Faire le grand saut

16/ Le calme avant la tempête ou semer avant de récolter

Sylvia est heureuse. Elle n'en est pas encore au point de vouloir remercier son père. Mais elle sait qu'elle ne pourra pas lui cacher très longtemps son amour pour Charles. Elle se sent si différente depuis cette soirée sous les étoiles. Il est si tendre. Il sait exactement comment s'y prendre avec elle. Il ne la brusque pas. Ne lui fait pas peur. Il prend son temps.

Toutefois, ils n'ont pas encore sauté le pas question sexe. Elle sait qu'il est plus expérimenté qu'elle – mais qui ne l'est pas ? - , puisqu'il a déjà eu deux petites amies avant elle. Deux ! Elle appréhende donc le moment où elle se donnera à lui. Elle a peur de le décevoir. Alors, elle renâcle.

— Il n'est pas dupe, tu sais. Tu devrais lui en parler.

— Je... je ne peux pas ! C'est si embarrassant...

— Arrête ! Tu es à l'aise avec lui. Je t'ai entendu plaisanter, et puis vous vous embrassez tout le temps !

— Pas tout le temps ! Juste quand c'est possible.

— C'est bien ce que je dis ! Tout le temps !

— Idiote ! Ce serait bien que tu...

— Tu ne veux tout de même pas que je lui parle de ça ! Non ! Tu ne peux pas vouloir ça ! Tu ne veux pas que je le teste pour toi, aussi ! Tant qu'on y est !

— T'as pas intérêt à t'approcher de lui ! rugit brusquement Sylvia en la fixant.

— Il va bien falloir si tu veux que je lui parle !

— Mais...

— Arrête, Sil ! Je te taquine ! Je vais essayer d'arranger le coup... mais je ne te garantis rien, hein ! Parce que Charles est aussi empoté que toi ! Pour lui faire comprendre les choses, faut limite lui faire un dessin ! Quand je pense que vous êtes tous les deux des putains de génie en maths...

— Lui, c'est plutôt la physique son truc.

— Oui, bon ! Des génies en science !

Katerine accroche la chemise qu'elle vient de repasser à la porte de son armoire, près du reste de son uniforme. Elle tient à être chaque jour impeccable pour que Beautemps n'ait rien à lui reprocher. Elle sait que ça fait enrager sa supérieure de ne pouvoir la rabaisser sans arrêt.

Depuis qu'elle l'a arnaquée le fameux week-end « sous les étoiles » comme dit Sil, Katerine s'applique à se venger de Beautemps par tous les moyens à sa disposition. Le meilleur moment ayant été quand la saleté s'est aperçue que toutes les poches de son uniforme avaient été cousues solidement. Elle était rouge de colère. Mais personne ne savait rien. Et surtout pas Katerine.

Bon, la contrepartie, c'est qu'elle est de toutes les corvées les plus répugnantes et les plus fatigantes. Campbell lui a proposé d'intervenir. Il lui a même proposé de la prendre comme assistante ! Manquerait plus que ça !

Après leur petite partie de jambes en l'air dans la voiture à quelques mètres du couple platonique que formait Charles et Sylvia, Matthew et Kat avaient convenu de respecter certaines règles essentielles pour conserver leur aventure secrète. Car il n'était pas question pour Katerine de s'afficher avec le bras droit du patron. Pas tant qu'elle travaillait comme femme de ménage pour Greengard.

Donc pas d'interaction, sauf si nécessaire, dans l'enceinte de l'hôtel. Même si parfois la tentation est grande. Pas de signes de connivence. Pas de favoritisme. Campbell a donc interdiction de se mêler du problème Beautemps. Sauf si, bien sûr, le patron s'en inquiète et le lui demande expressément. Mais Kat est tranquille. Violette Beautemps préfère gérer ses problèmes seule. C'est une vraie terreur.

Bref, Beautemps est à elle. Campbell aussi, mais hors de l'hôtel. Ils se voient à la maison de la plage, avec la complicité de M. Roberts, le chauffeur de M. Benford qui dépose la jeune femme chaque soir sur la jetée, et de Sylvia qui couvre son amie auprès de sa mère.

Katerine aurait pu tout dire à sa mère. Elle ne s'en serait pas offusquée, ni ne lui aurait interdit quoi que ce soit. Mais la jeune femme aime le secret de cette aventure. C'est la première fois qu'elle en a un aussi agréable. Et puis, sa mère aurait fatalement gaffé auprès de M. Benford qui lui ne devait pas savoir. Surtout pas.