Yerim

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XY

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis éveillé, alors que le sommeil s'agrippe fermement à mes paupières. Je ne sais pas depuis combien de temps il fait jour, ni pourquoi je n'arrive pas à me résoudre à dormir, je me suis même lavé pour essayer de me détendre, dans l'espoir que ça m'aide à accueillir le sommeil. Je regarde mon téléphone : 6h05, il est déjà 6h05 et je n'ai toujours pas de nouvelles de Nevitha. J'ai dû lui envoyer au moins cinq messages suivis de dix appels sans réponses. La dernière fois que je lui ai parlé elle avait l'air dévastée et ensuite, je sais juste qu'elle est montée dans un Uber. La dernière fois que j'ai parlé à une fille qui est montée dans un Uber, elle a fini violée.
Et si ça arrivait à Nevitha ?
Elle n'était pas dans un état très stable, il aurait pu lui arriver n'importe quoi. Je soupire en relevant la tête vers le plafond, je ne devrais pas m'inquiéter autant pour une fille, elle peut très bien se débrouiller toute seule. Mais s'il lui arrive quoi que ce soit, ça me concerne également ; si elle est traumatisée, j'aurais beaucoup plus de mal à vite atteindre mon objectif et à enfin me débarrasser d'elle. Je pourrais demander à Veronica, mais je n'ai pas très envie de lui adresser la parole après le coup de poing qu'elle m'a donné à la fête. Comment aurais-je pu savoir qu'elles se connaissaient ? Comment aurais-je pu savoir qu'elles étaient proches à ce point ? Ma dignité en a pris un coup lorsqu'elle s'est mise à me menacer, si jamais je faisais du mal à son amie. Encore plus lorsqu'en essayant de rattraper Nevitha je suis tombé sur elle et que sans scrupules elle m'a frappé au visage devant tout le monde. Je me suis contenté de m'éloigner sans rien dire, lui laissant croire que ces menaces et son corps frêle pouvaient m'effrayer d'une quelconque manière. Je savais que je n'aurais pas dû aller à cette soirée, je n'aurais pas dû me forcer à suivre mon meilleur ami, ce même meilleur ami qui a tout fait pour mettre Nevitha dans un état que je n'apprécierais certainement pas. Je me retrouve seul, je ne parle plus à Malick, Nevitha ne me parle plus et je ne peux même pas faire appel à mon meilleur plan cul pour me faire oublier tout ça, parce qu'elle non plus ne veut plus m'adresser la parole. Quelle poisse de m'être focalisé sur cette fille, depuis qu'elle est entrée dans ma vie rien ne se passe comme prévu, pire, tout se passe mal.

Malickon : tu men ve tjrs ?

Quand on parle du loup.

Moi : tu as des nouvelles de Nevitha ?

Je n'ai pas envie de lui adresser la parole, car cette discussion ne mènera qu'a une dispute certaine et je ne suis ni en état, ni d'humeur à en supporter une.

Malickon : na elle doit sns doute drmir avc tou ce qelle a bu.

Moi : ok.

Malickon : tu tkt ? ou tu essayes just d'éviter de me parler.

Moi : Malick je n'ai pas envie de te parler.

Malickon : parce k j'ai bu avec Nevitha ? arte d'abuser elle était déjà bien kan je sui arrivé.

Moi : d'accord.

J'ai envie de répondre et de lui dire à quel point je lui en veux, de l'avoir incité à boire et à fumer et de tout faire pour que je le vois. Je lui en veux de m'avoir fait ça, de m'avoir mis en confrontation avec autant de choses que je n'apprécie pas ; une fille qui boit, qui fume et qui m'ignore comme si j'étais un moins que rien.

Malickon : t srx là, tu va pas men vloir tt ta vie d'avr aidé Nevitha a s'amser nn ?

Moi : elle est rentrée chez elle seule, dans un état déplorable, et on a aucune nouvelle depuis, il peut lui arriver n'importe quoi et tu en seras en partie responsable.

L'idée qu'il puisse lui arriver quoi que ce soit me fait froid dans le dos. J'espère qu'elle va bien et qu'elle refuse simplement de me parler parce qu'elle est fâchée contre moi.

Malickon : si t  l'avais ps trmpé, elle srai ps prtie ossi tôt et elle srait rntré avc Veronica, dnc me rmet ps tte la fote.


Je sens mon cœur se serrer fort. Trompé ? Je pourrais éplucher la soirée sans trouver le moment durant lequel j'aurais eu le temps de coucher avec une autre. Ce n'est pas ma faute s'il lui arrive quelque chose, ce n'est pas moi qui l'ai mise dans un état second et elle a choisi seule de partir chez elle aussi tôt, je ne l'ai poussée à rien.

Moi : trompé ?

Malickon : elle ta vu en train d dnser avc 1 otre fille, t penses quelle srait partie com ça sns raison ?

Moi : je ne l'ai pas trompé, il ne s'est rien passé avec cette fille.

Malickon : la réaction d Nevitha di le cntraire.

Moi : je ne l'ai pas trompé.

Malickon : t es en cuple mn grand, y a ds limites que tn prtenaire pose a ta place, si pr Nevitha cest trompé, cest k tu as dépassé ses limites. T as dconné, assum k t pe ps être en cuple avc elle et libre là.

C'est donc ça le problème ? Il est encore obsédé à l'idée de m'éloigner de son amie ? Moi qui croyais qu'on avait pu régler nos différents comme des adultes, apparemment je me trompe sur toute la ligne. S'il ne peut pas comprendre que je ne lâcherais pas cette fille d'une semelle avant de l'avoir eu complètement et en entier, il serait peut-être mieux que l'on arrête de se parler.

Moi : on devrait arrêter de se parler maintenant.

Malickon : t es srx là ?

Moi : oui.

Le soleil semble s'être bien levé dans le ciel et mes membres sont de plus en plus engourdis par le sommeil. Mais comment dormir sans avoir de nouvelles de quelqu'un potentiellement en danger. Je repense à Emmanuela, si je m'étais inquiété de cette façon est-ce que je l'aurais mise dans ce Uber ? Et si elle n'était pas montée dans ce Uber est-ce que je serais aussi inquiet pour Nevitha maintenant ? Je commence à avoir mal à la tête et à me sentir irrité. Il serait certainement plus sage de m'allonger et d'attendre que le sommeil me prenne, mais je ne peux pas m'y résoudre. J'essaie une énième fois de l'appeler, mais comme je m'y attendais ; elle ne décroche pas. Je devrais demander à Veronica, même si cela implique de mettre mon ego de côté. L'idée ne m'inspire pas vraiment confiance. Je pourrais peut-être appeler Imane, s'il y a bien une personne à laquelle Nevitha répondrait c'est bien elle et pour l'instant je ne lui ai rien fait pour qu'elle se montre condescendante avec moi. Je sais que j'ai son numéro quelque part, je me souviens l'avoir appelé le jour où j'ai été confronté aux menstruations de sa meilleure amie. Je finis par trouver son numéro dans mes contacts et je m'empresse de l'appeler, sans me soucier de l'heure. Je reste en ligne en écoutant patiemment la sonnerie retentir, croisant les doigts pour qu'elle finisse par me répondre.

Imane : allô ?

A sa voix endormie, je me rends compte, un peu tard, que j'aurais peut-être dû patienter avant de l'appeler.

Moi : allo Imane, c'est moi Yerim.

Imane : oui ?

Moi : tu as des nouvelles de Nevitha ?

Imane : quoi ? Mais il est 6h du matin elle dort.

Son irritation me fait me sentir ridicule, j'ai l'impression qu'elle me prend pour un obsédé.
Ce que tu es peut-être au final.

Moi : elle était en soirée hier et elle a beaucoup bu, elle est partie en Uber et depuis je n'ai plus de nouvelles, est ce que toi tu en as ?

Imane : quoi ? Quoi ? Nevitha a bu ? Et comment ça elle est rentrée en Uber et tu as plus de nouvelles ? Il est 6h du matin comment tu veux que j'aie des nouvelles ?

Je me sens coupable de l'inquiéter à ce point, surtout en étant au courant des conditions de la mort de leur amie. J'entends énormément de bruit de l'autre côté de la ligne et je patiente un moment avant de pouvoir dire quoi que ce soit.

Moi : peut-être qu'elle est fâchée contre moi, je veux juste savoir si elle va bien.

Imane : pourquoi elle serait fâchée contre toi ? C'est à cause de toi qu'elle a bu de l'alcool hier ?

Moi : non pourquoi j'aurais fait ça ?

Imane : elle était avec Veronica non ? Pourquoi elles ne sont pas rentrées ensemble ? Et pourquoi tu l'as laissé rentrer seule, tu n'es pas censé prendre soin d'elle ?

Je l'entends grogner de l'autre côté de la ligne et je reste silencieux le temps qu'elle se calme.

Imane : où sont mes chaussures ? Non je vais chez Nevitha là ? Quoi ? pour vérifier qu'elle va bien.

Je n'ose pas l'interrompre alors qu'elle est en train de discuter avec Béchir, je suppose.

Imane : Yerim, je vais chez elle je te tiens au courant.

Moi : ok...

Elle raccroche. Même si j'avais voulu ajouter autre chose, elle ne m'aurait pas laissé le temps de finir. J'espère seulement que tout va bien, je préfère avoir réveillé Imane pour rien, plutôt que le contraire. D'ici quelques minutes elle me dira si tout se passe bien, je peux bien patienter jusque-là avant d'aller me coucher.
Je me redresse et me dirige vers la cuisine pour me servir un verre d'eau. Je devrais peut-être essayer de me rendre chez mon père aujourd'hui, si je passe trop de temps sans le voir il commencera à se douter de quelque chose. Je pourrais aussi voir Binta et avec un peu de chance lui poser des questions. Est-ce que ça vaut vraiment la peine de dormir ? Si je vais me coucher maintenant je ne risque pas de me réveiller à temps pour aller manger à midi. Je décide de prendre une longue douche, cela me réveillera certainement. D'un pas las, je me dirige vers la salle de bain, me dévêtis et entre sous la douche. Lorsque j'allume l'eau, il me faut un certain temps avant de pouvoir trouver la température correcte, et de la laisser couler sur ma peau. C'est détendant, mais je ne pourrais pas dire que cela me réveille, je sens toujours mes yeux qui me piquent et mon corps reste lourd. Je me frotte le corps avec du savon, en essayant d'éviter de toucher mes locks. Je conclus en lavant mon visage, puis je me rince complètement en me forçant à ne pas trop trainer. Je sors et je récupère une serviette pour me sécher jusque dans ma chambre, là j'en profite pour regarder mon téléphone.

Imane : elle va bien elle est juste dans un état pitoyable.

Moi : merci, désolé.

Imane : c'est normal ne t'en fais pas.

L'inquiétude est remplacée par la colère d'être ignoré. Si vraiment elle m'en veut, pourquoi n'a-t-elle pas pris le temps de discuter avec moi et de me le faire comprendre ? C'est une réaction immature de fuir comme ça et de m'éviter. Je n'ai pas vraiment envie de penser à ça et de me vexer pour une situation que je vais de toute façon réussir à gérer, l'important n'est pas là.
Il est entre ses cuisses.
Je devrais me réjouir qu'elle ne veuille pas me parler, ça m'évite de faire semblant, je pourrais profiter de ce temps pour me remettre les idées en place et reprendre ma vie en main. Quand je me sentirai moins embrouillé, je m'occuperais d'elle. Je regarde l'heure, il est encore trop tôt pour aller chez mon père, il reste du temps avant midi. Je pourrais dormir, histoire de récupérer un peu de cette nuit tourmentée. Si je mets un réveil, je me réveillerais à temps avec un peu de chance.

***

J'émerge difficilement d'un sommeil lourd, en entendant la sonnerie de mon téléphone. Je prends un certain temps avant de me rappeler qu'il s'agit du réveil que j'ai mis, pour être sûr de me rendre chez mon père. Je me sens complètement engourdi, comme si je continuais de rêver. J'essaie de me passer de l'eau sur le visage en espérant que cela me réveille, mais je continu d'avoir l'impression que ma tête est plus lourde qu'à l'accoutumée. Je pourrais me rendormir, mais il faut que j'aille en famille, je m'en sens la responsabilité. Je mets du déodorant et Je décide de me passer de la pommade sur le corps, avant de sortir, pour éviter d'avoir des traces blanches sur la peau. Je prends un temps monstre à étaler cette pommade sur la totalité de mon corps, cependant cela a le mérite de me sortir un peu plus de mon sommeil. Pour m'habiller je me contente d'un tee-shirt et d'un jogging sans vraiment prendre la peine de regarder ce que je prends. Je regarde mon téléphone ; toujours pas de nouvelles de Nevitha.  Je prends mes clés, mon téléphone et mes écouteurs et je me décide à sortir. Le soleil me fait du bien avec ses rayons chaleureux et la musique que je mets à fond dans mes oreilles me donne du courage pour la suite de cette journée. Je me sens reconnaissant de n'être pas très loin de la maison familiale, je peux m'y rendre à pied en une quinzaines de minutes. Même si je suis épuisé, ce trajet à pied sous le soleil me fera le plus grand bien. 
Tout le monde dans la rue semble pressé, tout le monde marche vite, en faisant à peine attention à qui se trouve sur leur chemin. J'ai l'impression de marcher bien plus longtemps que d'habitude, comme si la maison c'était déplacée depuis la dernière fois.
Je finis par arriver devant le portail et j'appuie sur l'interrupteur avant que la porte ne s'ouvre automatiquement. Lorsque j'entre dans le salon, je suis accueillie par de nombreuses expressions de joies de la part de mes oncles. Mais désormais tous me semblent hypocrites.

— Le grand Yerim, comment ça va ?

— Ça va tonton.

— Ça fait longtemps qu'on t'a pas vu, tu avais disparu-là.

— Oui c'est le travail qui me prend du temps.

Je m'assoie sur le canapé à côté de mon père. Les effluves d'encens me caressent le nez et les bruits venants de la cuisine s'associent à l'odeur des plats qui sont mijotés. Ça me fait tout de même du bien de me retrouver en famille, de me retrouver au milieu de ces rires et de cette chaleur humaine.

— Tu n'as plus d'argent, c'est pour ça que tu viens manger avec tes vieux tontons ? Ricane Djibril en se tapant dans les mains.

Je souris pour éviter de paraitre trop distant, mais je sais que ça ne sert à rien, aucun d'eux ne me prête vraiment attention. Je regarde mon père du coin de l'œil et un sentiment de rancœur me monte à la gorge, comment a t'il réussit à faire semblant pendant toutes ces années ? Ne ressent-il aucun regret ? Aucune culpabilité ?

— Binta ! Crie celui-ci.

Cet appel me semble familier, mais j'ai l'impression qu'il est différent, que le ton est plus dur et plus distant. Je me sens mal de me tenir assis là et de me faire servir par Binta, j'ai l'impression d'être supérieur à elle, pourtant je pourrais être son fils. Je la vois arriver en baissant les yeux, avec son habituel sourire.

— Amène-nous de l'eau.

— D'accord.

Lorsque nos regards se croisent, elle me fait un sourire bienveillant. Mon premier réflexe est de regarder si je perçois des marques inhabituelles sur son corps. Je ne vois rien, sa peau est unie, ce qui me permet de penser que mon père ne l'a peut-être pas touché depuis la dernière fois. En la voyant partir, je me redresse sans un mot.

— Tu vas ou Yerim ?

— Je vais aux toilettes, je reviens.

Je me dirige dans la direction de ma belle-mère et réussit à l'intercepter dans le couloir.

— Binta, ça va ?

— Oui et toi Yerim ?

— Ça va.

Elle continue de me regarder avec son grand sourire. C'est vraiment une belle femme, qui sait se mettre en valeur.
Qui sait aussi dissimuler.
J'apprécie son foulard jaune élégamment attaché et sa peau unifiée sous une légère couche de fond de teint. Je remarque certains endroits plus couverts que d'autres, et en la regardant de plus près je peux remarquer le léger gonflement de ses lèvres et de sa tempe gauche. Je la fixe pendant quelques secondes, jusqu'à ce qu'elle baisse les yeux et cesse de sourire.

— Il t'a touché ?

— Je dois aller préparer le riz.

— Tu as fait quoi pour qu'il te touche ?

— Je n'aurais pas dû parler de ta mère à sa place, soupire-t-elle simplement.

— Pour ça ? Mais tu n'as rien fait de mal.

— Je dois aller préparer le riz.

Je la laisse s'éloigner sans rien ajouter. Elle n'a rien fait de mal et pourtant mon père l'a corrigé. Cela voudrait dire qu'il lève la main sur elle sans pour autant avoir de raison valable ? Je me précipite dans les toilettes et m'y enferme. Je me place devant le miroir au-dessus du lavabo et respire un bon coup en me regardant dans les yeux. Tout ce qu'on m'a appris est concrètement remis en question, je ne peux plus l'ignorer, ou fermer les yeux sur ce qui se passe. Je sais ce que je dois penser, mais c'est difficile de l'accepter. Mon père est tout ce qu'il me reste, comment accepter qu'il soit une mauvaise personne ?
Ce qui fait de toi une mauvaise personne.

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