42/ Les espoirs d'une veuve

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Tout le monde se focalise aussitôt sur l'avocat. Sauf une grande femme blonde qui la fixe encore un instant avant de se détourner lentement.

La moyenne d'âge est entre 40 et 50 ans. Un couple plus âgé se tient deux places devant elle. Il y a une majorité d'hommes. Deux d'entre eux sont des collaborateurs de Maître Lombardo. En dehors de la grande blonde et de la vieille dame, il y a une femme vêtue sobrement de gris et une bimbo vulgaire. Au moins, Katerine n'est pas la plus mal habillée.

La jeune femme n'a pas de certitude quant à sa présence en ces lieux. Elle se dit que son père, repentant, lui a laissé un petit quelque chose. Ou alors peut-être a-t-il seulement décidé qu'étant mort, il pouvait bien présenter sa bâtarde au reste de sa famille. Elle ne ressent rien de particulier. Ni tristesse, ni colère. Il est mort. Elle ne l'aura jamais rencontré. Il n'aura donc aucune existence dans ses souvenirs. Est-ce qu'elle regrette ? Un peu, sans doute. Mais pas pour le moment. Pour le moment, elle est la fille de Lydia, la seule femme que James a réellement aimée. Et elle le porte sur son visage. Dans son sourire.

Maître Lombardo énumère les dispositions légales comme s'il s'agissait d'une liste de course. C'est vraiment soporifique. Jusqu'à ce qu'il nomme les personnes autour de la table. La femme en gris est une gouvernante, Mlle Schmitt récupère une somme rondelette suffisante pour voir venir tranquillement. Au sourire de certains, c'est sans doute une broutille dans la fortune de James Athelwood. La bimbo, Lily Starling – ça n'est pas son vrai nom de famille ? Si ? – fille d'un ancien collaborateur, reçoit une somme presque équivalente à celle de la gouvernante. Elle fait la moue. C'est comique. Katerine dissimule son sourire en feignant de tousser.

Ce leg lui confirme qu'elle n'était pas la seule œuvre de charité de James Athelwood. Lily et elle font partie du même club apparemment. Elle s'attend à être nommée à sa suite, mais non. Lombardo passe à trois hommes. Des cousins. Petite somme. Petite somme. Petite somme. Ils sont déçus et ça se voit. Le couple âgé, un oncle et une tante. Somme plus conséquente. Parce qu'ils sont deux ? Katerine se demande comment les legs ont été calculés. Enfin deux hommes plus vieux que les cousins, reçoivent l'assurance que les sociétés dans lesquels ils sont, enfin, ils étaient, associés à James, ne seront pas liquidées. Des actions. Des sommes d'argent conséquentes.

Il n'y a plus que Katerine et la femme blonde qui n'ont pas été citées. Katerine attend. Lombardo semble boire du petit lait en les regardant l'une et l'autre. La femme est crispée. Katerine imagine que ce doit être la veuve. Celle que James ne pouvait refuser d'épouser.

Maître Lombardo se décide enfin. Il annonce une somme exubérante, puis une liste de biens, dont des actifs d'entreprises, tous légués à Mme Alice Athelwood, épouse et veuve du défunt. Il sourit obligeamment. On voit qu'il se délecte de ce qu'il annonce. Pourtant Katerine ne voit pas le problème. Le legs est si monstrueusement important qu'elle n'imagine pas qu'il reste quoique ce soit.

Mais l'avocat poursuit. Cette fois, son air est quasi extatique.

— Compte tenu que Mme Alice Athelwood n'a pu porter la vie et devant son refus d'adopter un enfant. M. James Athelwood a pris la décision de léguer une partie de sa fortune et de ses biens à sa seule descendance directe en vie : Mlle Katerine Bridgewater, ici présente. Nous tenons à préciser que l'ascendance de Mlle Bridgewater a été vérifiée et soumise à contrôle. Elle est bien l'enfant légitime de M. James Athelwood. Enfant conçue avant le mariage de M. James Athelwood avec Mlle Alice Steepleford. Monsieur James Athelwood a bien précisé que si l'enfant n'était pas majeure à l'heure de son décès, le leg subirait la tutelle de Mme Athelwood et non celle de Mme Lydia Bridgewater, mère de l'enfant.

Katerine voit le demi sourire d'Alice Athelwood, et Katerine ne peut retenir un éclat de rire. C'est plus fort qu'elle. La veuve croit qu'elle est mineure ! Elle croit qu'elle, et sa récente fortune, vont être sous sa tutelle !

Tous les regards ont convergé vers Katerine. Celui de la veuve est incandescent. Mais elle s'en fiche. La jeune femme sourit à Maître Lombardo, qui cache sa satisfaction en remettant ses papiers en ordre. Finalement, il n'est pas si désagréable ce bonhomme !

— Pourquoi riez-vous comme une folle ? s'exclame Alice Athelwood. Est-elle simple d'esprit ? finit-elle en regardant l'avocat.

— Pas à ma connaissance, Mme Athelwood. Mlle Bridgewater est en parfaite santé. Et... Elle aura 23 ans très bientôt, si mes souvenirs sont bons.

La veuve blêmit d'un coup. Elle réalise qu'elle a perdu. Définitivement. Le testament est trop clair et la répartition trop honnête pour qu'elle envisage de se battre pour tenter d'évincer la seule véritable héritière.

Elle se lève drapée de son mépris, va pour répliquer quelque chose, renonce et sort avec une certaine classe, Katerine doit bien le reconnaître. Les autres suivent en silence en jetant de petits coups d'œil discrets à la nouvelle héritière.

Katerine s'apprête à faire de même quand Maître Lombardo l'arrête. Il attend que ses collaborateurs aient disparu à leur tour pour lui parler.

Faire le grand sautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant