Yerim

55 6 2
                                    

XY

Je me sens coupable de m'être autant rapproché de Nevitha, je me sens coupable de la laisser s'attacher à moi encore plus en sachant pertinemment que dans quelques jours, toute cette mascarade prendra fin. Si Malick ne s'était pas fâché contre moi, je serais directement allé chez lui, cela m'aurait évité de mettre encore plus de faux espoirs dans le cerveau de ma soi-disant « petite-amie ». Qu'est ce qui m'a pris de me rendre là-bas ? A quoi pouvais-je bien penser ? Je fais les cent pas dans mon appartement depuis un bon moment déjà, sans pouvoir me décider sur ma façon d'aborder les nouvelles informations que l'on m'a transmise. Je devrais peut-être en parler à mon père, mais est-ce que cela servirait réellement à quelque chose ? Je ne sais pas non plus si j'ai envie de lui parler. Je ne me suis jamais senti aussi indécis et perdu que maintenant, j'ai toujours trouvé le moyen de me sortir des situations les plus délicates, sans jamais ressentir la multitude d'émotions qui m'inondent en ce moment. Si ma mère n'était pas partie et qu'elle avait pris son courage à deux mains comme l'a fait Binta, je n'en serais sans doute pas là, c'est de sa faute à elle aussi. Je ne comprends pas pourquoi j'en veux autant à mon père, il a toujours été clair sur sa position concernant la correction des femmes, il m'a toujours dit que battre une femme c'était ce qu'il y a de plus normal, mais seulement dans les situations qui le nécessitent, si ma mère était battue c'est certainement qu'elle le méritait. Personne n'aime se faire corriger, mais est-ce vraiment la peine de fuir et de laisser sa progéniture ? Une partie de moi se demande si mon père n'a pas eu raison de la répudier et une autre se demande s'il n'a pas exagéré dans ses coups.

Nevitha : tu vas bien ?

Voir son nom me donne des nausées, je n'ai pas envie de lui parler, je ne pourrais même pas faire semblant d'être aimable. Je devrais certainement appeler Malick, il fait quasiment partie de ma famille, c'est à lui de savoir en premier ce qui se passe, peu importe qu'on soit fâchés ou non, ceci est bien plus important qu'une quelconque histoire de fille. Je n'ai pas très envie de me mettre à nu devant lui et de supporter son éventuel regard d'apitoiement, mais je ne peux pas gérer ça tout seul, j'ai besoin que quelqu'un soit de mon côté.
Je compose son numéro de téléphone, en croisant les doigts pour qu'il prenne la peine de décrocher.

Malickon : tu veux quoi ?

J'essaie de passer outre sa voix peu accueillante, pour ne pas me décourager de lui avouer ce qui se passe.

Moi : Malick, je sais que tu n'as pas très envie de me parler...

Malickon : j'ai des trucs importants à faire, va droit au but, tu as couché avec Nevitha c'est ça ?

Moi : non, c'est bien plus important que ça.

Malickon : Quoi, tu t'es trouvé une autre victime, Nevitha n'est plus à ton goût ?

Moi : tu penses que toute ma vie tourne autour des filles ou quoi ?

Malickon : c'est ce que tu laisses paraitre en tout cas.

J'ai envie de raccrocher, mais je sais que je dois lui parler, peu importe le ton condescendant qu'il prend, peu importe sa façon de se comporter avec moi, il faut qu'il sache.

Moi : Malick, s'il te plait, c'est vraiment important, laisse-moi finir, s'il te plait.

Je patiente afin de vérifier qu'il ne me coupe pas une énième fois.

Malickon : je t'écoute.

A sa voix, je remarque qu'il a compris que c'était sérieux. Je prends alors mon courage à deux mains, réfléchissant aux mots que je pourrais utiliser pour m'exprimer correctement.

Moi : tu sais que ma mère m'a abandonné non ?

Malickon : oui.

Moi : j'ai appris pourquoi.

Malickon : pourquoi ?

Moi : mon père la battait et elle a fui sans réussir à m'amener avec elle.

Malickon : Yerim, qui t'a raconté ça ?

Moi : Binta.

Je m'attendais à ce qu'il soit plus surpris que cela, cette information est tout de même importante dans ma vie.

Malickon : tu es chez toi là ?

Moi : oui.

Malickon : j'arrive.

Je le laisse raccrocher sans rien ajouter de plus. Je m'affale dans un de mes canapés en attendant l'arrivée de mon ami. Je préfère regarder le plafond plutôt que de répondre à mes messages ou de naviguer sur les réseaux sociaux, à quoi bon ? Je n'y trouverais, de toutes façons, aucun plaisir. Je n'ai pas envie de regretter d'avoir appelé Malick, mais je commence à me demander si c'était une bonne idée. J'aurais peut-être pu gérer cette situation tout seul, après tout ce n'est pas si grave, j'ai toujours su que ma mère avait fui d'une manière ou d'une autre, le fait de savoir pourquoi ne devrait pas me bouleverser autant.
Lorsque la sonnette de chez moi retentit, je n'ai pas besoin de penser longtemps pour savoir qu'il s'agit de Malick. Je lui ouvre la porte et le laisse entrer sans dire un mot.

— Bon, explique-moi tout en détail, dit-il en prenant place dans un fauteuil.

TempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant