Un festin de viandes

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Ils s'arrêtèrent abruptement quand ils eurent roulé vers l'ouest durant quatorze kilomètres, ainsi que les directives l'exigeaient et qu'ils aperçurent ensuite une ligne de pointillés tracée entre deux indications. Ils comprirent assez rapidement à quoi servaient ces petits traits imparfaits. Face au vanne, un habitat semblable à celui de Sukh se tenait droit et fier dans le désert, en plein milieu des steppes. Contrairement à la maison de leur hôte, cet endroit leur parut moins accueillant, moins chaleureux, plus formel, et par conséquent moins angoissant et sans mystère. 

Un panneau à l'entrée devait forcément vouloir dire quelque chose, mais il s'agissait du langage mongol qu'aucun d'entre eux ne connaissait. Cependant, ils purent deviner où ils se trouvaient. Trois hommes – un basané aux gestes vifs et amples, deux à la peau légèrement bronzée – et une femme aux boucles noires, épaisses et interminables qui tombaient dans son dos et se fondaient sur sa chair couleur caramel, mangeaient en discutant avec entrain. Même à l'intérieur du vanne et avec les fenêtres closes, ils percevaient leurs rires tonitruants et leurs mots qui n'étaient ni d'ici, ni anglais. Une langue latine, pour sûr. Des espagnols ou des italiens à priori. L'équipe se partageait quant à leur nationalité. 

— Peu importe, trancha Manuela.

Et elle avait raison. Seule importait la raison de leur présence dans cet endroit perdu au centre chaotique de Gobi. Ils étaient assis autour d'une table ronde en pierre rustique et dînaient tranquillement en riant et prenant du bon temps. Trois sacs à dos étaient posés près de leurs jambes, sous les tabourets. Des voyageurs qui effectuaient un trek. 

— C'est une simple auberge, déclara la chamane en toute confiance de ce qu'elle avançait.

— Ou un énième piège de notre piètre pote Sukh, rétorqua Magnus par esprit de contrariété. 

— Ou une pause bien méritée, soupira-t-elle. 

— Nous faisons donc confiance à ce fou furieux, qui est probablement un des vôtres qui plus est, et nous prenons une petite pause avant de repartir vers l'inconnu ! résuma le Tueur avec humeur.

— Exactement ! chantonna la vieille dame. De toute façon, pourquoi rechignez-vous ? Si notre arrêt ne se déroule pas comme prévu, vous pourrez tuer ces gens sans que nous vous le reprochions. Au lieu de râler, vous devriez espérer que les événements tournent au tragique ! 

Peut-être bien que Derek Moore ne voulait surtout pas que les événements tournent au tragique, justement parce qu'il obtiendrait une occasion en or de faire couler du sang. Ils quittèrent le vanne les uns après les autres. Charlie fit un signe à son homologue américain de passer devant lui, mais le Tueur ne bougea pas d'un pouce, enfoncé dans son siège. Wilson haussa les épaules et sortit à son tour, et le psychopathe regretta aussitôt de jeter un œil à l'arme à sa ceinture. Respirant profondément, il commença à prier. Mais pas les prières que supposaient la chamane. 

Cette dernière s'empressa de se diriger vers l'auberge touristique avec le sac où de l'argent mongol était empilé – généreux cadeau de Sukh, sûrement pour se faire pardonner de les avoir piégés. A leur approche, les étrangers se firent discrets. Ou du moins, ils diminuèrent leurs mouvements excessifs et ils baissèrent la voix. Cordiale tentative de ne pas déranger les nouveaux arrivants, bien que leurs piaillements rieurs étaient toujours trop portés par le vent. Manuela n'hésita pas une seconde à entrer par la maigrichonne porte en bois qui s'ouvrit en un courant d'air. Une poignée de personnes s'agitait à l'intérieur. 

Quelqu'un s'approcha de l'équipe, les bras chargés de lourds draps. Une femme bien en chair et à la peau presque brûlée par le soleil ravageur du désert, aux lèvres gercées et blanchâtre, la chevelure crépue emprisonnée dans un large foulard. Lorsque Jiahao fronça les sourcils en n'apercevant qu'une grosse tête dépasser des literies, la personne ricana et leur chuchota sur le ton de la confidence :

Stasensë - L'âme du désert.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant