39/ La mort du père

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L'enveloppe n'a rien de particulier. Elle a été envoyée de la côte est. À sa connaissance, elle n'a ni famille, ni amis là-bas... L'entête de la lettre est celle d'un cabinet d'avocat new-yorkais. Elle commence à lire distraitement, puis plus attentivement. Debout dans l'entrée où sa mère avait déposé la lettre, Katerine manque de tomber. Elle s'appuie sur le meuble le plus proche d'elle. Elle glisse contre le mur et reste assise par terre un long moment.

Toutes ses préoccupations antérieures lui semblent si futiles brusquement.

Son père est mort. Le vide qu'a créé son absence lui parait soudain abyssal. Pourtant, son cœur déjà en miettes n'en souffre pas. Son père est mort. Oui. Il est mort cet homme qu'elle n'a jamais vu. Mais il n'est rien d'autre pour elle qu'un donneur de spermes. Il n'a jamais été là pour elle. Arthur Benford fait bien plus figure de père pour elle. Même M. Roberts pourrait plus prétendre à ce titre que ce James Athelwood.

Et on lui demande de faire le voyage au plus vite ! Comme si elle devait accourir quand on la siffle ! Un billet d'avion glisse de l'enveloppe, et sa mère arrive juste à temps pour l'empêcher de le déchirer.


— C'est bien le même cabinet d'avocat. Celui qui gère ta pension.

— Ma pension !! C'était une somme qui lui permettait de dormir tranquille.

— Katerine ! Il aurait pu ne rien faire ! Il n'avait aucune obligation envers moi ! Envers nous !

— Je sais ! Mais c'est facile ! Ces gens-là règlent tout de cette manière ! Un billet par-ci un billet par-là, et les problèmes s'aplanissent d'eux-mêmes !

Lydia sait que sa fille ne parle pas seulement de son père. Sylvia lui a envoyé un message concernant le saut en parachute annulé. Elle ne peut pas dire que l'initiative de Matthew Campbell ne lui ait pas fait plaisir à elle aussi. Elle a même ressenti un certain soulagement.



— Katerine, tu dois y aller.

— Ma mère pense que c'est nécessaire. Je ne veux pas y aller seule, Sylvia.

— Ta mère ne t'accompagne pas ?

— Elle ne peut pas. Selon elle, l'hôpital ne peut se passer d'elle... Je pense plutôt qu'elle ne veut rien avoir à faire avec la famille de mon père. Elle a peur d'être mal traitée. Et puis, il n'y a qu'un billet d'avion. Le message est clair.

— Katerine... Il faut que quelqu'un t'accompagne... Tu ne peux pas y aller seule !

— Je sais. Je pensais que tu pourrais...

— Kat...

Katerine sait que ce qu'elle demande à Sylvia est au-dessus de ses forces. Prendre l'avion est une épreuve qu'elle n'est pas encore prête à surmonter. La seule fois où son père a tenté de l'emmener avec lui, elle a fait une crise d'anxiété telle qu'il a fallu arrêter l'avion pour la faire descendre. Tout le monde a cru qu'elle avait fait un arrêt cardiaque... à 10 ans ! Katerine soupire.

— C'est pas grave, Sylvia. Je vais me débrouiller. C'est pas une bande de richards qui va me faire peur !

— Tu pars quand ?

— Demain matin. Je vais passer la nuit à chercher ce que je vais visiter en attendant l'heure du rendez-vous et après. Ma mère dit qu'il faut que j'en profite. Ça n'est pas tous les jours qu'on va si loin. La date du billet retour peut être changée.

— L'Empire State Building à coup sûr ! Et Central Park ! Oh ! Je sais ! Je vais te faire la liste des lieux magiques que nous adorons dans les comédies romantiques ! Toi, tu dors ! Je t'envoie ça avant que tu n'arrives là-bas ! Et tu devras faire une photo dans chaque endroit !

— Tu sais que je n'ai pas les moyens de rester très longtemps. Maman m'a dit d'utiliser mon salaire du mois dernier... que pour la voiture, elle s'arrangerait.

— Je peux demander à mon père...

— Pas question ! Sil ! C'est TON père ! Je l'adore mais il paye déjà assez de trucs comme ça. Ma mère a raison. Je vais me payer le séjour. Un petit séjour.

— Bon, si tu ne peux pas rester plus de ... mais attends ! M. Greengard !

— Quoi, M. Greengard ?

— Il a des hôtels partout... Il doit bien pouvoir te trouver une chambre gratuite pour que tu puisses profiter d'un séjour plus long ?

— Pas question non plus, Sylvia ! Et je t'interdis d'en parler autour de toi. Tu vois ce que je veux dire ?

— OK... Je peux en parler à Charles quand même...

— Va pour Charles, même si je ne vois pas ce que ça va bien pouvoir lui faire. Il s'en fiche...

— Il t'aime bien, tu sais

— Moi aussi, Sylvia ! Moi aussi !

Faire le grand sautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant