Chapitre 29 Geoffroy

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Le vendredi après les cours, je prends un cours de conduite. Je m'en sors bien et le moniteur de l'auto-école me dit que je suis prêt à tenter le permis et nous fixons une date. 

Tant mieux. Ça pourrait me servir le jour où je déciderai de fuir avec Olivier. Quand j'en aurais trouvé le courage… 

Puis je commence cette fameuse distribution de faire-parts de mariage. Maman m'a harcelé de SMS toute la journée pour que je m'en occupe. J'aurais voulu les envoyer par la poste, mais elle insiste pour que je les remette en main propre. J'aurais toujours moins de travail que Pauline qui se charge de faire la même chose dans sa meute, sensiblement plus grande que la mienne. Maman dit que c’est devenu très urgent car le mariage est dans un peu plus de trois mois, prévu à la date du 26 juin, juste après le bac. 

Trois mois… Je n’ai plus que trois mois pour trouver une solution. Ça peut sembler beaucoup, mais je sais que ce temps va filer entre mes doigts à toute allure. 

Maman a invité toute la meute au mariage. Oui, toute la meute. Je sonne à toutes les portes avec l'impression d'être un scout qui cherche à vendre des biscuits secs. Sauf qu'au lieu de proposer des cookies, je remets un morceau de carton rosâtre. Ce qui est beaucoup moins intéressant, à mon avis. Un cookie, au moins, c'est comestible (sauf ceux que Maman fait, quand elle décide de cuisiner). Même si je n'aurais jamais pu vendre de gâteaux. Je les aurais tous mangés avant. 

— Je suis si heureux pour toi, mon petit Geoffroy, me dit Mme Florent, une dame à qui j'ai dû échanger dans ma vie un mot ou deux. Tu dois être très impatient ! 

Je m'oblige à sourire. 

— Oui, Mme Florent, terriblement impatient. 

Je suis le type le plus hypocrite du monde. 

La maison suivante est celle de la famille d'Antoine. 

— Antoine a vraiment hâte d'y aller avec son petit ami, me dit sa mère en contemplant le faire-part avec ravissement. C'est vraiment un gentil garçon, ce petit Olivier. 

Je l'approuve d'un signe de tête. 

— Oui, il est très gentil. 

— J'espère que lui et Antoine finiront par se marier un jour, comme toi et Pauline. Ils ont l'air très épris l'un de l'autre. 

Mon sourire de façade fond comme neige au soleil. 

— Vous croyez ? je grogne. 

La mère d'Antoine me fait encore des politesses, mais je ne l'écoute plus, hors de moi. Comment Antoine peut-il avoir envie d'épouser mon oméga ? Je vais lui casser la gueule. Oui, je vais lui péter les dents. Est-ce qu'il est chez lui ? 
J'essaie de regarder par-dessus l'épaule de sa mère, espérant le voir débarquer. 

— Tout va bien, Geoffroy ? 

La question me fait redescendre sur terre et je sursaute. 

— Euh… Oui… Hum… Je dois continuer ma distribution. 

Je me remets en route en me giflant mentalement. Je ne peux pas frapper Antoine sans raison apparente. J'essaie de me souvenir que je le considérais comme un bon ami, il n'y a pas si longtemps que ça. 

Je suis si perturbé que je saute plusieurs maisons sans rien distribuer du tout. Je m'oblige à m'arrêter devant la suivante et regarde le nom sur la boîte aux lettres. Ah, c'est celle de mon oncle Huguet. 

Je m'apprête à sonner lorsqu'un nom qui s'échappe de la fenêtre ouverte me fait arrêter net. C'est celui d'Olivier. 
Je tends l'oreille, étonné. On dirait que mon oncle éloigné est au téléphone. 

— Ma cousine Annette Moret ne veut pas que nous effectuons les tests. Mais j'espère pouvoir la convaincre. Il semble y avoir des choses étranges autour de ce garçon. 

La personne à l'autre bout du fil répond quelque chose que je ne peux malheureusement pas entendre. Mon cœur bat vite. Est-ce qu'ils parlent bien de mon Olivier ? De quels tests parlent-ils ? Est-ce qu'il se pourrait qu'ils se doutent de quelque chose au sujet des transformations du petit oméga ? 

Je continue d'écouter avec inquiétude, mais mon oncle n'ajoute rien de plus sur ce sujet et raccroche bientôt. Je sonne à la porte et il vient m'ouvrir. Il me regarde par-dessus ses lunettes en fronçant les sourcils, comme s'il ne me reconnaissait pas (ce qui est peut-être le cas. Ma mère a toujours dit qu'il était très distrait, comme une sorte de savant fou). 

— Ah, Geoffroy, dit-il finalement. Que me veux-tu ? 

Je lui tends le carton rose avec mon étirement de lèvres habituel. J'ai envie de l'interroger à propos de ce qu'il vient de dire. Mais ça ne ferait qu'attirer l'attention sur Olivier, ce que je veux éviter à tout prix. 

Je repars avec le ventre serré par l'inquiétude. Je me demande s'il faudrait que j'en parle à mon petit oméga.
Probablement pas. Je ne veux pas qu'il se fasse du souci. Et puis, nous serons bientôt partis. 

En rentrant enfin à la maison, je tombe sur Olivier qui descendait les marches au même moment. Il est irrésistible, avec son grand pull rouge bien trop large pour lui. Je craque et je me précipite vers lui pour le soulever dans mes bras. 

Le visage du petit oméga prend la même couleur que son pull. 

— Geoff… 

Je ne lui laisse pas le temps de protester. Je l'embrasse en pleine bouche en le serrant contre mon cœur. Il enroule ses bras autour de mon cou en me rendant mon baiser avec ardeur. 

Mon cœur s'enflamme. J'ai terriblement envie de mon oméga. Je voudrais lui faire l’amour, ici et maintenant, mais je suis au contraire obligé de m’éloigner précipitamment de lui en entendant des pas s’approcher de nous. 

Papa nous jette un regard interrogateur. 

— Tout va bien, mes enfants ? 

Olivier marmonne quelque chose à propos de devoirs à finir et monte l'escalier quatre à quatre. 

— Maman m'exploite, je me plains. J'ai dû faire le tour de la moitié de la meute pour distribuer ces fichus faire-parts et je suis loin d'avoir fini ma distribution ! 

—Tu sais, me dit mon père dans un souci de justesse, on ne peut pas vraiment dire que Maman t’exploite. Après tout, c’est ton mariage. 

Je hausse un sourcil. 

— Vraiment ? Parfois j’en doute un peu tant on me demande peu mon avis. Je n’ai jamais adressé la parole à quasiment la moitié des invités. 

Mon ton est amer et Papa pose une main sur mon épaule. 

— C'est le mariage de deux futurs chefs, qui symbolisera par ailleurs l'union de nos deux meutes. Il y a un côté politique, là-dedans. 

Je soupire. 

— Mais votre mariage à toi et à Maman était politique aussi, non ? Pourtant il avait l'air simple, d'après les films et photos que Maman m'a obligé à regarder. 

Pour me donner de l'inspiration, paraît-il. 

Papa hoche la tête, plongé dans ses souvenirs. 

— À l’époque, j’étais un jeune homme assez timide et ta mère était déjà un peu… euh… enfin, elle savait ce qu’elle voulait. Elle aurait rêvé d'organiser une énorme fête mais… Bon, la meute était encore plus pauvre que maintenant et ma famille n'était pas aussi riche que celle de Pauline… J'ai l'impression que Maman essaie de faire de ton mariage la cérémonie magnifique qu'elle aurait souhaité pour elle. 

— Mais moi je ne souhaite pas ça du tout ! je m’indigne. Je ne veux pas de tout ce tralala. Ça me serait égal d’épouser Ol… euh... Pauline dans une grange avec trois invités assis sur des meules de foin. 

Je me mords la lèvre. J'ai failli faire une énorme gaffe. 

Papa me fait un câlin sans rien remarquer. 

— Je sais, mon loulou, je sais. Mais on va bien s'amuser le 26 juin, non ? 

Mon ventre se serre. Non, ça m'étonnerait que quiconque s'amuse bien ce jour-là. 

Attraction (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant