Mon fol espoir

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A l'ahurissement de tous, Jiahao réagit le premier. Il s'extirpa de derrière son bouclier – aussi nommé Yi Jing – habilement et se posta au pied du Tueur des Anges. Ce dernier saisit un bâtonnets de gingembre doux et le mâchouilla tranquillement, regardant de sa hauteur le minuscule petit être. Il envisagea de lui faire peur, mais étrangement il n'en avait pas l'envie. D'une part, ce gosse ne semblait pas contre lui et ne représentait aucun risque ; d'autre part, la lueur de candeur dans ses yeux l'obligeait à se tenir bien. Moore ne voulait pas le briser tout de suite. S'il s'en prenait au garçon, toute l'équipe n'hésiterait plus une seconde avant de lui arracher la tête. 

D'ailleurs, il s'attendait à ce que ledit bouclier s'avance et lui interdise de participer à cette quête avec eux. Yi Jing amorça effectivement un mouvement, tandis que Charlie Wilson baissait son arme et la rangeait dans son étui, mais la chamane fit un pas et tous l'écoutèrent. Moore arbora aussitôt un sourire malsain qui tira un frisson à Magnus. 

— Monsieur le Tueur, nous approuvons votre présence ici...

— Qui approuve ? souffla l'As Danois, en arrière et les bras croisés.

— ...et nous invitons également Monsieur l'agent à se joindre à nous.

— Grand-mère, je ne suis pas certaine ! lui murmura Soo Ah. Il assassine des gens ! continua-t-elle avec entêtement. Pourquoi ne pas fuir ? Les professionnels s'occuperont de lui et nous, nous serons en sécurité.

— Il est évident qu'avec lui dans l'équipe nous ne pourrons pas dormir sur nos deux oreilles, acquiesça Daniel Saint-Germain à voix haute. Madame Correia, je n'approuve pas du tout.

— Je me permets d'intervenir ! clama Moore.

Celui-ci entra dans le cercle qu'ils avaient formé, en jouant des coudes, et l'agent le suivit de près, sa main plongeant dans l'étui de son arme. Le Tueur jeta un coup d'œil à son Apollon et lui adressa son habituel rictus narquois, comme s'il se moquait constamment de lui. Puis, Derek se concentra sur chaque personne en face de lui, quelque peu déconcerté de trouver des nationalités foncièrement différentes. Mais il en sourit. Il comprit que ces gens ne se connaissaient probablement pas et qu'ils seraient souvent en désaccord. Aussi, il devina qu'ils ne se feraient pas facilement confiance ; une chance pour lui ! 

— Possédez-vous suffisamment d'informations sur le Stasensë ? demanda-t-il, d'une voix simple et fluette. Moi, oui ! Comme je vous l'expliquais, mon ancien compagnon de cellule s'était apparemment rendu là-bas et il en était revenu vivant. Son esprit, en revanche... Il parlait beaucoup trop et je l'ignorais au début, mais son charabia s'est finalement révélé utile ! Je détiens un nombre crucial de détails sur cet endroit, notamment sur les dangers qui nous attendent. Je pourrais vous aider !

En fait, son camarade s'était tué avant de lui dire quoi que ce soit de croustillant. Derek Moore mentait. Le Stasensë réalise les vœux de quelques chanceux, mais cet endroit anéantit la plupart des formes de vie qui l'approchent, il ne savait rien de plus. 

— Moi, je veux bien qu'il vienne avec nous ! chuchota la voix de Jiahao, en chinois.

— Nous avons déjà un guide, objecta immédiatement Yi Jing.

Le chinois se transformait en statue de marbre, alors qu'il encerclait derechef le bras de son petit frère et le mettait à l'abri derrière sa jambe. Il lui lançait un regard noir, le défiant d'attaquer. Moore aimait bien ce duo ! Il se souvenait d'avoir déjà massacré une famille ; l'aîné des trois frères s'était opposé à lui, pendant que le cadet appelait les flics. A cause d'eux, il avait été mis en procès, avant de s'échapper pour quelques mois supplémentaires. Il devrait les haïr, pourtant le gamin n'avait pas peur de lui et n'essayait pas de le fuir. Et là, le Tueur des Anges eut un déclic : le petit avait vécu l'enfer et ne craignait plus rien. 

— Il a raison ! s'exclama la chamane et elle les scruta tous, s'apprêtant à prononcer des mots qui ne plairaient pas à tous. Je suis leur guide. Les morts m'ont parlé et j'en connais bien plus que vous. Si le chemin se teintait d'ombres, je les mènerais sereinement au Stasensë. Toutefois, la paix n'existe pas là où nous allons. Il n'y a que le chaos. Monsieur le Tueur, Monsieur l'agent, ces personnes et moi-même sommes toutes conscientes des dangers et nous endosserons la responsabilité de notre choix face à la faucheuse si elle vient nous cueillir. 

— A quel point êtes-vous désespérés ? soupira Charlie.

— Nous abandonnons tout et remettons notre vie au hasard. Seulement, nous pouvons aiguiller le sens du hasard en notre faveur ! expliqua-t-elle, en se tournant vers l'équipe. Notre désespoir ne servira à rien, hormis à mourir sans trop de regrets. La folie... La folie pourrait nous sauver. La folie cache la témérité, la détermination, l'imprévisibilité et l'impulsion, et le Tueur des Anges a une gâchette facile.  

— Je maîtrise diverses techniques de combats qui vous feraient pâlir, confirma-t-il. J'adore changer mes façons de tuer. 

— Il ne survivrait pas tout seul dans le désert et il mourrait bien avant d'atteindre le Stasensë, mais nous ne tiendrons pas longtemps sans un homme capable de nous sortir des dangers. Une vieille chamane, une femme toute menue et un gosse, sans oublier Magnus... Qu'allons-nous faire en cas d'attaques imprévues ? Regardez-nous ! Si Monsieur l'agent n'était pas là, le Tueur se serait déjà amusé avec nos cadavres !

— Pourquoi suis-je dans le même panier que vous, vieille sorcière ?! s'insurgea Magnus et Jiahao ricana.

Le Tueur des Anges semblait à première vue idiot et simplet, assassin ravageur, inapte à comprendre l'humain, et privé d'émotions. Ce n'était pas tout à fait vrai. Derek Moore avait passé un certain temps en hôpital psychiatrique et il avait croisé des personnes terriblement intéressantes : ses semblables, des malades mentaux cruels et des meurtriers dont l'âme voguait déjà dans le Styx. Durant toutes ces années, il s'était aperçu d'un fait hilarant. Il éprouvait des sentiments forts et pleurait parfois, il riait et s'amusait énormément, il se pissait dessus quand il rencontrait des fous qui l'effrayaient et il suppliait les aides soignants lorsqu'ils le forçaient à avaler des cachets telle une oie à gaver. 

Derek Moore était doté d'une intelligence supérieure et il comprenait parfaitement le monde qui l'entourait. Par exemple, en cet instant précis, il savait que cette femme voulait l'utiliser. Elle l'invitait volontiers parce qu'elle le pensait fou au point de se ruer vers la mort et elle conviait également l'agent d'Interpol pour le maintenir en place en cas de conflit interne. Quelle vicieuse ! Contrairement aux deux chinois et à la belle asiatique, il n'était pas sûr d'apprécier la vieille. Il commençait même à la mépriser. 

— L'affaire est close ! Je vous suis et Apollon vient avec nous.

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant