XX
Je range les articles dans un sac de colis et je ferme soigneusement avant de jeter le paquet au milieu de la grande table. Nous devons être une vingtaine dans l'entrepôt, entre ceux qui font descendre les stocks de marchandises, ceux qui les repartissent par commandes et ceux qui les préparent à l'envoi. On n'entend que le bruit des gens s'affairer dans ce petit entrepôt. Je vois mes collègues avec des écouteurs aux oreilles effectuer les tâches qui leur sont attribuées. J'aurais pu moi aussi faire passer le temps avec de la musique, si mes derniers écouteurs ne m'avaient pas lâché il y a 1 semaine. Je dois me contenter d'écouter les bruits sourds de tout ce qui se passe autour de moi. Je suis debout depuis maintenant 11h et je n'ai pas pris de pause, le bas de mon dos commence à me faire sentir la fatigue, mais je sais que je vais réussir à tenir jusqu'à la fin.
Il le faut pour gagner le plus d'argent possible.
Je me reposerai ce soir, demain je ne travaille pas. J'aurais préféré trouver quelque chose de plus stable, un travail régulier qui me permettrait d'avoir un salaire fixe chaque fin de mois, à la place je dois me contenter de missions ponctuelles dans des endroits différents à des horaires différentes.
C'est mieux que rien.
Je fais de mon mieux pour aller le plus vite possible, ce n'est pas très compliqué, je dois juste vérifier que tous les produits de la commande sont bien là, sur une liste et ensuite les placer soit dans un carton, soit dans un paquet en fonction de leur taille. C'est monotone et répétitif, mais j'aime à penser qu'on effectue le travail des lutins du père noël ; on emballe des cadeaux selon une liste de souhaits et on envoie.
C'est plus facile à supporter vu comme ça.
Je ne suis là que pour un certain moment, je n'ai pas l'intention d'en faire un métier, mais j'imagine tous ces gens partout dans le monde qui passent des années à faire ce travail comme des robots, tous ces gens qui n'ont pas le choix et qui reste enfermés dans ces entrepôts pour servir ceux qui ont le luxe de se commander des choses sur internet. C'est littéralement un travail de robot, on a peine le temps de penser parce que sinon on va moins vite ou on commet des erreurs. Mes jambes me font mal, ma tête est lourde et mon dos commence de plus en plus à se faire sentir, je me demande d'ailleurs s'il ne s'agit pas d'un avertissement concernant mes règles. Tant que je ne m'évanouie pas je peux tenir encore, il ne me reste pas très longtemps de toute façon, bientôt il sera l'heure de rentrer à la maison. Je me prendrai une bonne douche chaude et je boirai du thé avant de m'endormir. Je pourrais peut-être recommencer à écrire, reprendre mes projets littéraires où je les ai arrêtés.
Peut-être.
— Allez, on va un peu plus vite, il y a beaucoup de commandes à faire, c'est bientôt terminé, faite un effort !
La voix du responsable, forte et rappeuse me ramène à l'ordre pour que je me remette à emballer plus vite les commandes qui restent. Je regarde rapidement l'heure sur mon téléphone ; 21h50.
Encore 10 minutes.
Je prends une grande inspiration et même si le temps me semble long, je me rappelle que je suis là depuis 10h du matin et que j'ai déjà fait le plus dur. J'essaie de passer outre tous les bruits de l'entrepôt qui se mélangent dans ma tête, pour me concentrer le plus possible sur mon travail afin d'oublier le temps. Lorsque je vois enfin mes collègues se mettre à ranger leurs affaires, je pousse un soupir de soulagement ; c'est la fin.
— Bon merci à tous, rentrez bien, on se voit demain pour ceux qui travaillent ici, et merci aux autres de nous avoir aidé, intervient le responsable avant de laisser tout le monde rentrer chez lui.
On dit au revoir rapidement, je récupère ma veste et sort. Il fait nuit, l'air est plus frais que d'habitude, comme s'il allait pleuvoir et il n'y a pas énormément d'éclairage dans ce coin de la ville. Je vois les autres avancer sans moi et je m'y mets aussi. Je ne connais personne, donc je préfère ne pas m'immiscer dans leur groupe. La route est déserte et il règne un grand silence, à croire que personne n'habite dans les environs. Je suis obligée d'allumer la lampe de mon téléphone pour voir où je mets les pieds. Je me sens angoissée, je regarde autour de moi au cas où il y aurait quelqu'un, le groupe a disparu car n'allant pas dans la même direction que moi, je ne peux donc pas me sentir entourée. J'avance le plus vite possible, en essayant de ne pas sursauter au moindre bruit de feuille.
Il ne va rien se passer.
J'essaie de me rappeler les gestes de base pour réussir à me défendre, au cas où. Je me rends compte que même si je me mets à crier, il y a peu de chance pour que je sois entendue et même si je le suis, généralement personne ne prend la peine de venir en aide aux personnes en danger, tout le monde a peur. Un grondement de tonnerre retentit dans le ciel et quelques gouttes se mettent à tomber. Je referme un peu plus mon manteau sur moi et j'avance encore. J'aperçois au loin un groupe de jeunes et j'hésite avant de continuer, ils sont plusieurs et ils ont l'air de fumer une chicha. Je fini par me convaincre qu'ils sont inoffensifs et j'avance, tout en restant sur mes gardes. Ils n'ont pourtant rien fait de suspect ou d'alarmant, ils sont simplement posés là en train de passer du temps ensemble, mais malgré tout je crains qu'ils ne m'agressent parce que je me sens vulnérable, je suis une femme. Je passe devant eux assez rapidement, m'attendant à ce qu'ils m'abordent, mais ils semblent à peine remarquer ma présence. Lorsque j'entre dans une zone où je vois quelques personnes marcher sur les trottoirs et des voitures sur la route, je sens mon cœur s'apaiser. Je marche plus sereine vers le métro et m'engouffre dans les couloirs jusqu'au quai où j'attends l'arrivée de mon wagon. Le trajet est direct pour se rendre chez moi, même s'il est plutôt long.
Lorsque le métro arrive enfin, je m'installe sur un siège et sors mon téléphone pour voir si j'ai reçu des appels ou des messages.
Imanouchkaka : je suis épuisée, je crois que finalement je vais rester chez moi on se voit demain, désolé bisous.
Je me rappelle de la soirée pyjama qu'on s'était organisé, je suis contente qu'elle ait annulée parce qu'avec l'état de fatigue dans lequel je suis, je ne sais pas comment j'aurais fait pour tenir. J'ai juste envie de rentrer, me doucher, manger et boire un thé avant de m'endormir.
Moi : moi aussi je suis crevée, on remet ça à une prochaine fois, repose-toi bien.
Imanouchkaka : toi aussi, bisous.
Je pose ma tête contre la vitre du véhicule, en luttant pour ne pas fermer les yeux, ce serait idiot de rater mon arrêt parce que je me suis endormie. Je regarde les gens entrer et sortir à chaque fois que le métro s'arrête. Je vois des gens courir pour entrer juste avant que les portes ne se ferment, des gens qui luttent pour placer leurs grosses valises et d'autres qui profitent du trajet pour lire, même en étant debout.
Je me mets à penser au chemin que je devrai faire à pied pour me rendre jusque chez moi, je soupire, si seulement je pouvais me téléporter pour arriver plus vite, les choses seraient plus simples. Je sens mon téléphone vibrer dans ma main, je décroche lorsque je vois le contact de ma tante s'afficher.
Tata cherie d'amour : allô ?
Moi : oui allô ?
Tata cherie d'amour : tu as l'air fatiguée toi, repose-toi bien ce soir.
Moi : tu n'as pas besoin de me le dire 2 fois.
Tata cherie d'amour : c'était juste pour te dire que si tu viens demain, viens avant 17 heures.
Moi : pourquoi ?
Jusqu'à maintenant elle ne m'avait jamais imposé d'horaires, même si ça ne me dérange pas vraiment, il est normal que ma curiosité soit piquée. Je la sens hésiter à l'autre bout de la ligne et je presse le téléphone contre mon oreille pour limiter le bruit des rails qui retentissent.
Tata cherie d'amour : il se pourrait que j'ai un rendez-vous.
Moi : quoi !? Tu es sérieuse ?
Je regarde autour de moi pour vérifier n'avoir dérangé personne, en me rendant compte que j'ai un peu haussé le ton.
Tata cherie d'amour : c'est juste un rendez-vous, on ne sait encore rien.
Moi : peu importe, c'est génial, tu as écouté mes conseils
Tata cherie d'amour : ne t'emballes pas, on ne sait encore rien.
Moi : je suis sûre que ça se passera bien.
Tata cherie d'amour : oui bon, c'était juste pour te dire ça, je vais aller me coucher, bye ma chérie.
Moi : bye.
Elle raccroche et je range mon téléphone avec un sourire. Je suis heureuse qu'après autant de temps passé seule, elle se laisse une autre chance de rencontrer des gens. Quand je pense qu'elle pourrait enfin être comprise entièrement et discuter avec des personnes qui vivent la même chose qu'elle, mon cœur se gonfle de joie ; il n'y a rien de mieux que de se sentir compris et accepté.
Arrivée à ma station je sors et monte les escaliers quatre à quatre pour arriver plus vite. En sortant, je suis accueillie par une trombe de pluie. Je place mon téléphone en sécurité dans une de mes manches, je croise les bras et j'avance le plus rapidement possible alors que la pluie est en train de me battre. Je sens mes vêtements et mes cheveux se tremper, mais je n'ai pas d'autre choix que d'avancer. Le tonnerre gronde et le vent souffle fort, me faisant trembler de froid. Je finis par arriver devant la porte de mon immeuble et me démène pour trouver la clé sous les trombes d'eau qui s'abattent sur ma tête. Je finis par ouvrir et à entrer au chaud. Je monte les escaliers en expirants lourdement et la première chose que je fais en entrant chez moi, est de me débarrasser de mes vêtements trempés, pour me diriger nue vers la douche. Je ne réfléchis pas à deux fois, j'active l'eau chaude, presque brûlante et la fait passer sur mon corps dans un soupir de soulagement. Mes mains et mes pieds son gelées et l'eau chaude les soulage énormément. Je reste immobile, comme ça, quelques instants, avant de commencer à me passer du savon sur le corps et du shampoing dans les cheveux.
Lorsque je sors, je me sens plus détendue, mes membres me font moins mal. Je me sèche et me passe du beurre de karité sur le corps et dans les cheveux, avant de me mettre dans un pyjama chaud et de me diriger vers ma cuisine.
Je mets de la salsa en chauffant des restes et en me préparant une tisane pour contraster avec la tempête qui se déchaine à l'extérieur. Même si Imane était censée me rejoindre, je suis contente de passer cette soirée seule, je vais boire ma tisane devant un film et je finirai par m'endormir avec le bruit de la pluie, je n'aurais pas pu rêver mieux.
Je me sens bien, pas guérie mais heureuse. J'ai encore ce pincement au cœur quand je repense à ce qui aurait pu se passer, mais il est moins présent qu'avant.
Mon téléphone s'allume à cause d'une notification et je jette un coup d'œil rapide.
Yerim : ouvre.
La vue de son nom me submerge d'émotion. Je ne sais ni quoi dire ni quoi penser. Mon cœur se serre fort à l'idée qu'il soit enfin revenu vers moi, j'ai l'impression de reprendre contact avec un fantôme.
Comment ça ouvre ?
Je me mets à réfléchir à toute allure sur la nature de son message, serait-il là ?
Tu ne l'avais pas bloqué ?
Je décide de ne pas répondre, il ne mérite pas mon attention après deux mois sans la réclamer. Je n'ai pas envie de lui donner ce qu'il veut. Mais en même temps tout mon être a envie de savoir ce qu'il fait là. J'ai terriblement envie de le voir et de l'entendre, même s'il s'agit d'une mauvaise idée.
Yerim : je veux te parler.
Je passe de la joie, de l'incompréhension, à la colère, je suis heureuse de le savoir de retour dans ma vie, mais il m'a fait du mal, il a joué avec tout l'amour que je lui ai offert. J'ai envie de le voir, j'ai envie de lui ouvrir pour savoir ce qu'il a à dire, mais en même temps pour me donner l'occasion de déverser ma haine sur lui. J'ai envie de lui dire ce que je pense, de crier vengeance et de lui montrer que je lui en veux énormément, mais ça serait lui accorder une importance qu'il ne mérite plus, pire ça ne servirait à rien, puisque j'ai déjà les réponses à toutes mes questions.
Tu l'aimes.
C'est un manipulateur égoïste, un homme toxique qui prend sans donner. J'entends ma porte retentir fortement sous des coups et mon cœur se fige dans l'effroi.
Il est donc vraiment là.
Je suis encore à me demander si ce n'est pas un rêve, les choses semblent beaucoup trop invraisemblables. Je prends une grande inspiration et choisi la mauvaise décision. Lorsque j'ouvre la porte, je tombe nez à nez avec un Yerim trempé et tout tremblotant. Le voir fait renaitre en moi des sensations que j'avais oubliées, il est si beau avec ses locks trempées qui encadrent son visage sombre et dégoulinant. Il aborde une expression préoccupée sur le visage, il me fait penser à un chiot abandonné.
C'est le même qui n'était pas là pendant deux mois.
Mon regard se durcit, mais tout mon être ne demande qu'à être tendre avec lui. Sans un mot je m'écarte pour le laisser entrer et je referme la porte. Je me précipite pour lui trouver des serviettes que je lui tends pour qu'il se sèche au maximum. Il s'exécute et s'enroule dans une grande serviette blanche avant de s'assoir sur une des chaises de la cuisine.
Je lui tends ma tisane chaude, en évitant le plus possible de croiser son regard. Je ne veux pas recommencer à ressentir ce que j'ai choisi d'oublier, je ne serais pas capable de supporter une autre déception. Je ne sais pas ce qu'il fait chez moi et même si mon cœur espère que les choses se réparent, mon cerveau préfère qu'il s'en aille, car ce qu'il a détruit ne pourra pas être réparé. Il m'énerve parce que je l'ai trop aimé et que j'en ai des souvenirs trop puissants, il m'énerve parce que je sais qu'il pourrait encore me faire l'aimer.
Tu l'aimes encore.
Toujours.
Ma curiosité s'impatiente, je veux savoir pourquoi et comment, je veux des explications, je veux enfin pouvoir savoir ce que j'ai été dans sa vie, je veux qu'il me le dise de sa bouche.
Tu veux qu'il t'achève.
J'ai aussi envie de le faire se sentir coupable, de lui montrer que son comportement est honteux et pitoyable, de lui montrer que je lui en veux de tout mon cœur et qu'il a brisé une personne qui aurait tout fait pour le rendre heureux. Je serre les dents en regardant un point dans la pièce, sentant son regard brûler ma peau.
Qu'il parle.
Plus il attend, plus le silence me fait revivre ma douleur, plus j'ai mal d'être là avec lui dans la même pièce, de l'avoir laisser revenir aussi facilement.
La sonnerie du micro-onde retentit dans un bruit sourd.
— Nevitha.
FIN...
VOUS LISEZ
Tempête
RomansaC'est l'histoire de deux âmes opposées qui vont se rencontrer, qui vont s'apprivoiser, s'aimer peut être, mais qui vont apprendre mutuellement l'une de l'autre.