1/ Celle qui n'a peur de rien

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Relever un défi n'a jamais été un problème pour Katerine. C'est dans sa nature. Dans son ADN. Son père était un aventurier. Enfin, c'est ce que sa mère lui a toujours dit. Quoi qu'il en soit, elle veut y croire. Elle se veut, elle-aussi, aventurière. Alors, elle fonce. Toujours. Chaque envie devient un objectif. Chaque obstacle, un défi.

Aujourd'hui, elle se tient le bras en croix, harnachée, debout sur la plate-forme face au vide. L'instructeur lui donne les dernières consignes. Elle va jouer sa vie. Une fois de plus, selon Sylvia, qui se tient en retrait sur le bord du trottoir, assez loin de la rambarde pour ne pas avoir le vertige.

Sylvia ne sait pas tout. Sylvia ignore que c'est pour elle que Katerine va se lancer dans le vide. Katerine sait qu'après avoir assister à sa vertigineuse chute, Sylvia sera moins encline à refuser ce qu'elle compte lui proposer après. Tout lui paraîtra moins dangereux pendant quelques jours. Mais seulement quelques jours. Katerine en profitera pour la faire avancer un peu. Pour abattre un pan de la forteresse dans laquelle son amie s'est enfermée il y a longtemps. Car Sylvia a peur de tout, y compris d'elle-même.

Or, demain, elle va devoir affronter le monde du travail. Sylvia n'est pas prête. Elle n'est prête à rien, sauf à se réfugier sous sa couette et à tenter de se faire oublier. Mais son père en a décidé autrement. Il lui a trouvé ce poste dans l'hôtel d'un ami qui connaît les problèmes de Sylvia, mais qui connaît aussi tout le potentiel qu'elle pourrait avoir s'il arrivait à la faire travailler. Car Sylvia est un génie. Enfin, une sorte de génie. Une super calculatrice humaine avec deux yeux vert immenses et un joli sourire quand elle se donne la peine d'en user. Ce qui arrive rarement.

Sylvia a accepté ce job d'été à la seule condition que Katerine l'accompagne. Katerine est sa meilleure amie depuis la maternelle. Elle a toujours été là pour elle. Pour la protéger contre ceux qui lui veulent invariablement du mal : les jaloux et les imbéciles. Pour la soutenir lors des épreuves que la vie met sur son chemin de manière récurrente : la mort de sa mère, son incroyable intelligence, son entrée à l'école d'ingénieur ou son premier – et unique, parce que catastrophique – rencart.

Katerine a accepté ce rôle, car elle aime Sylvia comme une petite sœur. Elles ont pourtant le même âge : 22 ans. Pour Katerine, Sylvia est comme un oisillon que l'on a poussé hors du nid avant qu'il ait eu le temps d'apprendre à voler. Il faut, à chaque instant, lui prouver ce qu'il est possible d'accomplir et la convaincre d'essayer. Certaines personnes pourraient trouver ça usant, mais pas Katerine. Katerine aime trop Sylvia pour voir leur fonctionnement comme un fardeau.

Ce qui parait étrange en réalité, c'est que, des deux filles, Katerine paraît la plus délicate. Petite, menue, les cheveux blonds court et rarement bien coiffés, des yeux marrons d'un banal affligeant. Katerine possède une âme d'exploratrice coincée dans un corps d'enfant. Est-ce pour combattre cette apparente fragilité qu'elle est devenue une vraie casse-cou ? Possible. Probable. Quoi qu'il en soit, même si Sylvia est plus grande, mieux formée et, sans doute, bien plus séduisante, Katerine est celle qui protège. Celle qui sait se battre comme un garçon. Celle qui crache et jure comme un marin. Celle qui n'a jamais peur de rien et suit son instinct même quand elle sait que cela peut lui jouer des tours.

Katerine a déjà eu une tripotée de petits-amis, tous très vite oubliés. La plupart trop timorés pour elle. Souvent effrayés par cette fille bien plus audacieuse qu'eux. Elle s'en fiche. La vie est faite pour profiter. Elle ne se fait pas de soucis pour son cœur, mille fois épris, mille fois remercié d'aller voir ailleurs. Elle gère. Elle pose un mouchoir sur l'abîme et passe au suivant.

L'inverse de Sylvia. Son amie ne s'emballe pas facilement. Elle a un cœur de midinette, croit au prince charmant et n'imagine même pas qu'on lui mente pour obtenir des faveurs sexuelles. Alors, Sylvia n'a eu qu'un rencard désastreux dans sa jeune vie. Rencard d'où Katerine a dû la sortir en urgence après un appel désespéré passé depuis les toilettes d'un bar bondé où elle s'était réfugiée après avoir fui de la voiture du garçon un peu trop entreprenant... Depuis, Katerine couve Sylvia comme le lait sur le feu. Trop risqué de la lâcher des yeux. Surtout depuis qu'elle a achevé sa croissance. Et quelle croissance ! Sylvia serait une bombe atomique si elle n'avait pas si peur, si elle ne se cachait pas sous des fringues fades et ternes.

Ce tempérament et cette incroyable timidité facilite la vie du père de Sylvia, mais complique celle de Katerine. Elle est celle qui n'a peur de rien et ouvre les perspectives. Elle est celle qui s'empare des opportunités, voire les crée, pour son amie. Je l'ai déjà dit. Katerine adore Sylvia. Elle est sa sœur chérie, et elle ferait n'importe quoi pour elle.


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