Yerim

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XY

Je repense aux mots de Nevitha, « soit ils ne sont jamais tombés vraiment amoureux, soit ils essaient de combler un manque par rapport à un traumatisme vécu à cause d'une femme. »
Je sais que je ne suis pas poly amoureux, je le sais parce que je suis parfaitement conscient de n'être jamais tombé amoureux ; je n'ai jamais ressenti quoi que ce soit qui puisse me l'indiquer. Une autre de ses phrases me revient en mémoire « un homme traumatisé par la présence ou l'absence d'une femme qui était censé l'élever, est souvent plus enclin à faire du mal à d'autres. ».
Je regarde mon père assis près de moi et mes oncles en train de boire des bières. Je n'ai pas été élevé par une femme, j'ai été éduqué par les hommes de ma famille, bien avant que Binta ne devienne ma belle-mère. Je lui voue beaucoup d'amour et de respect, mais elle ne m'a pas élevé, on n'a jamais été très proches, elle est simplement la femme de mon père et moi, le fils de l'homme qu'elle a épousé.
On m'a tout de même appris à respecter la femme, on m'a enseigné qu'elle portait la vie et qu'on lui devait tout, ils m'ont également enseigné à me faire respecter de celles-ci, ce qu'une femme me m'aurait jamais appris. Ils m'ont dit ce que j'avais à savoir, tout ce que je devais connaitre afin d'évoluer en société. Les filles avec qui je fais mes « bêtises », ne sont pas les femmes que je vais épouser, je ne ferais pas de mal à la femme qui portera mes enfants, mes oncles m'ont appris à ne pas lui en faire et à l'aimer comme on aime un enfant. Donc à l'éduquer aussi.
Je ne me souviens pas de ma mère, mon père ne m'en a jamais vraiment parlé, il n'y a aucune photo d'elle pour me permettre de m'en rappeler. C'est certainement mieux ainsi, je n'ai pas envie de me rappeler d'une femme qui m'a abandonné. Je ne connais pas cette dame, c'est une étrangère pour moi, elle n'a pas plus d'importance que la personne lambda que je croise dans la rue. Elle a fait le choix de disparaitre, je fais le choix ne de pas la chercher.
Bien sûr.
Je vois mes oncles se lever et saluer tout le monde avant de sortir de la pièce, l'heure du repas est passée et chacun rentre chez lui. Je vois mes tantes sortir de la cuisine et rejoindre leurs époux, avec une ribambelle d'enfants bruyants. Les salutations de départs se prolongent dans des rires et de nouveaux sujets de discussion, mais finissent par conclure la rencontre et vider la maison de mon père. Je le regarde se rassoir dans son fauteuil.
Nevitha a planté une graine dans mon cerveau, ça faisait des années que je n'avais pas repenser à ma génitrice avec une telle force, elle était restée une idée floue dans un coin de ma tête et j'avais décidé de ne pas m'en préoccuper. Mais maintenant, je me rends compte que j'ai tout de même envie de savoir qui elle était, et pourquoi elle est partie.

— Papa.

— Oui fils ?

— Pourquoi ma mère est partie ?

Il tourne la tête vers moi et me fixe intensément. L'expression de son visage a changé, comme s'il ne s'attendait pas du tout à ça.

— Ta mère nous a abandonné parce qu'elle était égoïste, elle est partie sans prévenir.

Il tourne la tête et au ton sec qu'il a employé, je sais que je ne pourrais rien en tirer de plus.
Il se redresse soudain et sans un mot, sort de la pièce. Je reste seul à me demander si j'ai fait le bon choix en essayant de lui en parler, ou s'il aurait été préférable que je me taise.
Binta arrive dans la pièce et entreprend de ramasser les verres et les bouteilles que les hommes ont laissé sur la table.

— Yerim.

Je me tourne vers elle, elle joue avec le torchon qu'elle tient dans ses mains en me fixant. Elle semble hésiter à me dire quelque chose.

— Tu veux que me lève ? Je propose pour lui éviter de se sentir trop gênée de devoir faire le ménage en ma présence. J'arrive à peine à regarder dans ses yeux, depuis que j'ai remarqué les marques sur sa peau qui trahissent son mauvais comportement.

TempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant