Chapitre 1 Geoffroy

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J'entre dans la cuisine, encore mal réveillé. Une bonne odeur de café chaud et de pain frais règne dans la pièce. Je renifle l'air, un peu réconforté. Un début de soleil timide mais néanmoins présent projette de pâles rayons dans la pièce. C'est une belle journée de fin d'hiver comme je les aime. Il y a bien longtemps que je n'avais pas vu le ciel aussi dégagé. Ces derniers jours, il n'avait fait que pleuvoir presque tous les jours.

— Bonjour mon loulou, me lance joyeusement mon père en posant son journal dans un froissement de papier. Je t'ai coupé des tranches de pain.

Je tire une chaise pour m'asseoir en face de lui, fatigué par avance par sa jovialité. Cela fait des lustres que j'ai renoncé à comprendre comment cet homme pouvait être toujours de bonne humeur à sept heures du matin. Pour ma part, si je n'étais pas obligé de fréquenter le lycée, je me lèverais rarement avant midi.

— Merci papa.

J'attrape le pot de miel et un morceau de baguette que mon père me tend fièrement. Souvent, ce dernier se comporte avec moi comme si j'avais encore six ans et non dix-sept. À côté de cela, ma mère ne cesse de me parler de responsabilité et cherche à me marier au plus vite. Difficile de trouver un équilibre entre eux deux.

— Bien dormi ?

Je grogne pour toute réponse. Je ne suis pas du matin. J'ai déjà suffisamment de mal à tartiner correctement mon pain avec mes yeux qui se referment tout seuls. Vivement le prochain week-end. Je commence à siroter mon café dans l'espoir de me réveiller un peu.

Ma mère pénètre dans la cuisine comme une tornade. Comme d'habitude, elle s'est habillée à la va-vite et s'est contentée de rassembler ses cheveux bruns dans un vague chignon tout de travers. Sa veste n'est qu'à moitié boutonnée et elle ne s'est maquillée qu'un œil.

— Michel, ordonne-t-elle à mon père, demande à la bonne de préparer la chambre d'amis. Geoffroy, libère ton jeudi soir pour te rendre à la gare.

— À vos ordre, cheffe, répond mon père avec un simulacre de garde à vous.

— Bonjour maman, moi aussi je suis content de te voir, je réplique de mon côté.

Ma mère fronce les sourcils.

— Ne sois pas ridicule, Geoff. J'ai une montagne de choses à faire aujourd'hui et pas de temps pour plaisanter.

Puis elle disparaît aussi vite qu'elle était entrée après nous avoir brièvement toisé d'un air exaspéré.

Je soupire et échange un regard lourd de sens avec mon père.

— Sais-tu de quoi il en retourne, cette fois-ci ? je demande en mordant dans ma première tartine.

La croûte est bien croquante comme je l'aime et déborde du miel coulant.

Mon père hausse les épaules en me versant du café.

— Aucune idée. Mais elle ne cesse de passer des coups de fil depuis tout à l'heure.

Je termine mon morceau de pain en deux temps trois mouvements, me lèche les doigts et m'empare aussitôt d'une autre tranche. Un alpha encore en pleine croissance a besoin de beaucoup d'énergie et je mange comme trois.

— Encore plus que d'habitude, tu veux dire ? j'ironise entre deux bouchées.

Ma mère est la cheffe de notre meute. Même si nous sommes un groupe de peu d'importance, elle passe son temps à devoir régler des problèmes divers et variés. Et un jour, lorsque je lui succéderai, je devrais en faire de même. Ce qui ne m'enthousiasme pas vraiment. Je n'ai pourtant pas le choix. Mes parents ont eu beaucoup de mal à avoir des enfants et je suis fils unique. Aucun frère ou sœur n'est là pour partager avec moi la pression qui pèse sur mes épaules et les attentes de mes parents.

La nouvelle apparition de ma mère dispense mon père de répondre à la question.

— Viens donc boire ton café, ma chérie, tente-t-il de l'amadouer.

Ma mère hésite, sur le point de faire demi-tour, et finit par s'asseoir sur la chaise que mon père s'empresse de lui avancer. Puis elle le remercie de son ton bougon quand il lui met une tasse fumante dans la main. Mon père est un bêta et est aussi joyeux et doux que ma mère est froide et autoritaire. Leur différence de caractère ne les empêche pas de s'aimer tendrement et de former un couple très uni. Cela se voit à la façon dont mon père observe le moindre de ses faits et gestes avec un regard langoureux qui, souvent, me fait sentir comme un intrus en leur présence.

— Alors, je demande avant que mes parents ne se mettent à faire quelque chose de dégoûtant - comme s'embrasser devant moi comme des adolescents - quelle est la catastrophe du jour ?

Ma mère souffle sur son café pour le refroidir.

— Eh bien, il y a eu un décès dans la meute.

Je sens mon cœur se serrer.

— Qui donc ?

Je suis proche de la plupart des membres de notre meute et la mort de l'un des nôtres ne peut que me toucher.

— Les Garand. Tu ne les connais pas. Ils ont quitté le village alors que tu étais encore un bébé.

La réponse de ma mère me surprend. Notre société repose sur des groupes très soudés et il est bien rare de déménager loin de sa meute.

— Les Garand ? répète mon père. Des gens charmants. Que leur est-il arrivé ?

Ma mère finit de vider sa tasse en quelques gorgées et la pose sur un coin de la table.

— Un accident de voiture. Ils laissent un orphelin. Un oméga mâle de seize ans. J'organise son arrivée ici demain. Nous allons l'accueillir chez nous.

J'ouvre de grands yeux.

— Un oméga mâle ?

Si les omégas sont relativement rares, les omégas mâles sont quasiment inexistants. En tout cas, il n'en a aucun dans notre village, mais ce dernier n'est pas bien grand non plus. Cela dit, je n'en ai jamais croisés ailleurs, comme au lycée. Je m'en serais souvenu.

Ma mère hoche sèchement la tête.

— Oui. Tu comprendras bien que je préfère le placer sous ma protection. Un oméga de cet âge là ne peut pas rester livré à lui-même.

Les omégas sont considérés comme les membres les plus faibles d'une meute et il est du devoir des alphas de les protéger.

— En effet, l'approuve mon père. Tu fais très bien. Pauvre petit ! Il doit être dévasté !

— Sans doute, répond ma mère sans perdre davantage de temps avec la compassion. Geoff, il fréquentera le même lycée que toi. Je te charge de veiller tout particulièrement sur lui. Tu commenceras par aller le chercher à la gare.

J'avale ma dernière tartine et lèche la cuillère pour ne pas gâcher une goutte de miel, m'attirant un regard réprobateur accompagné d'un pincement de lèvres. Maman déteste cette manie et je me fais un point d'honneur de la faire le plus souvent possible en sa présence.

— OK, j'irai, je déclare en balançant la cuillère dans l'évier.

Je me sens curieux au sujet de ce garçon. J'ai souvent entendu dire que les omégas mâles étaient particulièrement attractifs. Surtout pour les alphas comme moi. Non que je cherche à me caser, bien sûr. J'ai déjà une petite amie. Qui est même plus que cela, à présent. Tout de même, j'ai hâte de le rencontrer. Je me demande à quoi il ressemble. Il est probablement menu, comme les filles omégas du lycée. Et timide. Ces filles rougissent toujours quand on leur adresse la parole. Tout particulièrement quand c'est moi qui le fait. Sans doute est-il lui aussi mignon, à sa façon. Quelques-uns de mes amis seront prêts à le draguer, les connaissant.

Curieusement, cette dernière idée m'agace. Je ressens au fond de moi le désir de protéger ce garçon, alors même que je ne l'ai jamais rencontré.

Alors bon, voilà que je commence à me comporter comme ma mère...

Attraction (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant