Chapitre 55

391 20 8
                                    


Voldemort porta instinctivement sa main à sa baguette, et un coup d'œil en direction de Bellatrix permit de lui assurer qu'elle avait réagi de la même façon. Les restèrent immobiles, les muscles bandés, parés à l'attaque, mais le nouveau venu entra dans le restaurant sans un regard pour le couple assis dans un coin sombre de l'établissement.

Voldemort observa Dumbledore déposer une tape amicale sur l'épaule du serveur -visiblement dénommé Tom- avant de s'installer à une table non loin d'eux. Le mage noir se détendit peu à peu, mais serra les dents quand il comprit qu'il n'allait pas pouvoir garder l'œil sur son ennemi qui s'était installé derrière son dos. Bellatrix, en revanche, avait une vue directe sur le vieil homme. Les deux tendirent l'oreille.

- Un verre de whisky, Tom, tu veux ? demanda le directeur de Poudlard au serveur. Et ce superbe gratiné à l'oignon que vous faites.
- Tout de suite, Albus.

Bellatrix lança un coup d'œil à Voldemort. Ses yeux étaient rivés sur son plat, ses sourcils étaient froncés, et ses lèvres étaient pincées. Tous deux espéraient réunir des informations ce soir-là. Ils ne pouvaient pas risquer d'attaquer immédiatement le sorcier. Alors, ils firent comme s'ils n'étaient que d'ordinaires clients venus dîner dans un des plus vieux restaurants du quartier, et Bellatrix tâcha de ne pas croiser le regard de son ancien directeur.
Le serveur revint avec le verre d'Albus, et resta un moment à bavarder avec lui.

- Longue time no si*, tenta de serveur en anglais.
- Oui, en effet, répondit Dumbledore avec un sourire aux coins des lèvres. J'étais très occupé en Écosse. Les élèves me donnent du fil à retordre, surtout les anciens.
- Tu viens profiter de tes vacances à Paris, eh ? répondit Tom. L'Écosse doit être plus reposante pourtant, non ? C'est la folie ici.
- Oh, c'est la folie là-bas aussi, répondit Dumbledore. Mais n'y pensons pas, et apprécions ce fabuleux whisky que tu m'as amené.

Les deux levèrent leurs verres et portèrent un toast à leurs retrouvailles. La suite de la conversation fut aussi inintéressante que le début, et Bellatrix et son Maître commençaient à perdre espoir quand Tom le serveur changea soudain de sujet.

- Et tu cherches encore cet ancien élève, celui qui avait le même prénom que moi ?

Dumbledore resta silencieux un moment, le regard plongé dans le liquide ambré qu'il restait dans son verre désormais à moitié vide, avant de se racler la gorge.

- Tom est revenu parmi nous il y a plusieurs années déjà. Mais, tu as raison, ma présence ici est liée à ce jeune homme. Qui n'est plus si jeune, d'ailleurs, mais pour moi il sera toujours le garçon solitaire et mystérieux qu'il fut autrefois.
- Je comprends, répondit le serveur. Mon fils vient d'avoir vingt-deux ans, et moi j'ai toujours l'impression qu'il n'en a que quinze. C'est dingue comme le temps passe vite. Il travaille avec nous maintenant, c'est la relève. Il est en cuisine avec sa mère, peut-être que tu pourras le croiser.
- Ce serait un plaisir.
- Et... ce garçon, Tom... si tu ne le cherches pas, qu'es-tu venu faire en France ?
- Ce n'est pas quelqu'un que je cherche... ce sont des réponses, dit Albus d'un ton grave. Disons simplement que, lorsque Tom est revenu, il n'était plus le même. Je sais qu'il a voyagé dans le continent, et en France, notamment. J'espère comprendre ce qui lui est arrivé, ce qu'il a fait. Peut-être que...oui...peut-être qu'il y a encore un espoir de lui venir en aide.

Bellatrix se renfrogna. Le Seigneur des Ténèbres n'avait pas besoin d'aide. C'est plutôt pour lui-même que Dumbledore devrait chercher de l'aide.

- Hmm... je vois. Et bien, je propose de porter un deuxième toast, cette fois à ta noble quête ; comme ça je finis mon verre et je retourne bosser avant que Céline me botte le cul.
- C'est une bonne idée, répondit Dumbledore avec un sourire énigmatique. Nous nous reverrons demain soir, je passerai avant de me préparer à ma prochaine destination.

Après cela, le directeur de Poudlard resta seul et silencieux. Voldemort et sa servante, n'ayant plus aucune information à obtenir de lui, se décidèrent finalement à partir.
Avant de quitter le restaurant, Bellatrix lança un dernier regard par-dessus son épaule et, pour la première fois depuis son arrivée, son regard croisa celui d'Albus Dumbledore. Le vieil homme sembla n'avoir aucune réaction et continua presque immédiatement son dîner, mais Bellatrix jura que ses yeux avait brillés d'une curieuse lueur.


****

- Tu veux rentrer à l'hôtel ?

Bellatrix leva les yeux vers son Maître qui marchait tranquillement à côté d'elle, les mains dans les poches de sa longue veste noire, les yeux rivés droit devant lui. Elle haussa les épaules.

- Comme vous voulez, mon Seigneur.
- Bella, je t'ai déjà dit, répondit-il en soupirant. Pas de ça ici.
- Oh...oui...bien sûr.

Elle prit une profonde inspiration avant d'ajouter :

- As-tu quelque chose en tête ?

Un sourire passa sur les lèvres du mage noir, et il s'arrêta au milieu du trottoir, faisant râler quelques moldus qui durent détourner le couple.

- À vrai dire, oui, répondit-il. Il y a ce bar, à Pigalle, qui propose un excellent et de la bonne musique. J'estime que nous en avons fait assez aujourd'hui pour nous octroyer une petite soirée de détente.
- Si c'est ce que vous...tu penses, alors je suis partante, répondit Bellatrix.

Voldemort lui répondit par un sourire, avant de lui tendre son bras. La sorcière hésita une fraction de seconde avant de le saisir, et les deux disparurent en plein milieu de la rue.

****

Il y avait une longue queue devant le bar. Les gens attendaient en file indienne que deux hommes qui gardaient l'entrée les autorisent à se rendre à l'intérieur. Bien entendu, Lord Voldemort ne l'entendait pas de cette oreille. Il prit Bellatrix par la main, et l'entraina jusqu'au devant de la file, avant de s'arrêter devant les videurs. L'un des deux hommes, un grand homme bâti comment une armoire à glace, les regarda d'un air dubitatif.

- Si vous voulez entrer, il va falloir faire la queue, comme tout le monde, dit-il d'une voix morne.
- Nous sommes attendus à l'intérieur, répondit simplement Voldemort.

À ce moment, le regard du videur sembla se voiler, et une légère fumée verte enveloppa un instant son visage avant de se dissiper presque aussitôt. Bellatrix jeta un regard impressionné à son Maître. Même après tant d'années à se battre à ses côtés, elle restait toujours bouche-bée face à ses prouesses magiques. Lancer un sortilège de l'Imperium sans l'usage d'une baguette était peu ordinaire. Mais après, le Seigneur des Ténèbres était tout sauf ordinaire.

Le videur vacilla un instant avant de retrouver l'équilibre, puis hocha fermement la tête et laissa le couple entrer. À l'intérieur du bar, il faisait bien plus chaud qu'au dehors. Voldemort défit le gilet que Bellatrix portait avant d'ôter son propre veston, et les laissa au vestiaire. Puis, sans lâcher la main de sa partenaire, il se dirigea vers le bar. « deux gins martini ». Les verres arrivèrent, et le couple dégusta leurs boissons en observant les moldus autour d'eux.

Ils auraient pu aller sur la place cachée, bien sûr, afin de n'être entourés que de sorciers, mais ils auraient alors risqués d'être reconnus. Après tout, Bellatrix avait de la famille à Paris. Même avec son déguisement, il fallait rester prudent. C'était déjà assez délicat de rôder autour d'Albus.

- D'où vient la musique ? demanda Bellatrix en haussant le ton afin que son Maître puisse l'entendre à travers le bruit.

Il désigna un engin à l'autre bout de la pièce, dont semblait effectivement sortir le son. Bellatrix fit une moue confuse. Les moldus n'avaient-ils pas d'instruments ?

- Là-bas, à droite, il y a une scène. Un groupe devrait venir jouer, expliqua-t-il. En tout cas, c'était comme ça que cela se passait un il y a quinze ans.

Et, en effet, plusieurs musiciens finirent par arriver, et la musique jouée par l'engin cessa afin de laisser place à celle jouée par les instruments. Saxophones, piano, basse... le groupe jouait des airs de jazz. Du coin de l'œil Voldemort regarda Bellatrix qui regardait le groupe, amenant mécaniquement son verre à ses lèvres pour, de temps en temps, en prendre une gorgée.

Il la trouva fort belle, à la lumière tamisée du bar, mais regretta son apparence habituelle. Mais, même avec cette apparence de rouquine légèrement bimbo, elle gardait ses mimiques. Elle gardait son port de tête digne d'une danseuse étoile, son allure fière et son regard perçant. Elle restait Bellatrix, la sorcière qu'il avait formée et qu'il aimait.

Voldemort passa une main derrière le dos de la sorcière, et ôta son verre de ses mains avant de le poser sur le comptoir du bar et de l'entrainer sur la piste de danse. Là, ils entamèrent un slow, les yeux dans les yeux, comme s'il n'existait sur Terre que Maître et servante. Une chanteuse à la voix envoûtante avait commencé une chanson populaire, plongeant la pièce dans une atmosphère romantique que Voldemort accepta volontiers.

What's more, this never happened before
Though I have prayed for a lifetime
That such as you would suddenly be mine

Le mage noir serra un peu plus sa mangemort contre lui, et Bellatrix posa sa tête contre son torse. Il huma son parfum délicat et fort à la fois, s'enivrant de son odeur, continuant de danser avec elle, doucement, lentement, en ne faisant attention qu'à elle.

We'll have this moment forever
But never, never, again**

- J'aimerais qu'on reste là pour toujours, murmura Bellatrix.

Voldemort caressa son dos, et Bellatrix releva la tête pour le regarder dans les yeux. Même avec quelques centimètres de plus, elle restait minuscule face à lui.

- Tout va aller si vite quand nous rentrerons...

Le mage noir acquiesça.

- Vous aurez tout ce dont vous avez toujours rêvé, et tout ce que j'espère pour vous.

Elle l'avait encore vouvoyé, c'était plus fort qu'elle. Mais cette fois, Voldemort ne lui fit aucune remarque. Il était vain de l'empêcher d'être elle-même. Ici, personne ne faisait attention à eux.

- Quel rôle aurais-je quand tout sera à vous ? Je me vois mal travailler au Ministère de la... au Ministère. Et... il n'y aura plus de...missions.
- Tu feras ce qui te plait, Bella, répondit Voldemort d'une voix douce. Mais ne parlons pas de travail maintenant, veux-tu ?

Elle hocha la tête, et se posa à nouveau contre le torse du sorcier. Puis, la musique changea pour passer à rythme plus entraînant. Les deux reprirent un verre, puis un autre. Bellatrix dansait, et Voldemort la regardait, accoudé au comptoir, son verre à la main, enveloppant sa servante de ses yeux sombres tandis qu'elle se déhanchait sur une musique -« Be My Baby » du groupe The Ronettes. Elle avait complètement mis de côté le fait qu'elle était en territoire moldu. Ici, il n'y avait personne pour la réprimander ou la juger. Et puis, le fait qu'elle fréquente leurs bars ne signifiait pas qu'elle les respectait. Voldemort ne savait que trop bien qu'elle était capable de danser avec une jeune moldue, et de l'égorger dans la minute qui suivait.

C'était à ça que sa vie pourrait ressembler, dans les années à venir. Pas les bars moldus, évidemment. Mais Bellatrix. Bellatrix qui riait, qui plaisantait avec lui, qui dansait comme s'il n'y avait personne pour la regarder. Bellatrix qui n'hésitait pas à se resservir un verre de gin par peur d'avoir un comportement inapproprié, ou qui osait engager des démonstrations d'affection en public ; comme toucher l'épaule de son Maître, ou reposer sa tête contre lui.
Même s'il savait que cela devrait cesser lorsqu'il rentreraient en Angleterre, il devait bien admettre que cette version de Bellatrix lui manquerait sûrement. Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, il avait l'impression qu'elle faisait réellement partie de sa vie.

_____________________________

*long time no see: « ça fait longtemps »
**musique: Again - Doris Day

Et bien.... tout se passe bien, très bien... trop bien ?

All the wrong choices Où les histoires vivent. Découvrez maintenant