En apnée

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Ils scrutaient tous les mains maladroites de Daniel qui vibraient au rythme effréné de son cœur. La sueur coulait sur son front et son palpitant martelait sa cage thoracique au point de le faire souffrir. Il s'efforçait de placer les pierres correctement, dans les bons trous, mais il en comptait une trentaine et il perdait quelque peu patience – probablement à cause des regards sur lui. Certains, comme Soo Ah et Jiahao, se moquaient bien de ce qu'il était en train de faire. La femme avait été réveillée en fracas par le Tueur à qui elle avait donné un violent coup de talon dans la mâchoire, effrayé par sa tête de psychopathe, et l'enfant ne comprenait pas vraiment la situation ; ils n'avaient tous deux pas écouté les délires marmonnés par le français. Ce dernier répétait sans cesse qu'ils s'apprêtaient à découvrir le Stasensë. Pourtant, son petit puzzle n'intéressait personne, hormis Manuela qui s'était penchée par-dessus son épaule.

Derek Moore se massa le visage et lança des œillades meurtrières à la coréenne. Pour une fois qu'il ne menaçait pas de tuer quelqu'un et qu'il rendait service... La prochaine fois, il l'étoufferait dans son sommeil ! Il ne lui bondit pas à la gorge et ne dégaina pas non plus le revolver, ce qui étonna grandement Charlie. L'agent ne quittait pas des yeux le Tueur depuis qu'il s'était proposé de réveiller la femme, mais il ne semblait pas désireux de massacrer quiconque. Ouah ! On dirait que ses pulsions ne se montraient pas.

— Tu as hâte d'entrer dans le Stasensë, présuma Charlie en lui murmurant à l'oreille.

— Toi non ? répliqua Derek sur le même ton. Ah oui, tu n'y prêtes pas foi ! J'avais oublié... Je te signale, mon cher Apollon, que je disparaitrais de ta vie si le Stasensë est réel. Cela ne te fait-il pas envie ? Non seulement tu te débarrasses de moi grâce à mon vœu, nul ne te reproche quoi que ce soit, puisque je n'existerais plus dans les consciences de chacun, mais en plus tu réalises également un souhait. Au lieu de me surveiller, tu ferais mieux de me remercier ! Je t'ai très bien traité ! 

— Oui, c'est vrai que je n'ai pas en me plaindre. Après tout, j'ai survécu à notre rencontre ! railla-t-il. Espérons que tu ne me liquides pas si près de but ! En revanche, je suis curieux d'une chose. Quelle pirouette utiliseras-tu pour t'enfuir si jamais le Stasensë n'est qu'une supercherie et que je doive t'arrêter pour de bon ? Je présume que tu y as déjà réfléchi, alors dis-le-moi. 

— C'est évident ! pouffa Moore. Je te tue, je le tue, je les tue tous, et je pars !

— Et la vraie réponse, s'il te plaît ?

Wilson lui adressa un regard entendu et, bien qu'il eut l'air sérieux un instant, Derek choisit finalement de sourire bêtement et il ricana bruyamment, s'offrant l'allure d'un fou exubérant, et il ne répondit pas. Charlie sourit également, avec moins d'entrain, et il soupira. Se repositionnant les bras croisés et constatant que Moore ne fixait plus la coréenne de ses orbes ténébreux, il se fit la réflexion que cet homme ne pourrait sûrement pas être sauvé. Un animal dressé qui redevint soudainement sauvage et qui mord ses maîtres, ainsi que toutes autres personnes qui s'approchent de lui, cet animal ne retourne plus à son état domestique. Il fut un jour où le Tueur des Anges n'existait pas, mais désormais il appartenait à ce monde et il ne le quitterait pas si facilement.

— Asseyez-vous, Madame Moon, suggéra Daniel d'un souffle prompt.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, je tiens debout.

— Vous tenez debout par pur miracle, jolie dame ! grinça Moore en la voyant chancelante de fièvre. 

— Non ! intervint brièvement le français. Vous frémissez et claquez des dents, vous me déconcentrez. Qu'elle s'assoie. 

Manuela pivota et se rua sur la coréenne avant qu'elle n'ait pu dire un mot, elle lui saisit les bras et la tira en bas, l'obligeant à s'agenouillant. Puis, la chamane regagna sa place, c'est-à-dire collée derrière le français. Soo Ah fit aussitôt la moue, un brin vexée. Il aurait pu lui demander gentiment. Comme s'il compatissait, Jiahao sautilla jusqu'à elle et lui présenta des babioles qu'il avait récupérées ci et là. Une majorité était simplement des vieilles pièces de cuivre, de la ferraille sans importance. Elle esquissa un sourire malgré sa peau brûlante, et le garçon s'en réjouit. Son grand frère lui avait spécifié de ne pas trop s'approcher d'elle afin de ne pas tomber malade à son tour, mais il souhaitait absolument lui déposer un de ces baisers baveux dont il avait le secret. Et il le fit. Yi Jing ne le gronda pas, donc il gloussa, fier de lui. 

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant