Un instant de paix

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— Tu prends des médicaments ?

La voix rauque du français surprit Soo Ah qui sursauta et pivota vers l'homme allongé sur le lit. Sur ses joues, trônaient les traces des draps. Apparemment, Daniel avait l'habitude tenace de dormir la tête ensevelie – à se demander comment il respirait là-dessous. Elle avait bataillé toute la nuit pour rester à la surface quand il les submergeait en rabattant les tissus dans un geste inconscient. Il se réveilla lentement, quittant un doux rêve dans lequel il se trouvait dans une maison chaleureuse en compagnie d'une jolie femme, et non pas dans le désert. Il se rendit compte au bout de plusieurs longues secondes qu'il ne s'agissait pas d'un doux songe, mais de leur réalité. Son corps se hissa malgré les courbatures et il s'adossa au mur, ne voulant pas se lever tout de suite. 

— Pilule, répliqua-t-elle sur le ton d'une évidence en montrant sa plaquette. 

— Ah oui, j'avais oublié, marmonna-t-il et elle lui adressa une grimace contrite. Mais tes...euh...règles ne vont pas poser de problèmes ? Notamment si nous passons plus d'un mois dans le désert.

— J'enchaînerai mes plaquettes. Hors de question que je subisse mes règles ici ! Je n'ose même pas imaginer le voyage. Nous avons suffisamment d'ennuis.

— Donc, en enchaînant les plaquettes, tu n'as pas tes règles ?

Clairement, il n'y connaissait rien en contraceptif féminin, et encore moins aux femmes en général. Elle pouffa et lui expliqua que la pilule bloquait les règles.

— Je suppose qu'en France aussi vous avez des télé-réalités d'aventure, fit-elle. Eh bien, les femmes choisissent d'avoir leurs règles ou d'enchaîner les plaquettes. J'ai lu un article qui en parlait. 

Il hocha lentement de la tête, puis remarqua que cette conversation était assez étrange. En particulier, parce qu'ils avaient dormi dans le même lit et qu'il venait à peine de se réveiller. Sans café, il y avait peu de chances pour qu'il se souvienne de ce qu'elle avait dit. 

— Les autres doivent être déjà levés. J'entends du bruit depuis un moment, précisa la coréenne. Notre hôte est un matinal ! Je perçois ses piaillements jusqu'ici. 

— Il parle beaucoup, mais il est gentil. Du moins, nous pouvons comprendre son excitation. Après tout, il vit tout seul dans le désert.

Elle acquiesça. Puis, naturellement, tandis qu'elle était dos à lui, la jeune femme ôta son pull en laine et exhiba un fin débardeur qui la collait à la façon d'une seconde peau. Daniel déglutit. Le haut ridiculement petit remontait et laissait entrevoir la naissance de ses hanches aux courbes si féminines. Sans attendre, il détourna le regard, quelque peu gêné. Brusquement, du coin de son œil, il sentit du mouvement. Soo Ah fit volte-face très rapidement et elle s'assit devant lui, en position du lotus. Il recula par instinct, mais se détendit aussitôt dès qu'elle commença à débander son bras qui était douloureux depuis sa chute dans la cavité à la suite du piège du plafond. 

— J'ai chaud, répondit-elle à son regard insistant sur son débardeur.

— Désolé, je ne voulais pas...

Il ne voulait pas paraître grossier en fixant ce haut peu épais, mais elle ne lui laissa pas terminer sa phrase. Elle haussa simplement ses maigres épaules, faisant ressortir ses clavicules saillantes. Comment une brindille comme elle résistait-elle au vent ? Il s'interrogea. Cette femme était si petite et chétive, les os se devinaient sous sa peau dorée et de moins en moins pâle. Elle reprenait des couleurs ! C'était une bonne nouvelle. Il sourit et elle l'aperçut, ses sourcils froncés le questionnèrent et il décréta :

— Je suis content que tu ailles mieux. Pendant un moment, nous avons cru que ton rhume te mettrait K-O.

— Je remercie surtout la chamane pour avoir prévu une trousse de secours bien fournie. Sinon...je ne sais même pas si j'aurais pu me relever sans antibiotiques ! 

L'infirmière effectua des gestes qu'elle connaissait par cœur. Elle ôta vivement, mais prudemment, le bandage rougi par le sang du français et elle le déposa sur la table de chevet, ne trouvant pas de poubelle dans la pièce. Elle utilisa le spray pour désinfecter les écorchures sur son avant-bras et la bouche de Daniel se tordit. Définitivement, il n'aimait pas cette sensation ! Jamais plus il ne se blesserait. Ensuite, Soo Ah l'enroula de nouveau dans une bande sans ajouter de compresse pour que la peau puisse respirer. Puis, elle s'occupa de son poignet légèrement enflé. 

— Dans les tunnels, je n'avais pas vu cette crème et de toute façon nous n'avions pas le temps. A priori, elle soulage les inflammations. Je vais en appliquer.

Ses réflexes d'infirmière se ressentaient. Prévenir ses patients de ce qu'elle faisait, être délicate, mais avec des gestes assurés. Elle maîtrisait son métier, pour sûr ! Daniel lui donna docilement son bras et elle massa le poignet. Sur le coup, la douleur l'envahit, mais elle disparut progressivement. La crème répandait sur sa peau une impression de froid. Ceci mêlé aux talents de Soo Ah, Daniel souffla enfin. 

— Est-ce que..., se risqua-t-il. Est-ce que ça va ?

— Tu l'as dit toi-même, gloussa-t-elle, j'ai un bien meilleur teint aujourd'hui ! N'est-ce pas ? 

— Non, pas ça. Hier soir. Ta grand-mère.

La jeune femme s'arrêta un instant de le masser et il se prépara déjà à l'enlacer au cas où elle craquerait encore. Mais, contre toute attente, elle esquissa un sourire délicat, bien qu'il dissimulait une amertume mordante. 

— Pas le choix ! s'exclama-t-elle. Je dois continuer. Pour elle ! Je ne peux pas échouer. En fin de compte, nous ne sommes pas très différents, nous tous. Aucun d'entre nous ne peut se permettre de manquer le Stasensë. Soit nous le trouvons, soit nous perdons tout.

— Je suis désolé, chuchota-t-il.

— Tu t'excuses pour on-ne-sait quelle raison ce matin ! fit-elle remarquer. Ce n'est pas de ta faute si ma grand-mère est malade et que je suis trop stupide pour rester auprès d'elle, au lieu d'errer dans le désert de Gobi. Et ce n'est pas de ta faute aussi si une femme se promène en débardeur devant toi ! Mais, n'oublie pas, Napoléon. Tu peux regarder, pas toucher !

Elle se leva aussitôt et s'enfuit de la chambre avec un mince rictus amusé aux lèvres, laissant un Napoléon aux joues cramoisies sur le lit. Soupirant, il se hissa sur ses jambes meurtries par les courbatures et secoua la tête en riant discrètement. Elle avait très certainement piqué son orgueil, mais il avait gagné un sourire de sa part.  

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant