31/ Ouvrir les yeux

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Katerine fixe son assiette. Elle ne dit rien. Une énorme boule lui obstrue la gorge. Elle se sent mal.

— Je sais que ces pancakes sont un chef-d'œuvre de l'art culinaire américain mais quand même ! Regarde-moi, Katerine... Ce que tu as fait est humain. Qui n'est pas terrorisé par la possible pérennité d'un lien ? Qui n'a jamais hésité avant de s'engager sur du long terme ? C'est humain d'hésiter. D'avoir peur. Et ça ne touche pas que le sentiment amoureux, rassure-toi ! Attend d'avoir à acheter une voiture ! Ou pire, une maison !!! Le problème, c'est que tu es entière comme moi. Et, soit dit en passant, tu aurais pu prendre autre chose de mon caractère... Alors, au lieu de seulement hésiter, tu es rentrée dans le tas ! Tu as foncé direct vers la solution la plus facile pour toi sur le moment ! La rupture ! Et pas la rupture qui se rattrape ! La rupture froide, horrible et blessante. Un message ! Rien que d'y penser, ça me fiche la chair de poule ! Un message ! Tu m'étonnes qu'il soit venu jusqu'ici pour avoir des explications !! Mais bon, il n'est pas tout blanc non plus !!! Hein !!

— Il n'a rien fait, lui.

— Bien sûr que si ! Il était si en colère ! Et il y avait de quoi ! Un message ? Ma Kat !!! Ça ne se fait pas ! Mais au lieu de tenter de comprendre, il a enfoncé le cou ! Au lieu de désamorcer ta peur, il n'a fait que la renforcer en te disant des choses qui ... ! Bref ! Il a enfoncé le clou ! Quel imbécile celui-là ! Mais bon...

— De toute façon, c'est trop tard, maman. Je n'arriverai pas à réparer ce que j'ai cassé. C'est trop tard.

Lydia a vu le drame arriver. Elle se tient près de Katerine quand celle-ci se met à pleurer.

— Pourquoi il a fallu que tu en parles ! Maman ! J'avais réussi à bien tout tenir ! J'avais réussi à...

— Ah ! Ça ! Tu avais réussi ! Oui ! Tellement bien que tu t'es fâchée avec ta meilleure amie ! Que dis-je ? Avec ta sœur ! Sylvia est une sœur pour toi ! Comment as-tu pu la blesser alors qu'elle n'a cherché qu'à t'aider. Tu n'as pas vu qu'elle essayait, à sa manière, de te rendre toutes les attentions que tu lui as prodiguées quand elle n'allait pas bien ?

— Je sais... Mais je n'arrive pas à faire autrement. Je suis incapable de faire autrement...

— Mais où est passée ma fille la téméraire, l'audacieuse, la casse-cou ? Celle que rien n'arrête ? Celle qui rebondit et ne laisse aucune opportunité lui échapper ?

— Tu veux dire, la fille qui t'a fait avoir des cheveux blancs prématurément ?

— Celle-la même !

— Elle a disparu en tombant amoureuse. L'amour m'a affaibli ! Il m'a tout pris !

— C'est faux, Katerine ! Il a juste adouci les contours anguleux de ta personnalité. Il t'a donné de la matière. Il t'a offert une opportunité que tu as peur de saisir.

— Et s'il me quitte ? S'il me laisse comme une vieille chaussette dans un mois ?

— Et alors ?

— Quoi ? Mais j'aurais le cœur en miettes... et...

— Comme maintenant ! Et puis arrête ! Ça n'est pas la rupture que tu crains ! La preuve, tu l'as provoquée ! C'est justement qu'il ne rompe pas qui t'effraie. C'est son attachement qui te fait peur. N'es-tu pas amoureuse ? N'as-tu pas envie de faire un bout de chemin avec lui ? Un long, long bout de chemin ?

— Si...

— Alors, cesse d'avoir peur, ma puce ! Cesse d'avoir peur et fonce !

— C'est trop tard.

— Vraiment ? Et bien, il faut quand même tenter ta chance... Si ça ne marche pas, c'est que ça n'était pas le bon. Tu recolleras ton cœur. Tu feras du saut en parachute devant les yeux horrifiés de ta mère, tu pleureras sur l'épaule de ta « sœur » ... Et tu rencontreras quelqu'un d'autre. Ça s'appelle la vie, ma puce. Et nous sommes tous terrifiés face à elle. Qu'on le reconnaisse ou non ! On l'affronte chacun à notre manière. Et toi, tu es une combattante, ma puce ! Une combattante ! Ne l'oublie pas !

Faire le grand sautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant