Nevitha

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XX

Je suis posée sur une chaise et je regarde le quartier s'activer dans le crépuscule. Rahim est près de moi, en train de fumer de la beuh. La fumée qu'il fait ressortir de ses poumons embaume l'air et me force à la respirer. Je regarde les gens rire pour pas grand-chose et se disputer pour rien. Nous ne sommes plus en Afrique, mais j'ai envie d'y croire un peu, avec les petits commerces et les vendeuses de galettes qui négocient les prix à leurs clients.

-        Tu penses à quoi Vita ? me demande soudain mon ami en rejetant de la fumée devant lui.

-        Je pense à Ouagadougou.

-        Ton bled paumé-là ? pouffe-t'il.

-        C'est mieux que la Guinée, vous n'avez qu'un seul goudron pour tout le pays, je rétorque.

-        Toi t'es pas guinéenne toi ?

-        Si, mais j'ai le droit de tailler un de mes pays, par rapport à un autre, c'est l'avantage d'être multinationale.

-        Ouais c'est ça, n'importe quoi, tu prends ce qui t'arrange oui.

Je me mets à rire, en le bousculant légèrement, tandis qu'il reprend une taffe. Il me regarde, puis me tends son joint, mais je le refuse d'un signe de tête.

-        Tu es devenue ennuyeuse toi depuis que tu as décidé de devenir raisonnable, se moque t'il.

-        Chacun sa vie hein mon gars.

-        Avant on se taillait des joints gros comme des camions et on s'enfilait des bouteilles comme de l'eau.

-        Arrête d'abuser.

-        J'abuse pas ! T'étais pire que nous tous réunis, tu buvais comme un trou et tu fumais comme un dragon et là tu te joues la sainte nitouche.

-        La ferme Rahim, tu abuses.

-        Tu ne veux juste pas assumer.

Je pousse un petit rire, sans prendre la peine de répondre. Je ne sais pas pourquoi ce qu'il me dit m'emplit de fierté, je ne suis pourtant pas particulièrement fière de mon passé. Je suis peut-être juste fière d'avoir pu impressionner quelqu'un, même dans ce domaine-ci. Je me rappelle des soirées dont il parle, qui finissaient à l'aube sur les carrelages des maisons où on organisait nos rencontres. C'était vraiment n'importe quoi. Mais c'était encore acceptable comparé à Ouaga, où on pouvait faire 3 jours d'affilés, voire une semaine à faire la fête et boire non-stop. Je me rappelle des réveils et des grasses matinées pleines de regrets, mais remplies du souvenir des joies de la veille, qui nous poussait à recommencer. Je ne sais pas vraiment ce qui nous motivait, on avait toutes des motivations différentes, je sais que je le faisais pour m'amuser, pour pousser mes limites le plus loin possible et je sais que Imane ne buvait jamais, elle nous regardait.

Tu oublies quelqu'un non ?

On passait de nuits entières à danser en talon, parfois pieds nus au milieu des verres cassés sur le sol. Toutes ces soirées qu'on passait sans que nos parents ne soient au courant, à sortir de la maison comme des voleuses pour revenir le lendemain matin avec le manteau de la honte et se cacher dans nos chambres pour dormir. Toutes ces fois où on a acheté le silence des gardiens de nos maisons, où on partait sans savoir comment revenir. On vivait mal, mais au moins on vivait et on était toutes ensemble. C'était une période encore un peu innocente, on commençait à peine à s'apercevoir des douleurs de ce monde, on était concentrées sur nos bêtises.

-        Tu es pensive Vita, tu as quoi en ce moment ?

-        Rien je suis juste fatiguée.

TempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant