Chapitre 14 Olivier

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Comme d’habitude, mon état empire tout au long de la journée. Je parviens difficilement à tenir jusqu’au dîner. Les Moret me regardent avec inquiétude et ne cessent d’insister pour me faire voir un médecin. Geoff est le pire des trois et me couve avec le regard angoissé d’une poule surveillant ses poussins. C’est exaspérant à la longue et je finis par aller me réfugier dans ma chambre et m’écroule sur mon lit. La pleine lune a presque commencé. Mon corps tremble comme une feuille. Je ne vais pas réussir à tenir encore longtemps. 

Quelqu’un toque à ma porte.

— Olivier ? demande la voix de Geoff. Je peux entrer ? 

Je ferme les yeux. 

— Non. Il… il ne vaudrait mieux pas. 

Je sens le jeune homme s’attarder devant ma porte, mais il n’insiste pas davantage. Il sait que j’ai raison. Nous devons éviter à tout prix de nous retrouver en tête à tête hors du regard des autres. Mes joues s’empourprent lorsque je repense à notre tête à tête de ce matin dans les toilettes. Notre premier baiser dans les bois pouvait passer pour un accident malencontreux. Celui de tout à l'heure ne peut plus se justifier de la même excuse. Geoff a trompé sa fiancée avec moi. Et je n’ai strictement rien fait pour l’en dissuader. Au contraire, s’il fallait recommencer je… 

Mon corps est pris d’un nouveau frisson et je gémis sans bruit. Mon regard est attiré par la fenêtre. La lune est entièrement pleine à présent et s’élève peu à peu dans le ciel s’assombrissant. Je ressens le besoin de partir tout de suite mais il me faut partir. Si les Moret me voient sortir, ils vont me poser des questions et sans doute même me retenir. 

J’ouvre doucement la porte de ma chambre vers minuit. Tout le monde semble à présent couché. 

Je passe devant la porte de Geoffroy et me mords la lèvre. Une part de moi à furieusement envie d’aller réveiller l’alpha pour le supplier de m’aider. Mais je ne le ferai pas. Mes parents m’ont mis en garde : personne ne doit être au courant de ma… particularité. Je me dois d’être d’autant plus prudent avec l’alpha à cause des sentiments que j’éprouve pour lui qui risqueraient de brouiller ma raison. 
Je continue donc mon chemin, le cœur serré. Je porte mes chaussures à la main, pour être certain de faire le moins de bruit possible. Je deviens particulièrement prudent en arrivant à l’escalier. Certaines marches grincent. Je les descends à pas de loup et j’atteins enfin l’entrée. La porte est verrouillée et je tourne deux fois ma clef dans la serrure pour l’ouvrir. Je la pousse, sors et la referme en prenant garde de ne pas la claquer. 

L’air frais me fait un peu de bien. Je respire à pleins poumons, les yeux fermés. Puis je me mets en route. Je garde mon manteau ouvert, mourant de chaud. Mes jambes sont courbaturées et chaque pas est difficile. 

L’heure tourne et la lune est de plus en plus haute dans le ciel. Je me mets à courir pour atteindre la forêt au plus vite. Mon corps est secoué de violents tremblements. La transformation est proche. J’atteins enfin les arbres et continue d’avancer. Je suis encore trop près de l’agglomération. 

Autrefois, on dit que nos ancêtres se métamorphosaient en loup. Plus personne ne le peut aujourd'hui, sauf moi. Les soirs de pleine lune, je ne parviens plus à contrôler mon propre corps et je change de forme. Personne n’est au courant. Seuls mes parents le savaient. Ils ignorent d’où me vient cette particularité. Cette malédiction, plutôt. 

Je continue à m’enfoncer davantage dans les bois. Je veux aller le plus loin possible, là où je ne risquerai de faire du mal à personne. Je dois m’éloigner autant que possible du village. Il fait nuit noire et un humain normal aurait du mal à voir où il met les pieds. Mais ma vision a toujours été supérieure, surtout à proximité de la pleine lune. 

Quand je n’en peux plus, je m’écroule sur le sol à quatre pattes et retire mes vêtements le plus vite possible. Mon corps nu et pâle semble briller sous la lueur vive de la pleine lune tandis que je me tortille. 

La transformation a toujours été douloureuse. Elle commence par des picotements sur toute ma peau de plus en plus vifs. Puis des poils sortent. Le pire reste alors à venir. Ma colonne vertébrale s’allonge, mes os se tordent, se reforment. Je voudrais pouvoir hurler comme je le faisais dans la pièce insonorisée que mes parents avaient fait construire pour moi, mais je crains de pouvoir être entendu depuis le village. À la place, je sers les dents en gémissements, secoué par les sanglots. 

Puis tout prend fin. Lorsque je suis un loup, j’arrête de penser comme un humain. Mon esprit et mes instincts deviennent ceux d’un animal. Lorsque je reprends forme humaine, quelques heures après, je ne conserve généralement que quelques vagues souvenirs flous. Mes parents me maintenaient enfermés, si bien que je ne pouvais faire de mal à personne. Aujourd'hui je chasserai probablement tous les malheureux animaux qui croiseront mon chemin. En espérant qu’aucun humain n’aie eu l’idée de se promener dans les bois en pleine nuit… 

Je me réveille au petit jour allongé au pied d’un arbre, entièrement nu. L’air est terriblement froid et je me mets à trembler, faible comme un nouveau-né. Je mets à moment avant de réussir à rassembler suffisamment de force pour me redresser contre le tronc. Ma tête tourne comme sur un manège et je ne parviens pas à me souvenir de l’endroit où j’ai laissé mes vêtements. J’ai un goût de sang dans la bouche et j’ai envie de vomir en songeant que ça doit être celui du dernier animal que j’ai chassé. 

Je reste assis encore quelques minutes, luttant contre mes nausées. Il fait encore nuit mais l’aube est proche. Je ne devrais pas tarder à me mettre en route. 

Toujours nu comme un ver, je me lève et fais quelques pas. Je sursaute en reconnaissant soudain les lieux : je suis dans la clairière dans laquelle Geoffroy et moi avions déjeuner l'autre jour. Celle dans laquelle nous nous étions embrassés passionnément. 

Ce souvenir me fait rougir comme une pivoine et je rejoins rapidement le chemin, les bras serrés autour de mon corps pour essayer de me réchauffer. Je me souviens à présent de l’endroit où j’ai laissé mes vêtements. Ce n’est pas tout près. J’ai couru plus loin que je ne le pensais. C’est la première fois que j’étais libre de mes mouvements en tant que loup. J’espère que je ne vais croiser personne. Je n’aimerais pas avoir à expliquer pourquoi je marche aussi fort peu vêtu. 

Je ne retrouve mes habits que vingt minutes plus tard. Transis de froid, je les enfile le plus rapidement possible. Même ainsi, je ne parviens pas à faire cesser mes tremblements. 

Je suis soulagé de quitter la forêt pour gagner Tourrettes. Je m’avance vers la maison des Moret le plus rapidement possible. Le soleil est en train de se lever et je crains de croiser quelqu'un qui ira ensuite raconter à la cheffe de meute que je me balade à des heures curieuses. Oui, tout se sait très vite dans une petite meute. Et d’autant plus lorsque l’information porte sur un oméga. Comme chacun sait, les omégas restent toute leur vie des sortes d’enfants irresponsables qui doivent être protégés, qu’ils le veuillent ou non… 

Les rues que je traverse à toute vitesse sont heureusement désertes et j’arrive bientôt devant la maison que j’habite à présent. Soulagé, je pousse la porte. Et me retrouve face à face avec Mme Moret qui descendait l’escalier au même moment.

Attraction (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant