait la souffrance pure et le Tueur des Anges ne se lasserait jamais de voir tout ce sang !

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant