— Tu croyais sincèrement te débarrasser de moi comme ça ? Avec un message ? Sérieusement ? Tu m'as pris pour qui ? L'un de ces petits étudiants que tu jettes aussi rapidement qu'un mouchoir ! gronde Matthew.
Il est furieux. Il s'avance vers elle. Elle recule encore, mais se retrouve vite adossée à la fenêtre de la chambre.
— Si vous avez quelque chose à me reprocher, ayez au moins la décence de me le dire en face, je vous prie, Mlle Bridgewater.
Ce retour au vouvoiement la brise plus sûrement que sa propre bêtise. Elle a vraiment tout fichu en l'air. Elle l'a vexé. Elle qui n'a jamais peur de rien ou presque, se rend compte qu'en fait, il suffit de peu de chose pour la tétaniser. Une infime chose, mais si vaste et si imprévisible qu'elle s'y perd. Une chose identifiable, mais qui se refuse à elle.
Elle a toujours cru que son père les avait abandonnées sa mère et elle. Qu'il avait préféré fuir plutôt que construire quelque chose de solide, car cette idée même est illusoire. Les révélations de Lydia ne changent rien. Au contraire. Elles prouvent que, s'il est encore besoin de le dire, les obstacles à l'amour sont innombrables. Que le temps use tout. Que rien n'est « pour la vie ».
En ayant grandi avec la certitude que l'amour ne dure pas, que le désir est passager et volage, comment pourrait-elle envisager d'aimer Matthew Campbell ? Comment pourrait-elle croire que lui l'aime au point de ne pas vouloir la quitter un jour prochain ?
Elle fixe Matthew. Elle ouvre la bouche pour parler. La referme. Elle est comme un poisson hors de l'eau. Elle se sent incapable de relever le défi que cet homme représente pour elle. Elle baisse finalement les yeux, impuissante.
Elle ne voit donc pas le froncement de sourcils de Matthew s'accentuer. Elle ne le voit pas s'avancer encore. Lorsqu'elle relève le visage devant son silence, il est à moins d'un mètre d'elle. Il la fixe avec intensité. Son regard est si sombre qu'elle se sent comme une proie face à un prédateur. Elle est prise au piège. Acculée. Et comme une bête, elle se rebiffe soudain.
Elle frémit. Quelque chose remue en elle. Une vague qui monte. De la colère ? Qu'a-t-il besoin de cette confrontation ? Ils ne se sont jamais dit qu'ils s'aimaient ! Ils ne sont pas fiancés, ni mariés ! Ils avaient une aventure entre adultes consentants ! Il la traite comme une gamine ! Et même si elle ne sait pas exactement ce qu'elle fait, elle n'a pas à lui rendre de compte! Pas sur le plan personnel, en tout cas !
— Je n'ai rien à vous reprocher, M. Campbell, dit-elle avec une sécheresse qu'elle ne se connaissait pas.
— Qu'est-ce ... ? Si vous n'aviez rien à me reprocher, vous ne me jetteriez pas comme ça !
— Je ne vous ai pas jeter ! J'ai... j'ai juste mis des mots sur ce qui paraissait inévitable !
— Inévitable ? Mais... Est-ce que notre... relation n'était qu'une mascarade pour vous ?
— Notre relation ? Notre aventure, vous voulez dire ?!!
— C'est vrai ! Notre aventure ! Et pour cause ! Dès que j'ai tenté de rendre notre lien plus solide, plus concret, tu as fait un pas de côté, une pirouette, et basta !
Le retour au tutoiement témoigne de l'énervement de plus en plus grand qui envahit Matthew. Il a du mal à maîtriser sa frustration devant l'air buter de Katerine. Il a envie que ce moment n'existe pas. Il a envie de hurler ! De la secouer ! De l'embrasser pour effacer cet air incroyable qui transforme son regard juvénile en quelque chose de dure et d'infranchissable !
— C'est de ma faute ! Oui ! C'est de ma faute ! Mais quel besoin as-tu de changer ce que nous vivons ! Pourquoi faut-il que ce soit différent ? Pourquoi faut-il que...
— C'est ça le problème ? C'est parce que je veux te présenter ma famille ? Sérieusement ? Tu crois que parce que tu connaîtras ma sœur jumelle, tu seras engagée pour la vie ? Ma sœur trouverait ça très drôle ! Même si tu serais effectivement la première femme que je lui présente ! Mais tu ne comprends pas que ça n'est pas pour toi que je fais ça ! Mais pour moi ! Parce que ma sœur jumelle est importante à mes yeux et que je lui dois la vérité ! Et la vérité, Katerine, c'est que ... Oh ! Et puis merde, Katerine ! Je ne vais pas ramper ! Tu entends !
Katerine est atterrée. Elle n'a retenu qu'une chose de toute sa tirade : qu'elle serait la première femme qu'il présenterait à sa jumelle ! Il n'a pas besoin de lui dire qu'il l'aime. Ce simple fait est révélateur. On ne présente pas sa sœur jumelle à quelqu'un pour qui on n'a pas de sentiment. Il lui jette ce « détail » au visage comme si ça n'avait aucune importance ! Mais ça en a ! Ça en a même beaucoup ! Le reste lui échappe totalement ! Elle n'entend pas vraiment, ni son presque aveux, ni sa volonté de ne pas s'abaisser pour elle. Elle a juste envie de hurler ! Elle a envie de quitter cette pièce ! Elle a envie de disparaître !
Matthew voit le visage de la jeune femme blêmir. Ses poings se serrer. La dureté de son expression se mêler à un autre sentiment qu'il est incapable de définir. Elle ne dit toujours rien alors qu'il essaye de lui dire tant de choses. Sa fureur contre elle monte encore d'un cran.
— Je crois qu'il est temps de partir M. Campbell, dit alors Lydia qui est remontée en catastrophe en entendant la discussion animée entre sa fille et son amant.
La maison est petite, et les murs sont fins. L'intimité n'est pas vraiment possible ici.
Matthew ne conteste même pas. Il lance un dernier regard d'incompréhension plus que de colère à Katerine et sort. La mère et la fille entendent la porte claquer au rez-de-chaussée, puis les pas rapides de Sylvia qui les rejoint.
VOUS LISEZ
Faire le grand saut
Chick-LitQuand le père de Sylvia la contraint, elle et sa meilleure amie, à accepter un job d'été dans un hôtel, il n'imaginait pas qu'il allait non seulement changer l'existence de sa fille qu'il adore, mais aussi, et d'une manière bien plus radicale, celle...