3/ Le défi

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L'hôtel est immense. Majestueux. Luxueux. Terrifiant.

Sylvia oscille sur elle-même. Droite comme un i, les pieds joints, les mains derrière le dos, on dirait une écolière le jour de la rentrée. D'ailleurs, c'est un peu ça pour elle. Elle se demande si elle peut encore courir pour rattraper la voiture de son père. Si elle pleure suffisamment, il abandonnera peut-être cette idée idiote de travail d'été. Ils n'en ont pas besoin. Ils ont les moyens de payer l'école d'ingénieur sans ça. Elle ne comprend pas la volonté inflexible qui a abouti à ça : elle devant cet hôtel, censée commencer sa première journée de travail.

Elle sent une main s'emparer de la sienne et la serrer. Katerine est là. Elle sourit.

— On y va ! C'est partie ! Tu vas les éblouir avec ton cerveau, et moi avec ma plastique, dit la jeune fille avec un petit rire. À moins que ce ne soit le contraire... Non. En fait, tu vas les éblouir, parce que tu as le cerveau ET la plastique, et moi je vais me faire exploiter...

— Arrête ! Kat ! Je suis désolée... Je ne comprends pas pourquoi, ils n'ont pas voulu que tu travailles avec moi.

— Parce qu'ils n'ont pas besoin de deux comptables, peut-être ? Et puis, tu me vois, moi, assise toute la journée derrière un bureau avec une calculette... j'ai déjà du mal à supporter les cours... Non, toi tu es la comptable... Moi, je suis la soubrette !

— Arrête d'utiliser ce mot ! C'est... lubrique ! dit Sylvia en souriant au moment où elles entrent toutes les deux dans le grand hall.

— Justement... répond Katerine avec un clin d'œil.

— Tu es incorrigible !

— Je n'espère pas, dit alors une voix près d'elle.

Un homme d'une quarantaine d'années s'est avancé lorsqu'il les a vues arriver. Un bel homme aux tempes grisonnantes et au sourire amusé. C'est l'ami du père de Sylvia.

— Lanford Greengard. Mesdemoiselles Benford et Bridgewater, je présume ?

— Vous présumez bien, monsieur Greengard, répond aussitôt Katerine en tendant sa main. Moi, c'est Katerine Bridgewater. — Et elle...

— Sylvia Benford. Tu étais si petite la dernière fois que je t'ai vue. Tu ressembles beaucoup à ta...

— À ma mère. Je sais. Le courage et la spontanéité en moins, je le crains.

Sylvia est introvertie, mais elle a reçu une éducation qui lui permet de faire illusion. Tant qu'on ne la pousse pas dans ses retranchements ou qu'on ne lui demande pas de dévaler un escalier sur la rambarde - Ce qui, à priori, n'arrivera pas ici -, elle tient bon. Parfois même sans Katerine dans les parages.

— Bien. Je vais vous montrer vos postes de travail et vous présenter à vos référents, dit-il en les entraînant vers l'accueil où une femme au regard d'aigle et un jeune homme à lunettes patientent en les observant. Katerine espère, avec peu d'espoir cependant tant monsieur lunette ressemble à ce que l'on s'imagine d'un comptable, que « regard d'aigle » ne soit pas pour elle.

— Voici Madame Violette Beautemps, responsable du personnel d'entretien, et Monsieur Charles Padling, notre responsable financier.

« Responsable financier » mes fesses ! C'est un comptable ! pense Katerine en serrant la main de Charles. Puis elle tend la main à Violette Beautemps qui la toise de la tête aux pieds.

— Monsieur Greengard, vous ne pensez tout de même pas que cette jeune... fille, puisse convenir au travail de...

— Mme Beautemps, je vous arrête. Katerine va travailler sous vos ordres, et elle s'en sortira très bien. J'ai cru comprendre lors de ma conversation avec mon ami Benford, qu'il ne fallait pas se fier aux apparences,

Lanford Greengard gratifie Katerine d'un large sourire, qui ne compense en rien le regard noir de Violette Beautemps posé sur elle. Ça risque d'être chaud, ce boulot... Katerine espère soudain que Sylvia fasse une crise et s'enfuit en courant. Que nenni. Son amie discute déjà avec ce Charles, dont le regard, distrait jusque-là, commence à pétiller d'intérêt. Voilà qui donne du courage à Katerine. Peu importe Beautemps et son regard assassin, si Sylvia est heureuse. Katerine aussi.

Faire le grand sautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant