Le cœur du Stasensë

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Naturellement, ils s'étaient tous regroupés devant l'arche ouverte qui donnait sur un énième tunnel sombre, en haut de laquelle trônaient les lettres indicatrices du Stasensë en jade. 

— Vous ne trouvez pas que la fin du voyage est trop simple ? rouspéta Derek Moore qui avait de nouveau sa voix criarde et assurée. Vous en avez chié pour arriver là, mais l'entrée est par ici, à la queuleuleu et attention à la descente ! Non ? Y a que moi que ça dérange ?

— Il a raison, marmonna Daniel.

— Taisez-vous ! ordonna Manuela. Cessez vos enfantillages, Moore, et en avant ! Le Stasensë nous attend depuis trop longtemps, rendons-lui visite !

La vieille sorcière ne patienta pas et n'écouta pas les remarques de l'équipe. Elle s'engouffra dans l'ombre et ils la suivirent, faute d'arguments pour la retenir. Ils s'enfoncèrent encore et encore jusqu'à ce que la chamane s'arrête brutalement. Les lampes ne fonctionnèrent plus, ils finirent dans le noir complet. Manuela interrogea immédiatement les morts et son sang se glaça. Ils lui prouvèrent que la fin du chemin était bel et bien ici.

— Les morts m'ont parlé, fit-elle avec émotion. Aucun d'entre eux n'est arrivé jusqu'ici. Les deux ou trois survivants de la créature du tunnel et qui ont déniché le mécanisme pour ouvrir le mur, ils ont succombé aux hallucinations. Nous avons réussi. Nous avons survécu. Nous méritons le Stasensë, confirma-t-elle.

Si elle avait pu les voir, elle aurait aperçu les yeux indifférents de l'Agent Spécial et de l'ancien clown, les sourires ravis de l'As Danois et de la coréenne, ainsi que le soulagement extraordinaire de Daniel. En revanche, malgré les ténèbres, elle entendit clairement l'excitation du Tueur et de la teigne qui poussèrent des cris de victoire. Elle ricana elle aussi, se mêlant pour une fois aux réactions des autres, et elle recommença à avancer. Le tunnel était assez étroit, donc elle se tenait des deux côtés de la paroi rocheuse, ce qui maintenait son équilibre fragile. Bientôt, son pied buta sur un obstacle. Elle tâtonna, puis avertit :

— Ce sont des marches, allez-y doucement !

Dans son esprit, elle se repassait en boucle son vœu. 

— Il n'est pas trop tard pour changer d'avis, murmura Charlie en montant les marches. Tu peux toujours faire un vœu différent. 

— Ne gâche pas l'ambiance, rétorqua Derek en le suivant.

— Vous le tuerez, répliqua Manuela. Avant qu'il prononce son vœu, de préférence ! Nous serons enfin débarrasser. Et votre manquement à votre devoir sera comblé.

— Il ne le fera pas ! gloussa le Tueur. Hein ? Tu ne le feras pas. N'est-ce pas ? Apollon ? Eh Oh ? Tu ne me tueras pas...oh, merde, pourquoi monter des marches dans le noir ?! Ces fichues lampes ne nous servent à rien, putain !

En essayant de le rattraper, Derek avait trébuché sur une marche et il pariait que son genou était désormais écorché. Il insulta également le pantalon pour ne pas avoir protégé sa peau fragile et il injuria évidemment la chamane, ayant pris cette habitude. Le reste de la montée s'effectua dans le silence. Mais, Moore ne se voilait pas la face. L'Agent Spécial Wilson restait l'Agent Spécial Wilson, et il n'avait pas répondu à la question, ce qui ne présageait rien de bon pour lui. Maintenant, l'heure était venue de déterminer lequel parviendrait à assassiner l'autre. Le compte à rebours s'était mis en route. Plus que quelques secondes et la tuerie débuterait. Une longue et interminable semaine pour en arriver à ce moment.

— Stop ! cria Manuela, débordante d'empressement. Je ne peux plus continuer.

Littéralement. Un mur lui bloquait la route tout autour d'elle. La chamane glissa ses mains partout, sur toutes les surfaces rugueuses qu'elle pouvait toucher. Elle perdait patience, quand elle tenta de trouver quelque chose au plafond du tunnel.

— Bingo !

Un crochet faillit lui lacérer la peau, mais elle le manipula délicatement dès qu'elle sentit le bout tranchant. La roche s'était dérobée. A la place, elle discerna du bois. Une trappe ? Afin de vérifier son hypothèse, elle poussa de toutes ses maigres forces. Sans succès. 

— Il y a du bois ici, exposa-t-elle. Il bouge, mais je ne parviens pas à le soulever. Daniel ? 

Le français marchait derrière, donc il était le plus proche. Vivement, avec une impatience similaire, il poussa le bois. Celui-ci se soulevait légèrement, mais un poids pesait sur lui et empêchait la trappe de s'ouvrir. Brutalement, et de toute son espérance, il donna de grands coups qui résonnèrent dans le tunnel. La planche bougea de plus en plus. Au fur et à mesure, le soleil apparut et les éclaira. Aussi, du sable chutait abondamment sur lui, l'aveuglant. Daniel crut un instant qu'il s'agissait d'un piège et qu'ils finiraient engloutis sous une tonne de grains dorés, mais il ne prit pas en compte ses doutes et continua de frapper.

Le sable s'écoula entièrement et finalement le bois se souleva tellement que Daniel l'envoya quelque part. Lui et Manuela observèrent l'endroit qui se présentait à eux. Du ciel à moitié bleu, à moitié gris, teinté de quelques nuages, un soleil éblouissant et du sable à perte de vue. Fronçant les sourcils, le français n'attendit pas les ordres de la chamane. Il accrocha ses mains à la paroi rocheuse et se hissa difficilement – il n'avait pas autant de muscles que son fin torse et ses bras épais le laissaient entendre. Mais il réussit ! Et il se figea. 

— Qu'est-ce qu'il fout ? grogna Derek. Bon, vieille sorcière, soit tu te pousses, soit je te pousse. Napoléon ne veut apparemment pas t'aider à grimper et ce n'est pas moi qui le ferait !

Le Tueur mêla les mots à l'acte et il décala la chamane pour se hisser à la surface. Charlie roula des yeux, mais il l'imita et tendit ensuite ses mains à Manuela pour la soulever. Il était convaincu que s'il ne s'en chargeait pas lui-même et tout de suite, Derek trouverait un moyen de l'enterrer sous-terre en refermant la trappe. Yi Jing lui prêta main forte et les deux hommes montèrent également le garçon, et la jeune femme. Très vite, ils firent tous face à... Eh bien, à priori, à du désert. 

— Quelqu'un m'explique pourquoi le Stasensë ressemble au désert que nous avons quitté l'autre jour ? maugréa Derek sans quitter son ton moqueur. 

— Ce n'est pas possible, chuchotait inlassablement la chamane.

Derek Moore et Charlie Wilson pivotèrent machinalement l'un vers l'autre et ils tombèrent en accord. Le compte à rebours était suspendu.   

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant