26/ Pratiquer la terre brûler

983 140 0
                                    

Lydia a veillé sa fille et s'est endormie à ses côtés. Au matin, elle pense la trouver effondrée. Ce n'est pas le cas. Katerine est debout avant elle. Douchée et prête pour aller travailler. Elle ne parle pas de ce qui s'est passé la veille. Elle a le regard déterminé de celle qui refuse de se laisser abattre.

— Kat. Je crois vraiment que tu devrais réfléchir un peu à la situation avant d'y retourner. En fait, je pense même que tu ne devrais pas y retourner. Je peux te trouver quelque chose à l'hôpital. L'été, on est toujours en sous-effectif. Et maintenant que tu es une pro du ménage...

— J'ai signé un contrat de deux mois, maman. Ne pas l'honorer serait incorrect. D'autant plus que celle qui me menait la vie dure jusqu'à présent, part en vacances. Quant à... M. Campbell, il est peu probable que je le vois. Il travaille à l'étage administratif. Je n'y mets jamais les pieds.

— Tu ne vas pas aller lui parler ?

— Non. Sil m'a envoyé un message cette nuit. Pour lui comme pour moi, c'est fini. Et c'est mieux. Il me rendait faible.

— Katerine !

Mais la jeune femme ne répond rien. Elle est déjà partie. Sa mère la voit descendre la rue vers l'arrêt de bus. Elle n'a même pas demandé à Sylvia de passer la chercher. Lydia est inquiète. Elle aurait peut-être dû forcer sa fille à parler la veille. Ne pas attendre. Maintenant ça semble trop tard.


Personne n'étant au courant de la liaison entre Matthew et Katerine, personne ne met en doute la façade que la jeune femme affiche ce jour-là. Seule Sylvia n'arrive pas à oublier. À l'heure du déjeuner, elle ne peut s'empêcher de prendre des pincettes quand elle parle avec son amie. Charles qui est au courant, mais ne veut pas s'en mêler, ne dit rien. Campbell est un collaborateur important. Il ne peut se permettre de prendre parti. Il n'a pas compris que ça n'est pas ce que demande Katerine. Ce qu'elle veut c'est la paix. C'est que la cacophonie qui règne en elle cesse enfin.

Trois jours passent ainsi. Trois jours durant lesquels ni Matthew, ni Katerine ne se rencontre.

Le vendredi soir, Sylvia insiste pour attendre Kat afin de la ramener en voiture, alors que son amie termine plus tard qu'elle. Charles comprend et rentre seul. Il verra Sylvia tout le week-end. Il a prévu de lui faire une surprise. Il l'emmène dans un petit bed and breakfast sur un lac qu'il affectionne particulièrement. Ils partent dans la soirée. Seul M. Benford est au courant. Il laisse donc sa bien-aimée sans inquiétude.

— Écoute, Sil... Arrête d'être comme ça avec moi. Je ne suis pas en sucre, ok. C'est bon. Tout va bien, dit Katerine laconiquement après que Sylvia lui ait montré de la sollicitude.

Sylvia sait que son amie ment. Même si elle ne veut pas la perdre, elle se sent obligée de répliquer.

— C'est ça ! Tout va bien ! Finalement vous allez bien ensemble Campbell et toi ! Les mêmes œillères, et la même façon de réagir ! Surtout, on ne parle de rien ! Un coup d'ardoise magique ! Mais bien sûr ! C'est si facile ! Personne ne souffre, hein ?

Sil entre dans la voiture sous le regard intrigué de M. le Roberts, le chauffeur, qui l'a rarement vue aussi contrariée. C'est même bien la première fois qu'il la voit ainsi. Et que ce soit son amie Katerine qui ait provoqué ce sentiment l'étonne encore plus.

Katerine finit par monter à son tour. Elle se tient droite. Le regard fixé sur la route devant elle, tandis que Sylvia observe le paysage par la fenêtre à sa droite. Un mur invisible s'érige entre elles. La nouvelle inflexibilité de Kat ne peut transiger. Elle ne peut pas ouvrir son cœur même un petit peu. Sinon elle sait qu'elle va de nouveau s'effondrer. Alors elle a tout ficelé bien serré. Sylvia devrait comprendre. Mais Sylvia ne comprend pas. Ou ne veut pas comprendre. Pourquoi s'obstine-t-elle à vouloir en parler ? Campbell n'a pas plus d'importance que ses précédents petits-amis. Point à la ligne. La vie continue.

Arrivé devant chez elle, Katerine descend sans un mot pour Sylvia qui n'ouvre pas la bouche non plus. Cette dernière regarde son amie rentrer chez elle en silence. Elle est si triste. Elle voudrait la serrer dans ses bras. Elle voudrait se blottir contre elle. La faire rire. La bousculer. Tout plutôt que cet air froid et distant qu'elle affiche depuis la rupture. Sylvia n'a jamais vu son amie aussi inflexible et froide. Katerine ne réalise pas le mal qu'elle est en train de faire autour d'elle. Ou si. Et c'est encore plus triste. La pratique de la terre brûlée ne bénéficie qu'aux cultures. Pas aux hommes.

Faire le grand sautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant