Le lendemain, ils reprirent la route et Daniel Saint-Germain observait les barres indiquant leur reste d'essence diminuer au fur et à mesure des heures. Non seulement, le plein n'avait pas été fait avant leur départ, mais ils ne semblaient pas transporter de barils d'essence. Il jetait des regards inquiets à la chamane qui se contentait de sourire paisiblement dans son sommeil, la tête tournée vers la route. Était-ce dû à l'âge ou à son ennui, mais elle dormait toute la journée. Il ne la dérangea pas et choisit de ne pas questionner ce problème de carburant. Elle savait parfaitement à quoi elle jouait et cette femme ne se risquerait sûrement pas à s'amuser avec leurs vies ! Elle devait avoir une raison.
— Daniel, n'est-ce pas ?
La voix neutre de l'agent – une sonorité plus douce que la sienne, mais plus ferme que le timbre de Derek Moore – le fit sursauter imperceptiblement. Le français se désintéressa de la vieille dame et pencha son menton dans sa direction. Quand il acquiesça, l'homme lui tendit sa main qu'il s'empressa de serrer. Il ne se battait pas avec le psychopathe pour une fois, alors il se permit un air décontracté.
— Nous ne nous sommes mêmes pas présentés, remarqua l'agent. Charlie Wilson, agent d'Interpol.
— Daniel Saint-Germain, français et professeur de littérature britannique en faculté. Je croyais que vous vous nommiez Apollon.
— J'avais adopté Napoléon en ce qui vous concerne ! railla Wilson et ils pouffèrent.
— Un sacré numéro, ce sale type ! Vous le connaissez personnellement ? s'enquit-il avec curiosité. Ou agit-il constamment comme s'il ne tuait pas des gens ? Il s'accroche toujours à vous et vous traite en...ami ?
— Je lui ai reproché hier soir. Peut-être qu'il vit dans le déni. Ou je réfléchissais à un trouble de l'identité. Un dédoublement. Peu importe, je n'ai clairement pas envie de sympathiser avec lui, contrairement à ce qu'il semble penser !
Machinalement, Charlie pivota légèrement vers le psychopathe et Daniel zieuta sur eux via le rétroviseur central. Un véritable phénomène ! Moore écoutait la musique sur le portable de la coréenne aujourd'hui et il se déhanchait encore bruyamment et avec l'énergie inépuisable d'un enfant. Le soir venu, il dormait très bien. La veille, l'agent l'aurait presque confondu, mais il ne devait pas oublier sa nature profonde de tueur sans merci. Bientôt, ils n'auront plus de téléphone à lui donner pour s'occuper. Qu'adviendra-t-il d'eux à ce moment-là ?
— Il ne nous tuera pas, souffla Daniel en baissant d'un ton. Vous vous tendez de jour en jour. Votre culpabilité est évidente... Sachez que nous vous remercions de votre sacrifice.
— Quel sacrifice ? grogna Charlie. Je pourrais simplement dégainer mon arme et tirer. Qu'est-ce qu'il m'en empêche ?
— Eh bien, votre conscience professionnelle, je suppose ! Interdiction de tirer sans votre excuse d'auto-défense.
— Qui le saurait et qui me dénoncerait ? rétorqua-t-il.
— Vous le saurez. Si votre doigt démange, rappelez-vous de votre équipe massacrée en quelques minutes par ce fou. J'ai l'impression qu'il cache bien son jeu ! Derrière ses sourires de malade et son attitude désinvolte, irrespectueuse et excentrique, un tueur né sommeille en lui, se déchaînant sur les innocents. Il connaît son métier, c'est certain !
— Je vous ai prévenu, vibra la mélodie fluette du danseur improvisé, je suis un psychopathe spécialiste !
Derek continua de bouger ses fesses en rythme et l'agent pâlit. Avait-il entendu l'intégralité de leur conversation ? Par réflexe, il s'apprêtait à s'excuser, puis il se souvint. Cet homme paraissait si normal et joyeux qu'il était aisé de se tromper. Charlie s'interrogea donc ; soit le Tueur des Anges profitait de ces apparences artificieuses pour duper et s'emparer de ce qu'il désirait, soit il ne le faisait pas exprès. Son comportement se montrait naturel et même le meilleur manipulateur finirait pas dévoiler sa malice. Soupirant, il changea de sujet et ignora la puce qui s'excitait sur des chansons coréennes.
— Comment va-t-elle ? fit-il en désignant la chamane. Elle atteint un âge avancé, mais j'ai connu des grand-mères plus en forme qu'elle ! Parfois sa poitrine ne se soulève plus.
— Vous l'avez constaté aussi ! J'ai établi une hypothèse : nous savons qu'elle communique avec les morts, donc il n'est pas improbable que son pouvoir passe par le sommeil.
— Parce que vous acceptez ses capacités ?
— Pas vous ? répliqua Daniel, en le fixant.
— Je ne suis pas sûr. Je n'accorde aucune foi en votre Stasensë. Je vous suis uniquement pour surveiller le Tueur. Au final, je reste persuadé que vous vous heurtez à du néant.
— Selon vous, nous ne rencontrerons rien. Honnêtement, je doute également. Mais je me confronte quotidiennement à des...complications qui exigent des réponses concrètes. Il n'existe qu'un seul endroit sur terre où convergent toutes les rumeurs sur le surnaturel.
— Vous espérez y trouver vos réponses, conclut l'agent. Que ferez-vous dans le cas où vos recherches ne mènent à rien ?
— Je retournerais chez moi et j'essaierais de ne plus me poser autant de questions. Le Stasensë représente mon ultime chance de savoir qui je suis.
L'américain hocha la tête sans conviction. Il s'efforça de ne pas analyser cet homme étrange et de ne pas s'interroger à son sujet. Qui diable attendait des réponses d'un lieu légendaire et soi-disant mortel ? Daniel Saint-Germain ressemblait à un homme bon et juste. Dès qu'ils quittaient les voitures, il aidait tout le temps à effectuer les différentes tâches. Il réalisait au mot près les ordres de la chamane et ne remettait pas en cause ses décisions. Il proposait sa main à Jiahao quand il peinait à marcher dans le sable et l'accompagnait à l'écart pour faire ses besoins. Il parlait souvent avec Soo Ah parce qu'il notait sa lassitude à être entourée par un désert froid et il voulait qu'elle se déconcentre momentanément de sa contrariété grâce à une conversation agréable. Par conséquent, Charlie se convainquait d'un fait : il pouvait offrir sa confiance au français.
De son côté, bien que la chamane n'apprécie pas l'agent pour une raison qu'il ne saisissait pas et qu'elle s'adresse à lui sèchement, Daniel aimait sa franchise et son application à veiller sur eux en réprimandant le psychopathe à chaque fois qu'il les charriait avec ses blagues douteuses. Le sentiment de fiabilité était réciproque.
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Stasensë - L'âme du désert.
AvventuraDerek Moore est un psychopathe reconnu pour divers meurtres et il s'est évadé de l'hôpital psychiatrique, seul rempart qui l'empêchait de répandre sa cruauté sans limite. Charlie Wilson est un agent d'Interpol et il est chargé de l'enquête visant à...