Nevitha

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XX

Je suis plongée dans ma série Netflix, lorsque mon père décide de m'appeler. Je regarde son nom s'afficher sur l'écran de mon téléphone, dissimulant par la même occasion ce que je suis en train de regarder. Je finis par décrocher, non sans lui en vouloir de me couper mon épisode.

Moi : oui allô ?

Papounet : holà, comment ça va ?

Moi : bien et toi ?

Papounet : ça va, en ce moment je suis en mission en Éthiopie.

Moi : ça se passe bien ?

Papounet : oui l'équipe est sympa, on s'amuse bien.

Sa voix m'a manqué. Je me rends compte qu'en lui parlant, je lui en veux moins pour ce qui s'est passé. Je l'écoute parler, mais mon cerveau semble trier les informations importantes de celles qui le sont moins. J'aime l'écouter, mais j'ai du mal à rester concentrée, lorsque ce qu'il me dit, je ne l'ai jamais vécu. Je n'écoute pas tout, parce que je ne m'identifie pas à tout ce qu'il dit.

Il parle de son équipe, et du contenu habituel de ses journées, et je l'écoute, parce qu'il aime me raconter, je me sens importante quand il me parle, j'ai l'impression de devenir sa confidente, d'être quelqu'un qui le comprend assez pour qu'il ait envie de me parler ouvertement.

Sauf que tu n'es pas la seule à en avoir le privilège.

Le fait d'imaginer qu'il raconte certainement les mêmes choses, voire avec plus de détails, à la femme qui partage désormais sa vie, me fait redescendre de mon bonheur, laissant place à une certaine colère, que j'arrive malgré tout à contrôler. Je remarque d'ailleurs qu'il a la décence nécessaire de ne pas m'en parler, j'apprécie. Je dois avouer que d'une certaine façon, j'aimerais qu'il m'en parle, pas par curiosité, plus pour avoir l'occasion de lui dire de ne pas le faire et de lui montrer à quel point je ne veux pas qu'il le fasse. J'ai envie de lui rappeler que je ne tolère pas sa relation, et que malgré tout l'espoir qu'il pourrait avoir, je ne changerais certainement pas d'avis de sitôt.

Voir jamais.

Papounet : et toi ? comment ça se passe à l'université ?

Je sens dans sa voix l'inquiétude de savoir si j'ai abandonné ou pas. Je lui ai déjà fait le coup, et il me sait assez impulsive pour recommencer.

Moi : ça va, c'est l'école quoi ?

Papounet : ça te plait plus que l'année dernière ?

Quelle est cette obsession des parents pour l'académie ? Ce désir de voir leur enfant avec un bout de papier qui ne leur garantira sans doute même pas un emploi. En quoi est-ce une réussite de voir un Homme avec un diplôme sans argent pour vivre ?  J'ai des rêves et des projets assez grands pour me permettre de penser que j'aurais de quoi gagner ma vie, mais et ceux qui n'en n'ont pas ? Ceux qui n'y pense pas ? Ceux qui suivent l'opinion de leurs parents en oubliant la leur ? ils finiront malheureux, dans des domaines qui ne leur conviendront jamais, mais qui sans aucun doute feront la fierté de leurs parents.

Moi : oui c'est mieux.

C'est ce qu'il veut entendre ; la confirmation que je n'abandonnerais pas cette fois. Je le fais pour lui, je vais à l'université, pour avoir un bout de papier plus important que ceux qui polluent la planète, pour faire plaisir à mes parents, pour qu'ils arrêtent d'essayer de me convaincre, et pour qu'ils soient satisfaits. Souvent j'essaie de me persuader que je le fais pour moi, pour apprendre le plus de choses possibles, des choses qui m'aideront peut-être plus tard, mais en réalité tout ce qu'on m'apprend j'aurais pu le trouver dans les livres si ça m'intéressait vraiment.

TempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant