Nevitha

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XX

Cela doit faire quelques heures que je n'arrête pas de me réveiller et de me rendormir. Ma tête fait terriblement mal, et j'ai l'impression qu'un animal est mort dans ma bouche. J'ai l'impression de ne pas avoir dormi et pourtant il est 14h00. Je me décide à ouvrir les yeux sans pour autant me décider à me redresser. Je me souviens vaguement qu'Imane soit venue me réveiller, je ne me souviens plus de ce qu'elle me voulait, ni de ce que je lui ai dit, mais je suis pratiquement certaine qu'elle était là. Je regarde mon téléphone en faisant un bâillement monstrueux. Je vois un nombre impressionnant d'appels manqués et de messages. Je vois les noms de Yerim, de Veronica et d'Imane bien évidemment.

Vero_nicka : mais réponds, tu donnes pas de nouvelles là, est ce que tu vas bien ?
Vero_nicka : apprend à prévenir quand tu rentres
Vero_nicka : tu me stress.
Vero_nicka : c'est bon Imane m'a dit que tu vas bien.

J'ai oublié d'envoyer un message. Je me souviens être rentrée, mais pas du moment où je me suis endormie. Je n'ai même pas pris la peine de me changer, j'ai gardé mes vêtements trempés de sueur et mon maquillage dégoulinant. J'ouvre les messages de Yerim, pour avoir une idée de ce qu'il pourrait bien me vouloir.

Yerim : Nevitha on peut se parler ?
Yerim : pourquoi tu es parti comme ça ? tu ne m'as même pas donné le temps de te parler.
Yerim : est-ce que tu vas bien ? pourquoi tu ne réponds pas ?
Yerim : répond s'il te plait, ça devient inquiétant.
Yerim : même si tu n'as pas envie de me parler, dis-moi au moins si tu vas bien.

Voir son nom et son inquiétude me fait me sentir étrangement bien, pourtant en me rappelant ce qui s'est passé je n'ai pas envie de lui parler, du moins j'ai envie de le faire languir un bon moment. Ce qui s'est passé est irrespectueux, mais pas impardonnable. C'est le début de notre relation, on n'a pas encore établi des limites à ne pas franchir ; après tout il m'en voulait aussi apparemment. Il faudrait qu'on discute, mais pas maintenant, le souvenir est encore trop frais dans ma tête.

Moi : je vais bien.

Yerim : pourquoi tu ne veux pas me parler ?

Moi : je vais bien.

Yerim : tu es sérieuse ?

Je me sens mal de ne pas pouvoir lui parler, mais d'un autre côté j'ai envie qu'il comprenne qu'il m'a blessé alors quoi de mieux que de me montrer distante ?
Dans un long soupir, j'entreprends de me redresser, ma tête me fait encore plus mal et mon corps lourd me rappelle les effets de l'alcool. Mon odeur corporelle me monte au nez et achève de me réveiller. Je n'arrive pas à croire que j'ai dormi dans cette odeur nauséabonde.

— Houuf je pue, c'est dingue, je grogne en m'empressant de me déshabiller.

J'ai maintenant la confirmation de ne plus du tout avoir envie de toucher aux substances addictives, j'avais oublié cette sensation désagréable au réveil, comme si j'étais tombée d'un immeuble. Je ne réalise toujours pas que j'ai réussi à céder, tout ça à cause d'un homme. S'il est capable de réveiller mes mauvais côtés, est-ce vraiment la peine que je me lance corps et âme dans cette relation ? Je m'apprête à aller toute nue dans ma salle de bain, lorsque mon téléphone se met à sonner.

Moi : yep c'est moi

Tata cherie d'amour : tu viens toujours manger ?

Mince ! J'avais oublié. Je savais bien que je devais faire quelque chose d'important. Je me précipite dans la salle de bain en emportant une serviette à la volée.

Moi : oui oui, bien sûr, comment j'aurais pu oublier.

Tata cherie d'amour : oui bien sûr, rigole-t-elle.

Moi : je viens de me réveiller, mais promis j'arrive.

Tata cherie d'amour : d'accord je t'attends.

Moi : bisous.

Je raccroche rapidement pour pouvoir entrer sous la douche. Je n'ai pas vraiment le temps de réguler l'eau, donc je me retrouve sous une douche d'eau glacée.

— Yaaa, Seigneur ça réveille ! Je cri en me frottant le corps le plus vite possible sous les jets d'eau froide.

J'ai l'impression que l'eau est tellement froide qu'elle finit par me brûler la peau, je me passe un savon à l'argile rouge dessus, en insistant particulièrement sur mon dos et ma poitrine, dans l'espoir qu'il agira sur mes boutons, comme le dit la notice. Je prends le courage de me passer de l'eau sur la tête, pour nettoyer mes cheveux de la sueur et de la fumée qui ont certainement dû s'y immiscer. J'y met shampoing et après shampoing afin de nettoyer et hydrater mes boucles brunes. Je me rince le plus vite possible pour subir le moins possible l'eau froide et je sors de la douche pour me brosser les dents, en espérant éradiquer cette odeur de cadavre. Pour me motiver je mets de la musique sur mon téléphone, en entreprenant de me sécher avec ma serviette. Je place la serviette sur mes cheveux, et je me déplace toute nue dans ma chambre sur le rythme de la musique. J'enfile une culotte propre, tout en cherchant quelque chose de simple à me mettre.
Un débardeur suffira, il fait chaud.

Fatiguée d'être indécise, j'opte pour un débardeur vert et un mom-jean qui va avec tout. Je passe rapidement du beurre de karité sur mon corps et je m'habille. Je retire la serviette de mes cheveux et les badigeonne d'huile d'avocat. L'odeur est divine et me permet en plus de définir correctement mes boucles indisciplinées. J'en profite pour me peigner rapidement, faisant sans le vouloir une touffe imposante de cheveux au-dessus de ma tête. Je passe devant le miroir, pour constater le résultat. Je me trouve particulièrement jolie aujourd'hui ; mes taches de rousseur sont assez visibles sur mes joues, mes lèvres sont roses mais celle du dessus est plus foncé, ce qui donne un effet plutôt agréable à regarder. Mes cheveux encadrent bien mon visage caramel et malgré les cernes noirs qui stagnent sous mes yeux, j'ai l'air plutôt pétillante. Je mets fin à ma contemplation, et me décide à porter mes chaussures pour sortir, sans oublier de récupérer mes affaires. Une fois à l'extérieur je sens mon téléphone vibrer dans ma main.

Moi : ouais ?

Imanouchkaka : tu m'explique pourquoi tu étais saoule ? Et pourquoi ton petit copain me réveille à 6h00 du matin pour savoir si tu vas bien ?

Yerim s'est inquiété au point d'appeler Imane ? Je soupire longuement, en levant les yeux au ciel, mais pourquoi est-il allé dans les extrêmes à ce point ? Il a dû incroyablement inquiéter Imane.

Moi : écoute je voulais m'amuser un peu, et puis je sais pas pourquoi Yerim t'a appelé, il exagère.

Imanouchkaka : t'amuser ? Tu es sérieuse là, c'est quoi cette façon d'être irresponsable ? Et puis Yerim à raison, tu étais saoule et tu es rentrée seule, tu n'as pas entendu toutes les histoires de viol qui se passe en ce moment ?

Moi : de toute façon je vais plus recommencer ok ? Et puis je suis rentrée saine et sauve pas la peine de s'inquiéter comme ça.

Je l'entends soupirer à l'autre bout de la ligne.

Imanouchkaka : je trouve ça mignon un gars qui s'inquiète à ce point pour toi, même s'il a gâté ma grasse matinée avec Béchir, j'ai dû dormir avec toi.

Moi : ça me vexe que tu prennes ça comme un calvaire.

Je sors de ma rue et me met à marcher en direction de la station de métro la plus proche.

Imanouchkaka : j'aurais préféré dormir avec mon chéri.

Moi : qui t'en a empêché ?

Imanouchkaka : toi imbécile, si tu avais pas bu je ne me sentirais pas obligée de te surveiller.

Moi : ouais c'est ça, trouves un prétexte.

Imanouchkaka : bon, tu m'explique pourquoi tu as bu ?

Je n'ai pas tellement envie de lui dire que ma relation, qui viens à peine de commencer, doit déjà faire face à des problèmes, ni qu'il est facile pour moi de recommencer à boire à cause d'un garçon. 
C'est un peu pitoyable.

Moi :  ce n'est rien je vais plus recommencer, c'était un petit égarement.

Imanouchkaka : bon ok, je te laisse, je dois m'occuper de mon chéri, tu vois, parce que je suis une femme aux petits soins.

Moi : moi aussi.

Imanouchkaka : ouais c'est ça, allez. Bye.

Moi : non mais tu veux dire quoi par-là ?

Imanouchkaka : allez bye.

Je la laisse me raccrocher au nez en riant. Son bonheur est presque contagieux, elle est tellement heureuse, qu'elle vend du rêve. Je m'engouffre dans les couloirs sombre du métro, en dévalant les escaliers le plus vite possible pour ne pas rater le prochain. J'arrive juste à temps et je trouve une place assise avant que les portes ne se referment.
Je regarde la femme d'âge mûre en face de moi, qui lit un livre en anglais. Je l'observe en me rendant bien compte que c'est très déplacé de ma part, mais je ne peux pas m'empêcher de remarquer son visage et sa coiffure soignée. Je me demande comment elle fait pour se concentrer autant, avec tout le vacarme qu'il y a, entre les discussions et le bruit de la mécanique. Je finis par détourner mon regard vers les fenêtres, mais je ne vois rien d'intéressant à part les murs sombres des souterrains. Je me mets donc à observer les gens autour de moi ; je vois un homme s'attacher ses longs cheveux, avec plus de grâce que n'importe quelle femme que j'ai vu jusque-là, je vois une jeune fille qui porte avec fierté ses cheveux afro et une autre dont le visage encadré par un voile beige est merveilleusement mis en valeur. Je regarde autour de moi, tous ces gens qui souffrent certainement d'une manière ou d'une autre, tous ces esprits qui sont sans aucun doute tourmentés par quelques cauchemars. Je regarde avec intérêt tous ces visages sereins, qui cachent sans doute un passé douloureux et des pensées tristes. Je trouve extraordinaire qu'on puisse tous se ressembler et quand même être si éloignés ; on a tous des cauchemars et pourtant on préfère les garder pour nous, on ne veut pas se rapprocher, on ne veut pas se confier. Je pourrais trouver dans ce wagon, quelqu'un qui comprendrait sans doute ce que je traverse par rapport à Malaïcka, par rapport à mes parents, ou même par rapport à Yerim. Si on ne se trouvait pas dans un monde aussi individualiste, peut-être qu'on pourrait sauver quelqu'un dans cette rame de métro, qui aurait des pensées suicidaires. Les gens donnent l'impression de ne rien vivre de grave, ils ont tous des visages inexpressifs, ou souriant.
Hypocrites.
Je sors du wagon lorsqu'il s'arrête à ma station et je me dirige vers une autre ligne pour finalement arriver chez ma tante. Ce trajet prend moins de temps que le premier et je finis par sortir des couloirs sombres pour me retrouver à la lumière du soleil. Ses rayons m'agressent les yeux, et mon mal de tête ne semble pas vouloir se dissiper. Je marche vite, je cours presque pour pouvoir arriver rapidement et m'assoir au frais.  Lorsque j'arrive enfin, la porte est grandement ouverte et je m'y engouffre directement.

— Hey ma fille !

TempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant