Le souhait du roi

Chapitre 10

J'étais confortablement installé sur une multitude de coussins, essayant de reproduire sur un parchemin une scène qu'il m'était rare de pouvoir contempler depuis le pavillon de ma résidence. De mes mains fines, je guidais le pinceau pour capturer le moment.

En tant que prince, personne n'attendait autre chose de moi que de rester tranquillement à ma place, à perdre mon temps dans ce genre d'activités oisives. Ça me convenait. J'étais devenu prince très jeune, au décès de mon oncle. Le titre de roi était alors revenu à notre père, à moi et à San. Mais je n'étais que le fils d'une concubine alors que San était celui de sa femme légitime, ce qui lui avait valu d'être immédiatement nommé prince héritier. Même si ça n'avait pas été notre destin de base, nous avions dû tous les deux endosser ces nouveaux rôles très tôt. De nous deux, c'était moi qui avais le meilleur. Je pouvais faire à peu près tout ce que je voulais quand je le voulais. Et à ce moment, je pouvais peindre au frais sur le pavillon tandis que lui devait probablement assister à une réunion très ennuyeuse sur les affaires du royaume.

J'enroulai mon poignet avec délicatesse pour tracer la courbe d'une mâchoire avant de faire glisser le pinceau pour faire apparaitre un cou. La scène que je peignais avec tant de soin était un moment volé à mon cousin Seong Hwa et la cour de prétendantes qui le suivait partout, espérant sans doute, à défaut de pouvoir devenir princesses héritières, devenir au moins princesses. Et puis, Seong Hwa était loin d'être désagréable à regarder. Il avait des traits fins, des yeux et des cheveux d'ébène et il savait s'habiller avec goût. A la cour, il figurait à la fois comme une exception et un modèle. Un modèle car chaque jeune homme du royaume pouvait aspirer à devenir aussi raffiné, érudit, et bon au maniement des armes que lui -il était bon en tout- et une exception car il n'aurait pas dû rester prince. C'était une grâce que notre père avait fait au fils de son frère quand il avait accédé au trône après sa mort. Il avait dû être touché par son malheur car ce jour-là, il avait non seulement perdu un père mais aussi sa mère, reconnue coupable de son meurtre et exécutée quelques temps après. Il avait aussi perdu toute prétention au trône car, aussi jeune que nous à ce moment-là, son père ne l'avait pas encore nommé prince héritier. En raison de l'infamie qui pesait sur lui après l'acte ignoble de sa mère, le conseil d'état avait décidé de nommer notre père plutôt que Seong Hwa sous l'égide d'un régent, et l'un de ses premiers décrets avait été de conserver le titre de prince à Seong Hwa. Il avait donc grandi au palais avec nous, bien qu'il n'ait jamais semblé apprécier notre compagnie. Je ne le voyais que très rarement.

Pour le moment, je pouvais le voir discuter avec les jeunes femmes qui l'entouraient, s'éventant de temps en temps avec un éventail dont je pouvais dire, même de loin, qu'il avait été confectionné par un véritable artiste. De toute façon, Seong Hwa ne supportait pas l'ordinaire. Il avait l'air de prendre plaisir à la conversation et de donner de l'attention à toutes ces demoiselles sans discrimination. Savaient elles qu'elles n'avaient aucune chance ? Sous les allures charmeuses de Seong Hwa se cachait un cœur de glace qu'aucun sentiment n'avait encore réussi à réchauffer. Il se chuchotait au palais qu'il avait brisé le cœur de plus d'une jeune fille par des paroles d'une politesse absolue mais pleines d'un poison létal. Oui, Seong Hwa avait l'art de la parole et il en profitait pour souffler le chaud et le froid à sa convenance.

Je m'étais moi-même heurté plusieurs fois à ce masque de politesse d'où pouvait s'échapper les paroles les plus meurtrières. Il avait visé juste à chaque fois, tranchant précisément dans mes points faibles. Mais je n'étais pas du genre à m'écrouler si facilement et, bien qu'il mette une certaine énergie à me repousser, je ne l'avais jamais haï et lui avait même un jour, énoncé une prophétie.

« La haine grandit, le temps s'étire

Ton cœur bat, sauras tu l'écouter ?

Il n'y a qu'un prix à obtenir