Il pleut sur le district de Karanes en cette froide matinée d'hiver. La place du marché, les rues marchandes, l'avenue principale, la grande laverie, les puits... Tous ces endroits sont déserts à cause de ce qui menace cette ville avec son écho lointain. Les énormes et épais nuages gris qui couvrent toute l'étendue du ciel, aussi loin qu'il est possible de regarder, annoncent un orage qui se fait déjà timidement entendre mais sans pourtant faire douter sur sa résolution à s'inviter par ici.
Sous cette pluie battante, dans cette ambiance morose et grisâtre, vulnérable à la colère des éléments, une silhouette vêtue d'un uniforme de l'armée sillonne les allées bordées d'herbe trempée du grand cimetière du district, un bouquet de fleurs à la main.
Cette personne pénètre dans la partie militaire des lieux, là où des centaines de tombes dénombrent les tristes disparitions de centaines de soldats du bataillon d'exploration, sinistre résultat de leur lutte centenaire pour la liberté ô combien meurtrière. Certaines sépultures sont là depuis des dizaines d'années, en témoignent le lierre qui envahit la stèle, l'herbe qui dévore les soubassements puis ce lichen et cette mousse qui recouvrent la surface en pierre — abîmée et effritée avec l'érosion du temps — de la tombe. D'autres, comme celle devant laquelle s'arrête le soldat qui porte les ailes de la liberté dans le dos, sont très récentes et entretenues.
Après avoir baissé la tête pour observer cette épaisse plaque de granit, la jeune femme frissonne violemment à cause de la désagréable sensation provoquée par quelques froides gouttes d'eau qui s'échouent sur sa nuque avant de couler le long de ses vertèbres.
Quelques instants plus tard un éclair illumine les alentours puis le tonnerre gronde de toute sa magnifique et intimidante puissance, deux secondes plus tard. Un véritable rideau de pluie s'abat alors sur Karanes au point de faire se lever une brume inquiétante qui s'ajoute à une atmosphère déjà sombre et maussade.
Rapidement trempée jusqu'aux os, ses cheveux noir de jais collés à son visage par l'humidité, elle s'agenouille avant de regarder tristement les gouttes de pluie heurter violemment la pierre et couler le long de sa surface granuleuse jusqu'à remplir éphémèrement les encoches tracées par la main humaine, formant un nom accompagnés de deux dates.
T H O M A S R A L L E
2 8 Février 8 3 5 — 4 Février 8 5 1
Elle reste immobile pendant une bonne minute, silencieuse, le regard fixé sur ce nom de famille erroné pour elle mais qui ravive tout de même des souvenirs douloureux pour certains et agréables pour d'autres, sans nul doute les plus précieux de sa jeune vie. C'est sous ce nom que tout le monde le connaissait et qu'on se souviendra de lui mais ne pas mentionner sa véritable ascendance lui enlève une importante part de lui-même, à son sens.
Mikasa soupire finalement, essayant sans succès de se rappeler du timbre exact de la voix de son brun. Elle souffre de constater que ce son si particulier s'est mué en poussière dans sa mémoire, après seulement un an séparée de lui.
La pluie battante devient un bruit blanc, tout comme le rugissement provoqué par le ciel qui se déchire avec violence, alors que son cœur se serre, soudainement tenaillé par une possibilité terrifiante, une peur profonde : et si un jour elle oubliait même son visage, que le bleu si particulier de son regard devient le vestige flou d'un passé idyllique et idéalisé ?
En fait, quelles preuves lui reste-t-il que tout ça a vraiment existé à part ce bracelet en cuir noir tressé à son poignet et ces blessures, encore sanguinolentes dans son cœur amputé, qui tardent à se muer en cicatrices.
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Le destin des Ackerman - Tome 1
FanfictionLa cinquante-septième expédition extra-muros vient de revenir, victime d'un massacre perpétré par un mystérieux titan alors que les recrues de la 128e brigade d'entraînement choisissent où elles souhaitent servir après trois années de formation. L'u...