Vendredi 27 octobre 14h 33
GWENDAL – bassiste de SKIN
Je me sens très satisfait en arrivant à l'hôtel. C'est la première fois que je franchis les portes de l'établissement en plein après-midi. J'aime de plus en plus ce vendredi.
Ça a commencé au petit-déjeuner. Matt y est arrivé juste après Skinny et soulagement général : le gothique avait retrouvé sa voix. Discours, chant : nickels. Pas le moindre éraillement. Mamie a affirmé que c'était grâce à la tisane au miel qu'elle l'a forcé à ingurgiter hier soir et personne n'a osé contester. On avait déjà de la chance qu'elle ne lui ait pas brûlé la gorge avec son grog maison. La gnôle de Mamie contient plus de degrés qu'un angle droit.
Au studio, Matt a commencé par rattraper son retard sur les enregistrements. Comme toujours avec lui, ça s'est parfaitement déroulé et on a fini la matinée avec des bricoles.
C'est au retour du déjeuner que la deuxième bonne nouvelle est tombée. On avait à peine réintégré le studio que Bernard nous mettait à la porte de Decibel, prétextant vouloir travailler le mixage au calme. Week-end anticipé pour SKIN.
Évidemment Hadrien — seule personne au monde qu'un après-midi de repos dérange — a demandé à rester. Cependant, l'ingénieur n'a pas fléchi et après quelques échanges, notre leader contrarié a dû se résigner à partir aussi.
On s'est séparés à la sortie. Skinny est partie de son côté avec Matt acheter pour sa demi-sœur chez qui elle passe la nuit et Hadrien et moi sommes rentrés directement.
Je salue de la main la réceptionniste à l'accueil de l'hôtel.
— Tu as quelque chose à faire maintenant ? me demande Hadrien.
— Rien. Pourquoi ?
— J'ai vu un jeu d'échecs dans la salle commune. Une partie te tenterait ?
Hadrien qui propose de jouer, c'est rare. Mais c'est rare aussi qu'on se retrouve libres un vendredi aprèm, alors...
— Ok. Vas-y.
Je perds la première partie en moins de dix minutes. Un classique. Notre tyran appartenait d'un club d'échecs en primaire et il aborde chaque manche avec le plus grand sérieux. La deuxième s'engage moins catastrophiquement.
— Tu as prévu des trucs pour ce week-end ? demandé-je. Genre profiter du temps libre pour aller voir des expos ou une idée du genre ?
— Pas de choses aussi précises, non. Je pensais rentrer en Bretagne à l'origine. Mais avec les problèmes qu'on a eus avec le label cette semaine, c'est sans mieux qu'on reste tous.
— Je vois.
Rien de tel que les jours de repos pour peaufiner un plan d'attaque.
— Et tu crois vraiment que Zahia Hakim nous écoutera ? ajouté-je. Parce que moi, j'ai du mal à croire que ça passera ton idée. C'est un peu gros quand même.
Rien que pour me convaincre de son sérieux, il m'a déjà fallu une bonne heure.
— Le but est aussi d'offrir une solution et de se montrer prêts à négocier. Ça pourrait éviter qu'ils nous excluent des autres futures décisions.
— Si tu le dis. Je ne vois pas en quoi je vais permettre tout ça, mais admettons.
— Je ne pense sincèrement pas qu'ils acceptent cette partie-là si ça peut te rassurer.
— Ça m'arrangerait. Mais, je marcherais tant qu'on joue notre musique et pas de la soupe créée par des commerciaux.
— Je sais.
Bon, au moins, on s'est compris. S'il n'y avait eu que moi, ils auraient cédé ou je claquais la porte. Mais dans le groupe, on est quatre et pour le bien de SKIN, mieux vaut laisser Hadrien magouiller.
Je bouge un pion et me renfonce dans la banquette. La salle commune de l'hôtel est plutôt confortable. Matt m'a affirmé qu'Hadrien y descendait parfois le matin avant qu'on se réveille. Seules les caméras de surveillance savent ce qu'il y fabrique.
Pour passer le temps pendant que le batteur, les yeux rivés sur l'échiquier, réfléchit à son prochain coup, je sors mon portable.
J'ai deux nouvelles notifications. Quatre Stories de Lukas et un sms de mon frère. C'est louche. Cet aprèm, Sweet Poison était censé enregistrer. Ça ne nécessite pas de m'envoyer des messages, normalement.
— Je déplacerai ma reine à ta place.
— Hein ?
Hadrien désigne le plateau de jeu du menton.
— Ah oui, pardon.
Je bouge rapidement ma pièce.
— Il se passe un truc chez Sweet.
— Comment à ça ?
— Lukas m'a envoyé des photos.
Hadrien lève les yeux, pensif.
— Ta grand-mère les accompagnait aujourd'hui, non ? Ils ont dû vouloir te partager les images.
— Peut-être.
J'ouvre les photos de Lukas.
Et les bras m'en tombent.
Sur l'écran, est affichée Mamie. Mais pas Mamie avec sa permanente soignée et son joli chandail gris perle comme lorsqu'elle passe pour le goûter le week-end. Non, une autre version de Mamie. Une avec un T-shirt noir à tête de mort, des manches résilles et une jupe en cuir. Une version Mamie infernale.
Je passe à la photo suivante. Elle n'est pas plus rassurante. C'est un zoom sur des pieds chaussés de grosses boots violettes. En fait, les images de Lukas ne contiennent que ça : Mamie essayant des colliers de chaînes, des vestes à pointes, le maquillage punk, des mini-jupes et j'en passe. Et c'est à moi qu'on reproche l'immaturité.
— Tu as la bouche suffisamment grande ouverte pour gober une mygale, Gwendal, m'informe Hadrien d'un ton neutre. Il y a un souci ?
Je tourne mon téléphone. Je suis incapable d'expliquer ce que je viens de voir.
Le batteur prend le temps de faire défiler les clichés du pouce avant d'esquisser son rictus familier.
— Ça ne lui va pas si mal.
— T'es sérieux, là ? Ma grand-mère a pété un plomb et tout ce que tu remarques, c'est que ses fringues sont assorties ?
Mon père va nous tuer. Ou l'interner. Ou les deux.
— Elle n'est pas sous tutelle, Gwendal. Elle fait ce qu'elle veut.
Heureusement que c'est lui le sage de la bande, hein.
Je récupère mon portable. Il reste le message de mon frère. Même si je ne fais plus aucune illusion en cliquant dessus.
De Arthur :
Désolé. Je n'ai rien pu faire.
Un aveu d'échec, j'avais raison. Je referme l'application et soupire en m'affaissant de tout mon poids. Il est quinze heures et on a officiellement perdu le contrôle de Mamie au profit d'un chanteur hyperactif et d'une batteuse timbrée. Fantastique.
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La fameuse métamorphose de Gis a eu lieu et le week-end à Paris va pouvoir commencer.
J'espère que ce chapitre vous aura plu.
Dans tous les cas, prenez soin de vous 🖤
Anne
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Skin vs Sweet Poison - let's rock !
Teen FictionEn théorie, nous sommes un groupe de rock lycéen. En pratique, notre batteuse est fêlée, notre chanteur idolâtre Mercury et mon nom sonne plus comme le huitième membre de BTS que comme celui d'un bassiste. Et puisque visiblement, ça ne suffisait pas...