La journée est belle. Le vent a lavé le ciel des derniers nuages qui ont déversé leur comptant d'eau durant la nuit. La plage est humide. L'eau glaciale comme toujours après la tempête. Mais peu importe à Matthew. Avant de partir de son appartement en ville, il a pris ses affaires pour aller nager. Il ne veut pas passer à la maison avant midi. Il ne veut pas réveiller sa sœur et Harry. D'autant qu'ils sont venus à la maison sur la plage pour « faire l'amour comme des bêtes », dixit sa sœur. Jane s'est mise en tête de concevoir son premier enfant dans cette maison.
Matthew sait, lui, qu'il y a autre chose. Jane n'arrive pas à tomber enceinte. Tous les feux sont pourtant au vert. Rien n'indique le moindre problème. Alors mauvais timing ou malchance ? Jusqu'à présent Matthew n'avait pas ressenti la détresse de sa sœur. Il a fallu qu'elle s'effondre un soir chez lui, quelques mois auparavant, pour qu'il comprenne que ça la travaille énormément. Qu'elle se sent incomplète et que ça la rend malheureuse. Depuis, il tente de la soutenir autant qu'il le peut.
Alors aller nager sans passer par la case maison, est un acte de pure soutien filial. Il s'en est convaincu. Il plonge.
Jane regarde son frère nager jusqu'à la plate-forme. La dépasser. Rejoindre l'amas de roche qui affleure bien trop loin pour qu'elle le distingue nettement à cette distance. Elle aimerait voir son visage pourtant. Elle va chercher les jumelles de Harry, son ornithologue amateur de mari.
Matthew s'est allongé. Son torse se soulève à un rythme rapide. Il est allé au bout de ses forces, cet idiot. Jane espère qu'il a gardé assez d'énergie pour revenir. Les accidents sont fréquents sur cette côte. Le courant y est puissant.
— Dois-je m'inquiéter de surprendre ma femme en train de mater la plage avec des jumelles ? demande Harry en l'enveloppant de ses bras.
Il l'embrasse dans le cou. Elle sourit mais ne lâche pas les jumelles.
— Je surveille mon frère.
— Matthew ? Il nage ? Je n'arriverai jamais à comprendre cette frénésie nautique qui habite ta famille... Tes sœurs se rêvent sirènes. Ton frère en champion de nage libre. Ton père en navigateur au long court. Il n'y a que ta mère et toi pour sauver l'idéal terrestre...
— Tu ne connais pas bien ma mère, Harry... Elle a eu son heure de gloire en championne de plongeon...
— Nonnn... qu'est-ce que ça fait de nous ?
— Nous sommes les gardiens du phare, mon amour. Nous veillons à ce que tout ce petit monde revienne toujours en vie sur le rivage.
— D'où les jumelles.
— D'où les jumelles.
— Je t'aime, tu sais.
— Moi aussi, Harry. Tu m'apporterais un autre verre de jus de fruit ?
— À vos ordres, capitaine !
Jane sourit encore. Son frère s'est redressé. Son visage pourrait paraître impassible à n'importe qui sauf à elle. Elle y décèle une immense tristesse. C'est ce qu'elle recherchait. La tristesse de ce grand idiot, incapable de pardonner ou de comprendre celle qui a fui. Maintenant qu'elle a vu la joggeuse, elle comprend mieux pourquoi. Elle est très jeune, ou le paraît.
Il n'a jamais rien dit sur elle. Juste qu'il voyait quelqu'un quand elle lui avait demandé comment elle s'appelait. Il avait été étonné qu'elle devine qu'il avait une femme dans sa vie. Parfois son frère était aussi stupide que la majorité des hommes. Comment aurait-elle pu manquer ce bonheur qui irradiait de lui ? Ce bonheur qu'il était incapable de cacher. Elle l'avait vu dans son sourire. Dans ses yeux. Dans sa nonchalance.
Jane se demande comment il l'a rencontrée. Mais elle va savoir. Parce que ce repas est un piège auquel son frère ne pourra pas se soustraire. Harry se prépare déjà à partir. Ils ont convenu que ce serait un repas entre jumeaux. Il n'y a pas sa place et le comprend. Il respecte ce lien indéfectible entre le frère et la sœur.
— Ne le brusque pas trop, hein... s'il a le cœur brisé...
— Tu t'inquiètes pour mon frère ?
— Disons que je suis un homme et qu'il m'est arrivé d'avoir le cœur brisé par une certaine jeune femme de ma connaissance...
Il fait allusion à une période sombre de leur vie de couple. Une période où Jane s'était posée beaucoup de questions. Elle aussi avait fui. Elle avait eu peur. Alors si Harry comprenait les affres de Matthew, elle, elle comprenait parfaitement la réaction de la jeune et jolie inconnue qui avait rompu avec son frère. C'est pour cette raison qu'elle doit lui parler.
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Faire le grand saut
ЧиклитQuand le père de Sylvia la contraint, elle et sa meilleure amie, à accepter un job d'été dans un hôtel, il n'imaginait pas qu'il allait non seulement changer l'existence de sa fille qu'il adore, mais aussi, et d'une manière bien plus radicale, celle...